Reprise contrefaisante d’un titre de livre et destruction des exemplaires
Article publié le 8 janvier 2024
Pierre Boulle fut notamment l’auteur du roman La planète des singes, paru en 1963, livre mondialement connu et adapté à de nombreuses reprises tant au cinéma qu’à la télévision. L’ayant droit de l’écrivain, également auteur du non moins célèbre Pont de la rivière Kwaï, découvrait en 2022 qu’une maison d’édition avait publié un an auparavant un ouvrage reprenant exactement le titre de l’œuvre-phare de Pierre Boulle et consistait en un inventaire illustré et commenté des adaptations au cinéma et à la télévision de l’œuvre romanesque. Faute d’accord amiable entre les parties au litige, l’héritier de l’écrivain assigna la maison d’édition devant le Tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d’auteur, sur le titre La planète des singes, et en réparation de pratiques commerciales trompeuses.
Au terme de son assignation, l’ayant droit de l’écrivain, auquel un très beau avait été consacré à sa vie par Le Monde en avril 2023, soutenait notamment qu’il détenait les droits sur le titre de telle sorte que l’utilisation à l’identique de celui-ci sans son autorisation constituait une contrefaçon. Quant au préjudice, ce dernier consisterait en la dévalorisation de l’œuvre originale, les investissements substantiels que l’héritier devra consentir pour remédier à une telle dévalorisation, ainsi que dans les économies d’investissement et bénéfices indus générés au profit de l’éditeur poursuivi.
Protection et contrefaçon du titre d’un roman
Bien que ni l’originalité du titre La planète des singes, ni la titularité des droits patrimoniaux sur ce titre au bénéfice de l’héritier n’étaient discutées, le Tribunal judiciaire de Paris rappelle, dans sa décision du 15 décembre 2023, les contours de la protection qui peut être accordée au titre d’un ouvrage par le droit d’auteur. Ainsi, l’article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « Le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même ». Quant à la contrefaçon d’un titre original, celle-ci s’entend conformément à une décision de 2002 citée par la juridiction parisienne, « de la reprise des mots et formules qui le constituent pour en faire la locution distinctive sous laquelle une autre œuvre sera divulguée »[1].
L’œuvre incriminée, portant un titre identique à celui de l’œuvre phare de Pierre Boulle ne portait pas sur le livre en tant que tel de l’auteur mais sur les adaptations au cinéma et à la télévision de l’ouvrage mondialement célébré. Dès lors, il ne s’agissait pas d’une référence nécessaire à l’œuvre de l’auteur. La réutilisation non-autorisée d’un titre protégé par le droit d’auteur constitue donc logiquement selon la juridiction parisienne une contrefaçon, « quand bien même l’ouvrage litigieux n’est pas un roman », c’est-à-dire quand bien même ne relèverait-elle pas du même genre littéraire.
Mesures réparatrices
Une fois la contrefaçon constatée, la juridiction devait nécessairement préciser les contours de la sanction à prononcer et, corrélativement, des mesures réparatrices à mettre en œuvre pour réparer le préjudice subi par l’héritier de l’écrivain. Au regard de la « durée brève de l’exploitation » litigieuse et des autres mesures ordonnées, le Tribunal retient, dans sa décision du 15 décembre 2023, un préjudice économique résultant de l’usage sans autorisation du titre fixé à 1.500 euros.
Mais au-delà de cette sanction pécuniaire, ce sont bien les mesures complémentaires qui doivent retenir l’attention. En effet, le Tribunal fait droit aux mesures d’interdiction de vente pour l’avenir et à la demande de rappel et de destruction des ouvrages contrefaisant ce titre et d’accès à l’information sur les stocks existants. En d’autres termes, la maison d’édition est condamnée à retirer l’ouvrage au titre contrefaisant des stocks et circuits de distribution et d’en détruire l’intégralité des exemplaires à ses frais.
Cette solution est régulièrement retenue par les juridictions, à l’instar de la décision rendue par la Cour d’appel de Paris dans un autre litige relatif à une contrefaçon de titre d’un livre, le 19 avril 2019, décision au terme de laquelle la juridiction avait fait interdiction au second auteur et à son éditeur de poursuivre la commercialisation du livre « Mémoires Fauves » avec une injonction d’obtenir des libraires le retour des exemplaires dans un délai de deux mois, sous une astreinte provisoire de 50 euros par exemplaire contrefaisant.
Pareille solution s’appuie sur les dispositions de l’article L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle qui offre au juge la faculté de prononcer, parmi un panel de diverses mesures réparatrices de l’atteinte au droit d’auteur, le rappel des circuits commerciaux et la destruction des ouvrages contrefaisants.
La présente décision dénote, une nouvelle fois, les précautions nécessaires à prendre pour tout éditeur en amont du choix de tout titre au regard des conséquences engendrées par la reconnaissance d’une contrefaçon des termes sous lesquels une œuvre sera divulguée au public.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
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[1] Cass. civ. 1re, 19 févr. 2002, no 00-12.151, Bull. civ. I, no 62.