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L’établissement d’un bon de dépôt d’une œuvre d’art à une galerie

Article publié le 6 septembre 2024

La remise d’une œuvre d’art à une galerie, qu’il s’agisse d’une œuvre unique (peinture, dessin, sculpture, etc.) ou d’un exemplaire d’une œuvre multiple (photographie, lithographie, estampe, etc.), doit faire l’objet d’un accord écrit, même succinct. Si un tel document ne constitue pas une obligation légalement imposée pour assurer la validité de la consignation d’une œuvre d’art au bénéfice d’une galerie d’art, il n’en demeure pas moins qu’en cas de dissension entre les parties, ce document sera fort utile, si ce n’est indispensable, pour prouver les demandes respectives de chaque contractant. À défaut, la demande en restitution même formulée par un artiste pourra échouer, ainsi que le démontre une décision récente du Tribunal judiciaire de Paris.

Le travail d’une artiste peintre était représenté par une galerie parisienne depuis 2013 sans que leur relation professionnelle n’ait fait l’objet d’un quelconque contrat établi par écrit. A la fin de l’année 2017, l’artiste mettait fin à la relation contractuelle par courrier recommandé et sollicitait de la part de la galerie le retour des œuvres confiées et non vendues dans les plus brefs délais. Face à l’absence de restitution de ses œuvres, l’artiste réitéra ses demandes en 2018, puis à nouveau en 2020 par le biais de son avocat, avant qu’une assignation en justice ne soit délivrée à l’encontre de la galerie en mai 2020. 

Le Tribunal judiciaire de Paris, saisi de l’affaire, a fait droit seulement en partie aux demandes de l’artiste au terme d’une décision du 16 janvier 2024. En effet, le Tribunal relève que quelle que soit la qualification juridique des relations contractuelles entre les parties – qualification ici judiciairement discutée -, la demande de restitution de l’artiste supposait que soit « établi un dessaisissement de sa part des tableaux concernés au profit de [la galerie] et, le cas échéant, la preuve de l’absence de restitution ». En d’autres termes, dès lors que la demande de restitution émanait de l’artiste, c’était bien à celle-ci de prouver tout à la fois que les œuvres revendiquées ont été remises à la galerie d’art et que les œuvres revendiquées n’ont pas été restituées. Et ce, avec des éléments probatoires suffisants.

Des éléments de preuve insuffisants et des demandes différentes selon les époques
Or, selon la juridiction, les éléments de preuve versés au cours du procès « sont certes de nature à s’assurer du fait que [le galeriste] a été en possession de tableaux de [l’artiste] dans le cadre de leur relation contractuelle et qu’il a été relancé en vue de leur restitution. Ils sont toutefois insuffisants pour établir quels tableaux peuvent à ce jour être concernés par la demande de restitution de [l’artiste] ». Pour le Tribunal, les listes visant les œuvres soi-disant remises en dépôt ont été « établies par la seule demanderesse » et l’ont été soit à une période où les relations étaient déjà dégradées soit à une période non datée. De la même manière, le nombre et le prix des tableaux visés dans les demandes successives ont varié dans le temps : 32 œuvres le 9 mai 2017, 28 œuvres dans le courrier du 10 août 2018, puis 27 œuvres dans la liste non datée. Par conséquent, le Tribunal n’était pas mis en mesure de déterminer quels tableaux peuvent être concernés par la demande de restitution de la part de la peintre avec la certitude suffisante. C’est pourquoi, la juridiction refuse d’ordonner une restitution judiciaire, sous astreinte, des œuvres d’art pour lesquelles l’artiste avait mis en œuvre le présent procès.

Le rejet des demandes indemnitaires à défaut de preuve
Poursuivant la même logique, le Tribunal retient que la solution doit être identique en ce qui a trait à la demande d’indemnisation formulée par la peintre. Celle-ci demandait, en effet, qu’à défaut de restitution des œuvres revendiquées – que celles-ci aient disparu ou qu’elles aient été vendues à des tiers collectionneurs sans qu’elle n’en soit informée – le prix de vente de chaque œuvre non restituée lui revienne à titre indemnitaire. La juridiction se heurte ici à l’impossibilité de déterminer leur nombre et leur valeur.
Les seules œuvres d’art pour lesquelles une indemnisation est accordée sont celles pour lesquelles la galerie reconnaissait expressément dans ses conclusions développées au cours du procès qu’elles avaient été dûment vendues. Affirmant corrélativement que l’artiste aurait perçu le prix de vente, après prélèvement de la commission de la galerie, pour ces quatre œuvres, mais échouant à rapporter la preuve du versement de ces montants, la galerie est ici condamnée à payer ces montants. Leur cumul correspond alors à la somme de 9.348,20 euros, soit la seule quote-part artiste, déduction faite de la commission de 50% pratiquée habituellement par la galerie.

La nécessité d’établir un bon de dépôt signé par les deux parties
La présente décision du Tribunal judiciaire de Paris met ainsi en exergue la question probatoire et celle, sous-jacente, de l’opposabilité d’un document établi unilatéralement par l’artiste lui-même, soit par une seule des deux parties au contrat. Un tel document ne constitue qu’une preuve à soi-même et revêt donc une force probatoire fort résiduelle.
Dès lors, et afin de pouvoir donner toute force à un document attestant de la remise, voire de la restitution, d’une œuvre d’art, il est nécessaire que ce document (qu’il soit intitulé fiche de dépôt, bon de dépôt ou encore bon de consignation) soit signé et daté par les deux parties.

Les éléments à inclure au sein d’un bon de dépôt
La remise d’une œuvre à une galerie n’emporte pas légalement la nécessaire rédaction d’un écrit. Mais l’établissement d’un bon de dépôt apparaît très fortement conseillé, notamment pour des questions probatoires. Ce document ne revêt aucun formalisme obligatoire. C’est pourquoi la pratique et les usages sont venus sédimenter les mentions qui doivent a minima y figurer. Le code de déontologie du Comité professionnel des galeries d’art indique ainsi que le bon de dépôt décrit l’œuvre afin qu’elle soit identifiable. 
Parmi les éléments essentiels à indiquer figurent le nom de l’auteur, le titre de l’œuvre, sa date de création, ses dimensions ou encore son état de conservation. Il convient d’y porter éventuellement les modalités financières, le prix de l’œuvre et la durée de la mise à disposition. En ce sens, le bon de dépôt reprend les principales dispositions du mandat de vente et est établi en double exemplaire, l’un étant destiné au propriétaire, qu’il soit artiste ou collectionneur, l’autre à la galerie. Enfin, une attention particulière doit être portée à l’état de conservation dans lequel l’œuvre a été remise puis restituée.

Bien que le monde de l’art n’ait pas encore fait de la contractualisation des relations entre les différentes parties impliquées une nécessité, la judiciarisation des contentieux démontre que s’affranchir de ces précautions minimales constitue un risque bien trop important pour celui qui voudra faire valoir ses droits.

Un article écrit par Me Alexis Fournol
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, notre Cabinet d’avocats intervient régulièrement au bénéfice des galeries d’art et des artistes dans la contractualisation de leurs relations, ainsi qu’au bénéfice des galeries dans la contractualisation de leurs relations avec les collectionneurs. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).