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L’écrivain, coauteur potentiel de l’œuvre audiovisuelle

Article publié le 25 septembre 2023

L’auteur d’un livre qui voit son œuvre adaptée au cinéma, à la télévision ou sur une plateforme de contenus sur Internet est-il nécessairement co-auteur de l’œuvre dérivée de son travail ? Tout dépendra de l’implication de l’auteur de l’œuvre préexistante dans le processus créatif attaché à l’adaptation audiovisuelle, dûment autorisée par l’auteur ou bien souvent par l’éditeur du livre ou de la bande dessinée concernée.

Une assimilation aux auteurs de l’œuvre audiovisuelle
L’article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle énonce que « ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre », avant de préciser en son troisième et dernier alinéa que « lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle ». La loi opère donc expressément une « assimilation » de l’auteur ou des auteurs de l’œuvre première – comme en matière de bande dessinée où le scénariste et le dessinateur sont coauteurs de l’œuvre – aux auteurs de l’œuvre audiovisuelle. Ainsi, même si l’auteur de l’œuvre originale n’a pas contribué à la création du film, il bénéficie toutefois d’un statut identique à celui des auteurs du scénario, de l’adaptation du texte parlé, de la composition musicale et du réalisateur, lesquels sont réputés avoir la qualité de coauteur d’une œuvre réalisée en collaboration.
Six catégories de créateurs bénéficient d’une telle présomption en raison de leurs fonctions dans le processus créatif. La solution repose ici sur le principe de la vraisemblance. Dès lors, si la preuve contraire peut être rapportée, les personnes visées au second alinéa de l’article L. 113-7 perdent corrélativement la qualité de coauteur qui leur était accordée par principe. Cette possibilité de preuve contraire ne s’avère cependant pas admissible en ce qui a trait à l’auteur de l’œuvre préexistante de laquelle est tirée l’œuvre audiovisuelle. En effet, celui-ci doit être nécessairement considéré comme un auteur en raison d’une fiction juridique qui ne peut être combattue. 

Une assimilation qui ne vaut pas reconnaissance de la qualité de coauteur
Pour autant cette « assimilation » n’emporte pas pour l’auteur de l’œuvre originale la qualité de coauteur, à moins qu’il n’ait participé, qu’il n’ait concouru à la création de l’œuvre audiovisuelle. Celle-ci s’apprécie, en effet, comme une nouvelle œuvre, certes dérivée mais présentant une certaine autonomie par rapport à l’œuvre préexistante sur laquelle elle prend appui. Par ailleurs, l’œuvre audiovisuelle consiste en une œuvre de collaboration. Or, et de jurisprudence constante, une œuvre de collaboration se caractérise par une « participation concertée » et « une communauté d’inspiration » entre les auteurs[1]. L’auteur – écrivain, scénariste, dessinateur – qui serait resté à l’écart du processus de création de l’œuvre audiovisuelle ne saurait donc revendiquer un quelconque droit sur l’œuvre nouvelle en arguant d’une qualité de coauteur.
Pareille solution vient d’être confortée par la Cour de cassation au terme d’une décision du 29 mars 2023[2]. Dans cette espèce, la cour d’appel avait retenu que le compositeur requérant ne démontrait ni même n’alléguait avoir pris part à la conception de l’œuvre audiovisuelle non sonorisée. Le compositeur ne parvenait qu’à justifier de l’existence d’un travail indépendant effectué sur la base de la version définitive du film préalablement réalisé. En ce sens, la bande-son qu’il avait créée avait été uniquement incorporée à l’œuvre préexistante sans collaboration avec le réalisateur. Dès lors, en l’absence de participation concertée et de communauté d’inspiration avec le réalisateur, le compositeur ne pouvait être reconnu comme le coauteur de l’œuvre audiovisuelle non sonorisée, malgré la présomption accordée par le Code de la propriété intellectuelle. Cette solution n’est pas nouvelle. La Cour d’appel de Paris a pu encore retenir récemment, à propos d’œuvres de Louis Aragon mise en chanson par Jean Ferrat, que « s’agissant d’œuvres dont la musique a été composée après la mort de l’auteur du texte, il n’a pu y avoir de participation concertée entre le poète et le compositeur, de sorte que […] il ne s’agit pas d’œuvres de collaboration, mais d’œuvres composites »[3]. Il en serait de même, par exemple, pour un dessinateur qui viendrait achever une œuvre pour laquelle le scénariste serait précédemment décédé et sans qu’une concertation véritable n’ait existé. Et ce, à l’image du deuxième tome des Trois Formules du professeur Sato pour lequel Bob de Moor fut chargé par les Éditions du Lombard de dessiner l’intégralité des planches de l’album à partir du scénario et des crayonnés réalisés par E. P. Jacobs avant son décès.

La nécessaire participation active de l’auteur de l’œuvre première
De la même manière, l’auteur de l’œuvre première qui se contenterait d’un rôle de « conseil, entremise et suggestion », « à l’exclusion de toute directive dans les tournage et montage, comme de toute fourniture de commentaire ou de traduction », ne saurait se voir reconnaître la qualité de coauteur[4] et ce, même si des formules de présentation plus ou moins ambigües, telles que « avec le concours de » ou « avec l’assistance de », peuvent figurer au générique.
Il arrive néanmoins fréquemment que les auteurs de l’œuvre adaptée souhaitent être associés au travail d’adaptation, notamment en qualité de co-auteurs du scénario. Leur participation devra alors être celle d’un véritable auteur et non pas celle d’un simple conseiller ou d’une figure tutélaire sous peine de voir la présomption d’auctorialité qui pourrait leur bénéficier être remise postérieurement en cause à l’occasion d’un procès.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition, nous intervenons également en matière de droit des contrats et de droit de l’audiovisuel pour l’ensemble des projets d’adaptation, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] V. not. Cass. civ. 1re, 21 mars 2018, no 17-14.728.
[2] Cass. civ. 1re, 29 mars 2023, no 22-13.809.
[3] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 12 janv. 2021, RG no 15/19803, confirmé par Cass. civ. 1re, 8 févr. 2023, no 21-23.976.
[4] V. not. Cass. civ. 1re, 28 oct. 2003, no 01-03.711.