La cession des droits d’adaptation audiovisuelle
Article publié le 20 septembre 2023
L’adaptation audiovisuelle de livres (littérature, littérature jeunesse et bande dessinée) constitue un enjeu économique important pour le secteur. Ainsi, alors que 75 livres avaient été adaptés par l’audiovisuel en 2015, leur nombre était de 114 en 2018 et de 162 en 2021. Cette augmentation correspond à l’essor et au développement de plateformes telles que Netflix, Amazon Prime et ses concurrents, en raison notamment de l’engouement généré par les téléfilms et séries. Et si près des deux tiers (65%) des adaptations sorties en France s’avèrent issues de livres anglophones, environ une sur cinq (19%) est une adaptation d’un livre en français. En matière de bande dessinée, Netflix avait ainsi proposé en 2020 à ses abonnés de découvrir la série en dix épisodes Snowpiercer, d’après la bande dessinée Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette et son adaptation réalisée en 2013 par Bong Joon-ho.
De telles adaptations sont le fruit d’un très long processus de négociation, de recherche de financements et de mise en production. Ce processus naît très souvent d’une sollicitation d’un éditeur par une société de production. En effet, les maisons d’édition imposent de manière presque systématique la signature d’un contrat d’adaptation audiovisuelle à leurs auteurs ou, en l’absence d’un tel contrat, jouent le rôle d’agent avec une démarche de prospection active pour les éditeurs aux moyens humains importants.
Depuis 1957, les éditeurs français ont obligation de proposer aux auteurs un contrat cinématographique, dit audiovisuel, distinct du contrat d’édition, celui-ci ne pouvant prévoir une cession des droits d’adaptation audiovisuelle en leur sein. Cette obligation est consacrée à l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Les cessions portant sur les droits d’adaptation audiovisuelle doivent faire l’objet d’un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’œuvre imprimée. Le bénéficiaire de la cession s’engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l’auteur, en cas d’adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues ». Le législateur a donc imposé une séparation entre le contrat d’édition et le contrat d’adaptation audiovisuelle afin de permettre à l’auteur de prendre pleinement conscience de l’importance de ces droits d’adaptation, notamment d’un point de vue économique. Cette scission est également présente en droit belge, le contrat de cession des droits d’adaptation et d’exploitation audiovisuelle et multimédias faisant également l’objet d’un contrat séparé.
Plusieurs situations peuvent alors se présenter. Il arrive que les auteurs parviennent à conserver leurs droits, à l’instar d’Hergé de René Goscinny ou encore de Jean Van Hamme en matière de bande dessinée. Ils peuvent alors négocier directement l’adaptation de leur œuvre ou confier cette négociation notamment à un agent, indépendant de leur éditeur. Mais la situation la plus courante est celle de la signature du contrat d’adaptation audiovisuelle par les auteurs au bénéfice de leur éditeur. Il conviendra alors de prendre connaissance avec attention des conditions proposées, dès lors que celles-ci auront une influence notable sur tout contrat d’option qui pourrait être ensuite signé entre la maison d’édition et toute société de production.
La rémunération prévue au sein du contrat : un partage auteur – éditeur
Au regard des pratiques connues du domaine de l’édition, et ce quel que soit le genre éditorial concerné, la rémunération attachée à l’adaptation audiovisuelle est dans la plupart des hypothèses répartie par moitié entre l’éditeur et l’auteur ou les auteurs si l’œuvre concernée est une œuvre de collaboration. Mais un tel partage égalitaire pourra évidemment être âprement négocié, notamment si l’auteur concerné ou l’œuvre envisagée bénéficient déjà d’une renommée certaine.
De la même manière, une modulation des taux peut être envisagée si l’auteur parvient à être son propre agent et celui de l’éditeur en trouvant une société de production intéressée par la signature d’un contrat d’option. Une telle négociation devra être précisément retranscrite dans le contrat d’adaptation audiovisuelle et les conditions de prospection de l’auteur bien envisagées afin d’éviter toute concurrence inutile et contreproductive avec l’éditeur.
Enfin, il est nécessaire d’être vigilant quant à l’imputation d’éventuels frais et commissions par l’éditeur en sus de la réparation égalitaire des droits. Et il n’est pas rare que certaines maisons d’édition aient créé en parallèle de leur structure sociale une entreprise distincte chargée de la prospection et de la négociation des droits qui bénéficierait alors elle-même d’une rémunération au détriment de l’auteur.
