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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

L’adaptation d’une œuvre littéraire préexistante en bande dessinée

Article publié le 4 septembre 2024

Actuellement mise à l’honneur au Centre Pompidou au sein d’une exposition intitulée « Bande dessinée (1964 – 2024) », la bande dessinée constitue, tant pour les auteurs que les professionnels du droit, une source d’interrogations juridiques. L’une des thématiques abordées au sein de cette exposition est celle de l’adaptation d’œuvres littéraires préexistantes par les auteurs de bandes dessinées. Permettant de faire revivre une œuvre littéraire ou encore de toucher un public distinct de cette œuvre préexistante, des interrogations tenant aux droits d’auteur sont ainsi pleinement concernées.

Une œuvre littéraire préexistante protégée par le droit d’auteur
L’auteur de l’œuvre littéraire préexistante (roman, essai, recueil, etc.) détient sur celle-ci des droits d’auteur, sous réserve que l’œuvre soit matérialisée et présente un caractère original. Ses droits se composent de prérogatives patrimoniales, comprenant le droit de reproduction, de représentation et d’adaptation. Ce dernier consiste en la reprise d’une œuvre préexistante dans un genre distinct ou sous une autre forme. Ces prérogatives patrimoniales sont, par nature, temporaires, perdurant la vie durant de l’auteur et soixante-dix ans suivant l’année civile de son décès. Par ailleurs, de tels droits peuvent faire l’objet de transmission à des tiers. Il est donc usuel, en matière littéraire, que tout ou partie des droits patrimoniaux, dont le droit d’adaptation, ait été transmis à un tiers, à savoir la maison d’édition et ce, par l’intermédiaire d’un contrat d’édition. Pour autant, si l’adaptation de l’œuvre littéraire préexistante en bande dessinée s’effectue après l’expiration des droits patrimoniaux, l’auteur de bande dessinée n’est aucunement contraint de solliciter une autorisation pour adapter l’œuvre première auprès du titulaire des droits patrimoniaux. Tel a été le cas de l’adaptation du roman de Gustave Flaubert, Salammbô, par Philippe Druillet en 2010 ou encore, À la recherche du temps perdu de Marcel Proust par Stéphane Heuer en 1998. La distinction temporelle revêt une importance certaine dès lors que cela peut donner lieu à une obligation de conclure un contrat de cession de droit portant sur l’adaptation de l’œuvre première.

Quelles modalités pour la conclusion du contrat de cession de droits ?
Lorsque l’ouvrage n’est pas entré dans le domaine public et que l’auteur d’une bande dessinée envisage d’adapter un roman sous la forme du neuvième art, il s’avère impératif de conclure un contrat de cession de droits. Ce contrat doit être signé avec le titulaire des droits d’auteur de l’œuvre première, pouvant être l’auteur, ses ayants droit ou encore un tiers tel que son éditeur. S’agissant de ce dernier, et au terme du contrat d’édition initial, il doit avoir été impérativement prévu la faculté dont dispose celui-ci d’octroyer des cessions à des tiers. Ce contrat doit préciser l’étendue de la cession (droits cédés, durée et étendue géographique, ainsi que les conditions financières de celle-ci). À défaut d’une telle autorisation, l’adaptation et la communication au public d’une adaptation constituent une violation des droits patrimoniaux de l’auteur, susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires pour contrefaçon. Par ailleurs, si l’adaptation en bande dessinée donne lieu à de nouvelles créations dérivées (comme un film ou une série), il s’avère impératif de prévoir ces éventualités dans le contrat initial afin d’éviter toute difficulté ultérieure.

Dois-je indiquer le nom de l’auteur de l’œuvre littéraire préexistante ? Quid de la prise de liberté par rapport au texte initial ?
Alors que les droits patrimoniaux sur l’œuvre préexistante revêtent un caractère par nature temporaire, le droit moral sur l’œuvre est inaliénable et perpétuel, de telle sorte qu’il ne peut aucunement être transféré et perdure dans le temps, même après l’expiration des droits patrimoniaux. Le droit moral comprend notamment le droit au respect au nom et à l’intégrité de l’œuvre. Cela signifie que l’auteur et après son décès, ses ayants droit, peuvent s’opposer à une adaptation qui irait à l’encontre de l’esprit de l’œuvre telle que voulu par son auteur, et qui porterait atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Dès lors, la frontière peut être mince avec celle d’une éventuelle réécriture et prise de liberté avec le texte initial. Tel est notamment le cas de Gemma Bovery de l’auteur britannique Posy Simmonds, adaptant le roman de Flaubert ou encore celle de Pinocchio par Winshluss. Par ailleurs, l’auteur de la bande dessinée adaptée de l’œuvre première est tenu, au regard du droit au respect au nom, de mentionner le nom de l’auteur de l’œuvre première. Le non-respect de ces dispositions peut également constituer une violation du droit moral, susceptible de faire l’objet de poursuites judiciaires pour contrefaçon.

Les droits portant sur la bande dessinée
Lorsque l’œuvre première fait toujours l’objet d’une protection au titre des droits patrimoniaux, l’adaptation de l’œuvre première constitue une œuvre dérivée, laquelle fait l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur sous réserve de présenter un caractère original qui lui est propre et distinct de celui-ci de l’œuvre première. L’auteur de la bande dessinée détient donc des droits sur sa création (scénario, dessins, etc.), mais ces droits coexistent avec ceux de l’auteur du roman. Ainsi, toute exploitation de la bande dessinée (rééditions, adaptations audiovisuelles, etc.) nécessitera l’accord des deux parties dans le cas dans lequel l’œuvre première bénéficie toujours d’une protection au titre des droits patrimoniaux. Tel n’est pas le cas en cas d’adaptation d’une œuvre entrée dans le domaine public. Ainsi, l’adaptation cinématographique que Stephen Frears a réalisé de Tamara Drewe de l’auteur britannique Posy Simmonds nécessitait d’obtenir les droits d’adaptation audiovisuelle auprès de l’auteur de la bande dessinée par l’intermédiaire d’un contrat de cession de droits d’adaptation audiovisuelle. Il en fut de même pour Gemma Bovery réalisé par Anne Fontaine.

Si vous êtes auteur d’un roman et que vous êtes approché par un tiers qui souhaite procéder à son adaptation sous forme de bande dessinée, il est nécessaire de vérifier que vous êtes toujours titulaire du droit d’adaptation portant sur votre œuvre. Le contrat d’édition initialement signé avec votre éditeur doit effectivement préciser la possibilité de procéder à une telle sous-cession de sa part et éventuellement, un droit d’information à votre égard, lequel est désormais obligatoirement prévu par l’accord interprofessionnel du 20 décembre 2022. L’auteur de bande dessinée souhaitant adapter un roman préexistant dont s’assurer, si celui-ci n’est pas entré dans le domaine public, de conclure un contrat avec le titulaire des droits patrimoniaux sur celui-ci (auteur, maison d’édition, ayant droit, etc.). L’adaptation d'un roman préexistant en bande dessinée est un processus artistique passionnant mais qui peut soulever des difficultés juridiques. L’exposition actuelle au Centre Pompidou met en exergue la richesse des échanges entre littérature et bande dessinée, et nous rappelle l’importance de protéger les droits de chaque créateur tout en encourageant l’innovation artistique.

Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat à la Cour et Collaboratrice du Cabinet 

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition, nous intervenons également en matière de droit des contrats et de droit de l’audiovisuel pour l’ensemble des projets d’adaptation, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).