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La reconnaissance en demi-teinte du statut d’auteur du coloriste de bande dessinée

Article publié le 18 septembre 2023

La cinquantième édition du festival d’Angoulême avait consacré, en janvier 2023, une partie de l’exposition « Couleurs ! » à la reconnaissance du travail du coloriste et entendait ainsi « accompagner la reconnaissance d’un statut longtemps invisibilisé ». Cette reconnaissance institutionnelle de plusieurs figures de la mise en couleur, parmi lesquelles il importe de citer notamment Évelyne Tran-Lê, Anne Delobel, Isabelle Merlet ou encore Brigitte Findakly, ne se double pourtant pas systématiquement d’une reconnaissance contractuelle, tant sur le plan des droits que sur celui de la rémunération. S’il est vrai que certaines interventions sur la mise en couleur peuvent relever du seul déploiement d’un savoir-faire technique, notamment lorsque le coloriste reprend une charte et un univers préalables à son intervention, la plupart des mises en couleur relève de choix personnels qui offrent une narration distincte de celle de l’œuvre en noir et blanc. C’est à ce titre que les coloristes devraient voir leur statut d’auteur affirmé et une rémunération proportionnelle accordée.

La nécessaire reconnaissance du coloriste comme auteur
Certaines hypothèses assez résiduelles pourraient inciter à ne pas rattacher le nom d’un coloriste à l’œuvre sur laquelle il intervient, en raison des contraintes qui lui sont imposées et ne lui octroyant aucune ou bien peu de marge de manœuvre, ou du statut sous lequel il intervient, à l’instar du salariat. Il est pourtant notable que des albums de séries à très grand tirage fassent mention du nom du coloriste, quand bien même la palette de couleurs préexistait à son intervention et qu’une telle palette participe à l’identification immédiate de l’univers de la série.
Historiquement, la colorisation semblait constituer en premier lieu un travail d’assistanat, bien souvent non crédité. C’est ainsi, par exemple, que Edgar P. Jacobs fut remarqué pour ses dons de coloriste par Hergé qui lui confia le remaniement de sept albums de Tintin avant qu’ils ne connaissent une nouvelle version en quadrichromie, caractérisée par les aplats si prisés par Jacobs. Et les reprises des mises en couleur ne sont pas rares en matière de bande dessinée, de telles reprises intervenant à l’occasion des diverses éditions ou parutions successives d’un même album. Là encore, l’exemple de l’œuvre et du travail de Jacobs peuvent constituer un cas d’école, avec des mises en couleur distinctes entre les prépublications dans le Journal de Tintin, puis à l’occasion de la parution de l’album au Lombard, sa réédition aux éditions Blake & Mortimer et sa nouvelle édition sous l’égide des éditions Dargaud. Au moment où le maître de la ligne claire offre une nouvelle version de ses albums au début des années 1980, le travail des coloristes et des lettreurs est alors invisibilisé par la seule mention « Studio Jacobs », alors même que Jacobs avait pendant longtemps refusé de déléguer cette intervention qu’il considérait comme faisant partie intégrante du travail du dessinateur.
Au-delà de ces cas spécifiques, la réalisation de choix libres et créatifs de la part des coloristes impose la nécessaire reconnaissance de leur intervention comme relevant du champ du droit d’auteur, dès lors que doit uniquement être prise en considération l’apport original accordé à l’œuvre[1]. L’association des couleurs opérée et l’organisation des séquences narratives réalisée offrent autant de prises à la reconnaissance de l’originalité de l’intervention. Le caractère accessoire de cette intervention ou encore le caractère postérieur à l’achèvement d’une œuvre en noir et blanc ne sauraient empêcher la reconnaissance d’une auctorialité.