L’assiette de calcul de la rémunération
L’assiette prise en considération pour le calcul des droits revenant à l’auteur ou aux auteurs est ici celle des RNPP, c’est-à-dire des recettes nettes part producteur. Depuis trois accords interprofessionnels signés le 6 juillet 2017, dont un « accord entre auteurs et producteurs d’œuvres audiovisuelles relatif à la transparence des relations auteurs-producteurs et à la rémunération des auteurs », une définition uniforme des Recettes nettes part producteur opposable aux auteurs (dites RNPP-A) a été établie, dans un but d’harmonisation des pratiques dans les contrats de l’audiovisuel. Au terme de l’article 3-B), l’accord énonce que les recettes nettes part producteur RNPP-A constituent l’assiette minimale de toute rémunération proportionnelle revenant à l’auteur, et en définit le calcul. Les RNPP-A servent ainsi d’assiette à la rémunération légale pour les modes d’exploitation à gestion individuelle, puisqu’une rémunération assise sur le prix public hors taxes est souvent impossible à calculer et explique ici la différence avec les pratiques en matière de contrat d’édition.
La durée, le territoire et l’étendue de la cession
Dès lors que le contrat envisagé consiste en une cession de droits d’auteur, cette cession doit être précisée dans sa durée, son territoire, son caractère exclusif ou non et ses modes d’exploitation. La jurisprudence fait une application stricte de cet impératif. Ainsi, encourt la nullité toute cession de droits d’auteur qui ne respecterait pas ces conditions.
En ce qui a trait à la durée, les pratiques connues du domaine de l’édition correspondent, à l’instar du contrat d’édition lui-même, d’envisager une durée de cession égale à la durée de protection du droit de la propriété littéraire et artistique, c’est-à-dire toute la vie de l’auteur et soixante-dix ans après son décès. Une négociation relative à la durée de la cession accordée à l’éditeur est ainsi pleinement envisageable et toute prorogation à la demande de l’éditeur pourrait alors donner lieu à un complément de rémunération ou à une renégociation de celle-ci au bénéfice de l’auteur. Et dans l’hypothèse d’une rétrocession des droits d’adaptation audiovisuelle au bénéfice de l’auteur, celui-ci est alors libre de négocier directement avec tout producteur éventuelle. Cette modulation apparaît d’autant plus légitime que l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit bien que le bénéficiaire de la cession, c’est-à-dire l’éditeur, « s’engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession ». Faute pour celui-ci de rechercher véritablement une telle exploitation complémentaire, il serait possible de l’auteur de se voir rétrocéder ses droits.
En ce qui a trait au territoire, au regard de l’économie de l’audiovisuel – qu’il s’agisse de ses modalités de financement, notamment par le biais de coproductions internationales, ou de ses modalités de diffusion – il apparaît délicat de tenter de limiter l’étendue géographique de la cession consentie à un éditeur.
Enfin, en ce qui a trait aux modes d’exploitation, il conviendra d’être particulièrement vigilant sur une limitation à la seule adaptation audiovisuelle. Toute exploitation connexe à cette adaptation (ouvrages, jeu de société, jeu vidéo, spin-off, produits dérivés divers, etc.) doit être exclue pour éviter une trop grande dépossession de l’auteur, à moins qu’un accord financier distinct et conséquent ne soit négocié. Or, il peut arriver qu’une adaptation en bande dessinée d’un film, lui-même adapté de l’univers d’une bande dessinée préexistante, puisse être envisagée. L’exemple d’Astérix – L’Empire du Milieu, bande dessinée dont les dessins étaient de Fabrice Tarrin et le texte d’Olivier Gay « d’après le film de Guillaume Canet » sorti en salles en 2023, peut être ici cité en parfaite illustration d’une telle situation.
La possibilité d’être co-signataire de tout contrat d’option
Il est souvent recommandé à juste titre de tenter de négocier, sous peine de nullité du contrat audiovisuel futur, la présence de l’auteur et sa signature lors de la négociation du contrat d’option véritable contrat préparatoire au contrat final avec le producteur intéressé. Cette modulation du contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle permettra alors à l’auteur d’être partie prenant à la négociation du contrat d’option et à faire valoir ses droits et ses intérêts qui peuvent être différents de ceux de l’éditeur.
