Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La destruction non fautive d’une fresque par une commune

L’actualité contentieuse opposant des communes à des artistes en raison de l’atteinte portée aux œuvres placées dans l’espace public ou rattachées à un ouvrage ayant une vocation utilitaire est le reflet d’une réelle judiciarisation de la question et d’une prise de conscience sans doute plus aigüe de la part des artistes de leurs droits. Pour autant, la seule destruction d’une œuvre d’art ne saurait en elle-même permettre à son auteur de bénéficier d’une indemnisation. C’est là la solution dégagée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 8 décembre 2022.

Dans l’espèce commentée, il était indéniable que la politique d’urbanisation de la commune avait porté irrémédiablement atteinte à l’œuvre en litige, puisque la destruction réalisée de l’amphithéâtre avait corrélativement emporté la destruction de l’un de ses murs sur lequel l’œuvre était incorporée. L’œuvre consistait ici en une fresque en mosaïque réalisée par deux personnes. Imaginée et conçue par l’appelant, ce dernier en avait confié la réalisation matérielle à une seconde personne, laquelle avait semble-t-il agi en qualité d’artisan ou de fabricant des carreaux de mosaïque, sous la seule direction de l’auteur. C’est dans ces conditions que l’auteur des dessins de la fresque a fait assigner la commune en violation de ses droits d’auteur au regard de la destruction irrémédiable de son œuvre.

Cette situation, malheureusement de plus en plus courante, revêtait néanmoins ici une spécificité. En effet, l’assistant de l’auteur avait donné expressément son accord pour la destruction. La commune dont la responsabilité était recherchée avait donc tenté de faire reconnaître à ce second intervenant dans le processus créatif une titularité en tant que maître d’œuvre d’une œuvre collective. C’est pourquoi, et avant même que la question de l’atteinte au droit d’auteur ne soit envisagée, la question de la titularité des droits sur l’œuvre fut examinée. Si l’argument porta en première instance, l’artiste contestant la destruction ayant été alors jugé irrecevable, cette solution est néanmoins infirmée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[1].

L’étonnante reconnaissance en appel de la qualité d’auteur d’une œuvre de collaboration
En première instance, la commune avait ainsi été reconnue titulaire des droits sur une œuvre collective[2] par les premiers juges, qui avaient considéré que « la fresque était une œuvre collective créée sous la direction de la commune et par elle divulguée »[3]. Pourtant si l’œuvre a effectivement été commandée par la commune, qui en a eu l’initiative, cela était-il suffisant pour faire de la commune l’auteur d’une œuvre collective ? La Cour d’appel infirme utilement le jugement en relevant qu’aucun appel d’offre ni aucun document n’est venu matérialiser cette commande.
En pratique, et en l’absence de contrat, la qualification d’une œuvre collective se heurte à une difficulté probatoire puisqu’il faut pouvoir démontrer que la personne à l’initiative de l’œuvre l’a éditée, publiée et divulguée sous sa direction et son nom. Il n’est pas rare de devoir s’appuyer sur des photographies d’atelier ou de chantier qui viendraient attester de la présence d’une personne, le maître d’œuvre, semblant diriger le processus créatif de l’ensemble des auteurs participant à l’élaboration du projet.
En l’espèce, l’œuvre a été divulguée sous le seul nom des deux coauteurs. L’appelant ajoute que « [la commune] n'a eu aucun rôle de direction et de maîtrise d'œuvre intellectuelle. Il précise que les contributions de deux auteurs sont parfaitement identifiables, lui-même étant à l'origine des dessins de la fresque et monsieur [T] réalisant la fresque sous sa direction. ». Son argumentation conforte la Cour d’appel dans son raisonnement qui rappelle la distinction entre une simple indication donnée sur le sujet à traiter d’une œuvre commandée, d’un acte de maîtrise d’œuvre.
La Cour résume ainsi « en admettant même que la commune ait donné aux artistes des indications sur le sujet à traiter, rappelant notamment la nécessité d'illustrer le patrimoine culturel et historique de la cité, cette simple indication ne peut être considérée comme constituant un ensemble de règles imposées aux auteurs et constituant un acte de maîtrise d'œuvre ». En matière d’œuvre de commande, la seule indication d’une thématique aussi précise soit-elle ne suffit pas à annihiler la liberté créatrice de l’auteur et corrélativement la possibilité de pouvoir exprimer sa personnalité.

