Vers une future loi-cadre sur la restitution des restes humains
Article publié le 15 septembre 2023
Le 13 juin 2023, la proposition de loi-cadre relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques a été adoptée en première lecture et à l’unanimité par le Sénat. Dans la continuité d’une précédente proposition de loi sénatoriale, jamais inscrite à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale, et dans celle d’une mission d’information dédiée, le texte adopté vient déterminer un cadre général afin de permettre la sortie des collections nationales de tels biens particulièrement sensibles. Cette proposition de loi, si elle venait à être définitivement adoptée, deviendrait alors la deuxième des trois lois-cadres en matière de restitution, après celle dédiée aux spoliations antisémites, ayant été adoptée le 22 juillet 2023, et avant celle relative aux biens acquis dans un contexte colonial. Pareil découpage législatif semblait nécessaire au regard des spécificités de chacune de ces catégories, spécificités qui imposaient un traitement législatif autonome, quand bien même certains traits communs existent dans la mise en place d’un cadre général relatif à la sortie des collections publiques de restes humains qui y sont conservés, afin de les restituer à des États tiers. La proposition de loi définit ainsi la procédure et les conditions de dérogation au principe d’inaliénabilité des biens relevant du domaine public, celui-ci comportant selon le rapport de la mission d’information près de 150.000 dépouilles humaines patrimonialisées dont quelques milliers d’entre elles seraient d’origine étrangère.
Ainsi, ce ne sont pas des œuvres d’art qui s’avèrent essentiellement concernées, mais davantage des restes humains, présents sous diverses formes dans les collections publiques, nationales ou non. La diversité est ici de mise avec, par exemple, des momies d’Égypte ou d’Amérique latine, des crânes de combattants s’étant opposés à la colonisation de leur pays par la France ou de squelettes de personnes que l’anthropologie naissante pensait classer en catégories raciales. La sénatrice Catherine Morin-Desailly, à l’origine de la proposition de loi, révélait également l’existence de cas de figure moins connus, à l’instar de celui de cinq crânes rapportés en France après le génocide arménien dans le cadre d’une mission scientifique. Si aujourd’hui, trois États réclament de manière régulière la restitution de certains restes humains, dont Madagascar, l’élaboration d’un nouveau cadre de restitution devrait inciter d’autres États à saisir la France de demandes de restitution.
Une nouvelle proposition de loi dépourvue de comité scientifique
Une proposition similaire avait déjà été déposée par les actuels promoteurs du texte. Cette première proposition, semblable sur de nombreux aspects, avait d’ailleurs été adoptée en première lecture le 10 janvier 2022 au Sénat, mais son inscription à l’ordre du jour dans l’autre chambre n’avait jamais été réalisé. Une telle mise au ban semble devoir être expliquée par la volonté sénatoriale d’alors de créer un conseil scientifique qui aurait été amené à exprimer son avis sur les demandes de restitution. Pareil organe est dorénavant absent du texte adopté en première lecture.
Une décision dévolue au Premier ministre
Le texte prévoit la création d’un article L. 115-5 au sein du Code du patrimoine, qui viendra fixer les modalités de ces rétrocessions. Le Premier ministre aura dorénavant seul compétence pour les autoriser en passant par la voie d’un décret pris en Conseil d’État, sur la base d’un rapport établi par le ministre de la Culture. Une dévolution au pouvoir réglementaire est ainsi à l’œuvre. Cette procédure permet d’éviter d’avoir recours à une loi spécifique, dite ad hoc, à l’instar de celles relatives à la restitution de la dépouille de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud ou à la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Poursuivant les mêmes objectifs que les autres lois-cadres, celle-ci poursuit un souci d’efficacité par une simplification de la procédure à mettre en œuvre. L’accord à la restitution de la collectivité concernée serait également exigé dans le cas où le reste humain appartient à son domaine public.
Les conditions de mise en œuvre
La restitution est, dans un premier temps, doublement limitée. La mise en mouvement de la procédure est soumise au dépôt préalable d’une demande de restitution par un État tiers et à la preuve que la restitution du reste humain s’avère justifiée au regard des atteintes portées à la dignité humaine lors de sa collecte ou au regard du respect dû aux croyances et cultures des autres peuples. Ainsi, la sortie des collections des restes humains sera exclusivement réservée à leur restitution à un État étranger à des fins funéraires et doit être motivée par la volonté d’assurer le respect de la dignité humaine. Cet encadrement est nécessaire afin de pouvoir déroger au principe d’inaliénabilité. Bien qu’un tel principe n’ait pas valeur constitutionnelle, le législateur ne peut y déroger que de manière limitée et encadrée, encadrement qui se déploie dans son principe de manière identique pour la restitution de biens spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale.
D’autres critères sont également visés afin de permettre un contrôle sur la demande de restitution. Ainsi, une telle demande doit être circonscrite aux seuls restes humains identifiés d’origine étrangère, c’est-à-dire aux restes humains relatifs à des individus dont l’identité est déterminée ou dont l’identité est inconnue, l’origine géographique devant alors clairement établie. À ce critère d’identification personnel ou géographique s’adjoint un critère temporel. Ne peuvent ainsi être concernées par le futur champ d’application de la loi-cadre à venir que les personnes présumées décédées depuis moins de cinq-cents ans. Un tel délai butoir semble justifié par la difficulté attachée à l’établissement d’un lien entre ces restes humains et une catégorie d’origine, par exemple ethnique ou communautaire. De la même manière, au-delà de cette temporalité, un basculement vers une qualification archéologique semble être à l’œuvre. C’est pourquoi, En cas de doute sur l’identification d’une dépouille ou d’un reste humain, un comité composé à parts égales de scientifiques désignés par l’État demandeur et par la France serait chargé de vérifier l’origine des pièces conservées dans les collections, si besoin en ayant recours à des expertises génétiques.
L’interrogation attachée à la finalité funéraire
Néanmoins, un aspect de la proposition de loi soulève quelques interrogations. En effet, la restitution doit poursuivre une finalité funéraire. Ce principe, qui semble donc exclure corrélativement la faculté de pouvoir exposer le reste humain – à l’image d’une momie égyptienne – dans le pays d’origine, impose à l’État revendiquant, et à la communauté qui peut être à l’initiative de la demande, une absence de liberté dans la destination finale du reste humain restitué. Surtout, quel contrôle pourra véritablement être opéré une fois le reste humain rendu, d’autant que les usages funéraires sont multiples et ne correspondent pas nécessairement à une inhumation ou à une crémation.
Une information continue du Parlement
La loi-cadre du 22 juillet 2023 imposait aux institutions tant un devoir d’exemplarité qu’un devoir de recherche, la loi soumettant également le gouvernement à l’obligation de remettre au Parlement tous les deux ans un rapport dressant l’inventaire des restitutions de biens culturels spoliés. Ce devoir d’information au bénéfice des parlementaires est ici repris avec la remise d’un rapport annuel devant présenter les demandes de restitution pendantes, les décisions de sortie des collections prises au cours de l’année écoulée et les travaux préparatoires ayant conduit à cette décision, ainsi que les restitutions effectivement intervenues.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels (commissaires-priseurs, marchands, experts galeristes) et particuliers confrontés à des problématiques attachées à la revendication - amiable ou non - de biens dont la traçabilité peut se révéler délicate à prouver. À titre d’illustration, le Cabinet a ainsi pu intervenir, en 2021 et en 2022, à la demande de maison de ventes aux enchères publiques afin de déterminer si certains biens – composés en partie de restes humains non identifiables – pouvaient faire l’objet d’une mise en vente.