L’aménagement éventuel du droit moral
Il est recommandé d’éviter d’accorder à l’éditeur trop de liberté dans la possibilité de négocier une grande marge d’inspiration par rapport à l’œuvre adaptée au bénéfice du producteur. Si par principe le droit moral n’est pas cessible et si par principe il n’est pas permis de renoncer préalablement à son exercice, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence française semble considérer avec une certaine tolérance l’atteinte portée à une œuvre littéraire ou à ses personnages, dès lors notamment que des adaptations sont nécessaires afin de conquérir la cible nouvelle qui ne correspond pas un public de lecteurs mais de spectateurs souvent moins connaisseurs de l’œuvre d’origine.
C’est pourquoi, les contrats d’adaptation précisent souvent, dans des formulations plus ou moins éloignées, que « le producteur aura le droit d’apporter au roman toutes les modifications qu’il jugera utiles pour les besoins de l’adaptation cinématographique ». De la même manière, il est alors corrélativement précisé que « dans le cas où ces modifications, additions ou suppressions ne recevraient pas l’accord de l’auteur, ce dernier (ou ses ayants-droits) aurait la faculté d’interdire au producteur de mentionner le nom de l’auteur et de l’éditeur dans la publicité et sur le générique, mais il ne pourra en aucun cas entraver la sortie et l’exploitation du film », conformément aux dispositions de l’article L. 121-6 du Code de la propriété intellectuelle. C’est ainsi qu’il semble que l’héritier de Jean-Michel Charlier n’avait pas souhaité que le nom de son père soit porté au générique de l’adaptation de Blueberry réalisée par Jan Kounen, à l’inverse de Jean Giraud. Par ailleurs, le générique du film indiquait expressément que l’adaptation était « librement inspirée » de la série de bandes dessinées éponyme.
Enfin, il est parfois obtenu de la part de l’auteur de se voir remettre le scénario ou d’avoir voix au chapitre pour le nom du réalisateur ou encore des acteurs. Mais cette prérogative est bien rare et la remise préalable d’un scénario d’emporte pas la possibilité de pouvoir pleinement s’opposer à l’avenir du film, à l’image du film Gaston Lagaffe pour lequel Isabelle Franquin avait pu avoir accès à une première version du scénario sans pouvoir éviter une telle adaptation dès lors que les droits d’adaptation avaient été contractuellement cédés. Une telle solution étant bien évidemment différente de celle qui prévaudrait en cas de suite donnée à un livre, à un album ou à une série d’albums.
L’irruption des plateformes dans l’économie audiovisuelle
Un dernier point d’attention doit être envisagé en ce qui concerne la rémunération de l’auteur, dès lors que la diffusion n’épousera pas les voies autrefois habituelles de l’œuvre cinématographique ou audiovisuelle et que les droits seront in fine cédés pour une diffusion par le biais d’une plateforme telle que Netflix ou Amazon Prime. Le calcul de la rémunération de l’auteur avec comme assiette les RNPP peut dans une telle situation être inopérant. C’est pourquoi, d’autres modalités de rémunération doivent être envisagés et discutés en amont avec l’éditeur cessionnaire ou en aval avec l’agent qui défendra au mieux les droits de l’auteur.
Et l’irruption de ces plateformes dans l’économie de l’adaptation audiovisuelle est d’importance. Au-delà de l’exemple précité du Transperceneige, Netflix poursuit sa volonté de travailler avec plusieurs structures détentrices de droits d’auteurs célèbres, telles que la Roald Dahl Story Company. C’est ainsi qu’en septembre 2021, la plateforme américaine annonçait que James et la grosse pêche, Le Bon Gros Géant ou Sacrées sorcières avaient vu leurs droits d’adaptation transférés à son bénéfice en vue de leur mise en production. Et en juin 2023, Wes Anderson annonçait que pour son douzième film il adapterait quatre nouvelles du recueil de Roald Dahl The Wonderful Story of Henry Sugar and six more, dont la diffusion est annoncée pour l’automne prochain.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition, nous intervenons également en matière de droit des contrats et de droit de l’audiovisuel pour l’ensemble des projets d’adaptation, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).