La mention du nom du coloriste
Corrélativement à la reconnaissance de sa qualité d’auteur, le coloriste jouit du droit au respect de son nom, composante du droit moral[2]. Ainsi, et si la mention du nom des coloristes apparaît aujourd’hui évidente, cela ne l’a pas toujours été. Il aura fallu, en France, attendre la parution en 1971 de L’Empire des mille planètes, dessiné par Jean-Claude Mézières et scénarisé par Pierre Christin, pour que le nom d’un coloriste, Évelyne Tran-Lê, soit pour la première fois mentionné. Dorénavant la revendication porte sur l’emplacement du nom et de la qualité du coloriste au sein de l’ouvrage ainsi que sa présence éventuelle sur la couverture même de l’album. À défaut d’usage ou de concertation de branche en ce domaine, l’emplacement du nom du coloriste dépendra des discussions contractuelles et des indications portées dans les contrats respectivement conclus. Il est néanmoins assez rare que l’indication du nom du ou de la coloriste apparaisse en page de titre ; les usages constatés semblent davantage renvoyer cette indication dans le purgatoire de la page 6. 

La rémunération visée au sein du contrat d’édition
En contrepartie de la nécessaire cession de droits d’auteur à un éditeur, ce dernier doit par principe verser à l’auteur concerné une rémunération proportionnelle aux produits tirés de l’exploitation de l’œuvre[3]. Une nouvelle fois, et à défaut de véritable structuration de l’économie de l’édition en matière de bande dessinée, un usage plus ou moins établi veut que la répartition de droits entre scénariste et dessinateur soit égalitaire. Une telle répartition s’avère modulée en cas d’intervention d’un coloriste tiers avec, en pareille hypothèse, une répartition 45/45 entre le scénariste et le dessinateur, 10% revenant alors au coloriste. Parfois la modulation de droits n’est consentie que par le dessinateur, à l’image des premières rétrocessions de droits d’auteur au profit des coloristes intervenues dans les années 1980. Toutefois cette répartition relève davantage de l’accord de l’ensemble des auteurs, plutôt que d’une normalisation de la part des éditeurs. En effet, ces derniers ont tendance, aussi bien en France qu’en Belgique, à proposer une diversité de contrats aux coloristes. Ceux-ci peuvent se voir proposer des contrats de coauteur, des contrats d’auteur avec une rémunération proportionnelle, des contrats d’auteur avec une rémunération forfaitaire ou encore des contrats de prestation de service. Si le principe cardinal de la rémunération proportionnelle est dûment respecté, un à-valoir, bien évidemment récupérable, est alors habituellement versé au coloriste. Dans certaines hypothèses, à la rémunération proportionnelle – à laquelle est adossée un à-valoir – s’ajoute parfois une rémunération forfaitaire complémentaire au regard du nombre de planches sur lesquelles le coloriste est intervenu. Et il semble ressortir des témoignages des coloristes que, parmi les éditeurs au catalogue les plus vastes du secteur, seules les éditions Delcourt proposeraient de manière systématique une rémunération proportionnelle au bénéfice des coloristes. 

La rémunération sur les autres exploitations de l’album
La problématique la plus délicate est assurément celle des exploitations secondaires ou dérivées de l’œuvre à laquelle le coloriste a pu apporter son concours. À cet égard, il n’est pas rare que les contrats envisagent de manière expresse l’exclusion de toute rémunération complémentaire sur les droits d’adaptation, secondaires ou dérivés. Rares sont les hypothèses où une rétrocession de droits de la part du scénariste et du dessinateur au bénéfice du coloriste est prévue pour ces autres modalités d’exploitation de l’œuvre concernée. Une telle situation n’apparaît pas, de prime abord, inéquitable ; elle doit néanmoins être discutée en amont afin de purger toute difficulté future dans l’exploitation des droits sur l’œuvre par un tiers ou pour éviter toute difficulté dans l’exploitation d’une série en cours. En réalité, il conviendra de déterminer avec soin quel a été le rôle du coloriste dans le processus créatif et surtout sa temporalité afin de cerner au mieux les droits qu’il pourrait être amené à revendiquer.   

Un article écrit par Me Alexis Fournol, 
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de l’art, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] Et ce, conformément à l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[2] Code de la propriété intellectuelle, article L. 121-1 alinéa premier ; Code de droit économique belge, article XI.165 §2.
[3] Code de la propriété intellectuelle, articles L. 131-4 et L. 132-5 ; Code de droit économique belge, article XI. 167/1.