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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Interdiction de diffuser un livre contenant un passage contrefaisant

Article publié le 5 septembre 2024

Il n’est pas rare, notamment au moment de la rentrée littéraire, que l’annonce de la publication prochaine d’un ouvrage engendre la mise en œuvre d’une procédure judiciaire, que ce soit sur le fondement d’une atteinte à la vie privée, à l’honneur ou à la considération ou encore au droit d’auteur. En pareille hypothèse, les juridictions saisies doivent parvenir à trouver une forme d’équilibre entre les droits en présence et ce, notamment par rapport au caractère conservatoire des mesures à intervenir qui peuvent être prononcées en urgence avant toute procédure dite au fond.

Un auteur avait été contacté par un éditeur, représentant d’une société d’édition indépendante, afin qu’il procède à la rédaction d’une préface pour la réédition d’un livre publié en 1981, véritable pamphlet à l’encontre de Valérie Giscard d’Estaing, alors Président de la République. L’auteur transmettait le projet de préface à l’éditeur en février 2022, mais face aux propositions de correction, il demandait que son projet ne soit pas utilisé. Pour autant, l’auteur découvrait que la réédition de l’ouvrage, publiée à la fin du mois de mars 2022, était accompagnée d’une préface, certes rédigée par l’éditeur mais contenant selon ses dires un extrait de son propre projet de texte. Estimant qu’un acte de contrefaçon avait été commis à son détriment, l’auteur sollicita dès avril 2022 par le biais de son avocat un retrait des ouvrage proposés à la vente ou imprimés, ainsi que leur destruction. Et au regard de l’absence de réponse à cette sollicitation, l’auteur assigna l’éditeur, ainsi que la maison d’édition en référé devant le Tribunal judiciaire de Paris. N’ayant pu obtenir satisfaction en première instance, l’auteur interjeta appel.

La reconnaissance d’une atteinte au droit de divulgation
La Cour d’appel de Paris relève, dans sa décision du 31 mai 2024, qu’il n'était pas discuté que l’auteur avait, à la demande de l’éditeur dirigeant de la maison d’édition, écrit une préface intitulée « Un bouquet d'orties » en vue de la réédition de l'ouvrage « Précis de foutriquet » dont Pierre Boutang est l'auteur. De la même manière, il n'était pas davantage discuté que l’auteur de la préface était bien titulaire de droits d'auteur sur cette préface. Dès lors, ni la qualité d’auteur, ni la titularité de celui-ci sur son texte, ni même l’éligibilité à la protection par le droit d’auteur ni encore le caractère inédit du texte n’étaient débattus.
Ces éléments étaient même prouvés sans guère de difficulté. Ainsi, l’auteur avait transmis sa création à l’éditeur le 7 février 2022 et avait, à la suite d’un désaccord entre avec l’éditeur sur le contenu de cette préface, indiqué ne pas vouloir que la préface dont il est l'auteur soit utilisée par courrier électronique du même jour. Un tel refus explicite avait été réitéré par courrier électronique du 13 février 2022 par lequel l’auteur indiquait expressément à l’éditeur « Je vous interdis de publier mon texte ». Quant à la préface rédigée par l’éditeur lui-même, celle-ci faisait expressément référence dans une note de bas de page au texte soumis par l’auteur indiquant qu’un « extrait de la préface inédite » de l’auteur et « même interdite par celui-ci » était incluse au sein de l’ouvrage.
La qualification d'une atteinte au droit de divulgation ne soulevait donc aucune difficulté. Corrélativement, la Cour d’appel, saisie dans le cadre d’une procédure en référé, devait nécessairement caractériser l’existence d’un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser. Seules les mesures pouvant être ordonnées afin de mettre fin à un tel trouble restaient à déterminer.

Une demande de destruction des ouvrages judiciairement refusée
À cet égard, la Cour rappelle que la recherche d'un juste équilibre entre l'exercice du droit moral de l'auteur et la liberté d'expression et de création des intimés doit être opérée dans l’élaboration d’une solution permettant de faire cesser un tel trouble. Or, pour la Cour, « les mesures sollicitées par [l’auteur de la préface] tendant au retrait des ouvrages des circuits commerciaux, la mise au pilon des ouvrages restant ainsi que la mesure de publication judiciaire apparaissent non proportionnées au trouble occasionné par la publication, au sein de la préface de cet ouvrage, d'un extrait de l'œuvre inédite dont il est l'auteur, et ne sauraient être ordonnées sans porter atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et enfreindre l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Il n’est guère étonnant que saisie en référé la juridiction se soit refusée à répondre pleinement aux demandes de l’auteur. En effet, une telle procédure ne vise à permettre la mise en œuvre que de mesures conservatoires et ce, dans l’attente d’une décision à intervenir au fond dans le cadre d’une autre procédure judiciaire. La destruction portant une atteinte définitive au droit de propriété et à la liberté d’expression, alors même que le débat au fond n’a pas encore eu lieu, une telle mesure peut effectivement apparaître disproportionnée à ce stade du débat judiciaire et ce, d’autant plus lorsque l’œuvre contrefaite ne constitue qu’une partie résiduelle de l’ensemble de l’ouvrage concerné. Au contraire, lorsque la contrefaçon est retenue au fond, les magistrats n’hésitent pas à prononcer une telle destruction en tant que mesure complémentaire. Il en fut ainsi devant le Tribunal judiciaire de Paris, le 15 décembre 2023, à propos de la reprise contrefaisante du titre d’un livre par un ouvrage postérieur ou encore, pour des faits similaires, devant la Cour d’appel de Paris à l’occasion d’une décision du 19 avril 2019

Une solution médiane imposée
C’est pourquoi, la Cour emprunte une autre voie afin de faire cesser le trouble occasionné par la publication de cet extrait associé à la note de bas de page n° 13 dans la préface de la réédition de l'ouvrage « Précis de foutriquet ». C’est ainsi qu’il est fait judiciairement interdiction à la société d’édition et à l’éditeur de diffuser la réédition de l’ouvrage tant que la préface litigieuse figurant dans cette réédition comporte l'extrait de la préface inédite.
En d’autres termes, et afin de s'assurer que l'extrait litigieux portant atteinte au droit de divulgation ne puisse plus être porté à la connaissance du public, il suffit que les ouvrages contenant un tel extrait ne soient plus diffusés et soit retiré des circuits commerciaux dans l’attente de toute procédure au fond.

Un article écrit par Me Alexis Fournol
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

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Contributeur régulier dans des journaux de référence dans le domaine de l’art, Me Alexis Fournol a su développer une approche unique dans l’accompagnement de ses clients face aux potentiels risques réputationnels auxquels ils peuvent être confrontés. Notre Cabinet d’avocats a su ainsi développer une approche stratégique des moyens à mettre en oeuvre pour préserver la réputation de ses clients, au-delà des seuls outils offerts en matière de droit de la presse (droit de réponse, action en diffamation, demande de rectificatif, etc.).