Mais la logique première de la Cour d’appel n’est que passagère. Refusant de faire droit à la qualification demandée par la commune, la Cour préfère qualifier la fresque d’œuvre de collaboration[4]. Cette conclusion résulte assurément de la divulgation de l’œuvre sous le nom des deux intervenants, sans rechercher la qualité respective de ces deux intervenants.
Pour autant, cette qualification n’emporte pas de difficulté dans la recevabilité de l’action en contrefaçon du droit moral, dès lors que la Cour d’appel applique opportunément un principe jurisprudentiel bien établi selon lequel en matière de protection du droit moral un seul auteur peut agir. La circonstance que les autres auteurs soient défaillants, aient expressément renoncé à leur droit ou « le fait que [l’architecte], le second auteur, ait par écrit donné son accord pour la destruction de la fresque »[5] est indifférent quant à la recevabilité de l’action formée par l’artiste seul qui conteste la destruction.

Dans une affaire similaire, la ville de Marseille, propriétaire du stade Vélodrome de 1995, en avait attribué le marché de rénovation à deux cotraitants. Quelques années plus tard, la ville décida de modifier le stade pour l’Euro 2016 de football. L’architecte représentant le second groupe de cotraitants avait alors assigné la ville pour atteinte à l’intégrité de son œuvre. En première instance, les juges avaient là aussi retenu la qualité d’œuvre collective réalisée sous la direction de la ville de Marseille. Mais la Cour infirma la décision en appel relevant que l’architecte était intervenu « exclusivement » dans la phase initiale de conception et « systématiquement » dans les autres phases du processus de construction. Les autres architectes du groupement de conception n’étaient intervenus, quant à eux, qu’à titre technique lors des phases d’exécution. En outre, la ville de Marseille avait divulgué l’œuvre en indiquant le seul nom de l’architecte en sa qualité de concepteur. Ce dernier pouvait donc se prévaloir du droit moral sur son œuvre pour introduire une action fondée sur l’atteinte portée à l’intégrité de sa création.

Une œuvre protégée incorporée à un support insalubre
Pour que l’appelant puisse prétendre à un préjudice issu de la destruction d’une œuvre, celle-ci doit d’abord être qualifiée d’originale au sens du droit d’auteur afin d’être protégée en tant qu’œuvre de l’esprit. En l’espèce, la Cour d’appel relève que cette fresque comporte des éléments du patrimoine local traités en un « style graphique aisément identifiable » et des éléments caractéristiques permettant de « mettre en lumière la personnalité de leurs auteurs ».
La qualité d’œuvre de l’esprit est donc reconnue, même si la Cour d’appel précise d’emblée que « la fresque est une œuvre incorporée à son support et que son auteur ne peut ignorer cette particularité ; sauf preuve d'une possibilité technique de dissociation, il en résulte que la destruction du support entraîne irrévocablement la destruction de l'œuvre elle-même ». Ainsi, la fresque, en raison de son incorporation, revêt dès ce stade du raisonnement une spécificité par rapport à d’autres créations plastiques autonomes.

Sécurité publique et respect dû à l’œuvre
Cette précision donnée, la Cour d’appel procède enfin à l’articulation entre droit d’auteur et motif d’intérêt général lié à la sécurité publique, en s’appuyant sur un rapport dressé par le commissaire enquêteur selon lequel l'amphithéâtre abritant la fresque n'était plus conforme aux normes de sécurité et que « dès lors que sa destruction était imposée par des considérations de sécurité imposées notamment par la fréquentation par des enfants en âge scolaire ».
Ce raisonnement est bien connu en matière architecturale où les juges doivent composer entre les droits de l’auteur de l’œuvre et ceux du propriétaire du bâtiment. À titre seul titre d’illustration, dans une affaire confirmée en appel, le tribunal de grande instance de Paris avait débouté l’architecte Paul Chemetov de son action fondée sur l’atteinte à l’intégrité de son œuvre.[6] Les juges avaient d’un côté reconnu le bâtiment comme « une œuvre de l'esprit protégeable au titre du droit d'auteur », tout en considérant sa destruction « légitime et proportionnée au regard du droit moral de l’architecte », s’agissant d’ « un immeuble à vocation utilitaire et non pas purement esthétique ». A l’époque la démolition de l'immeuble avait été décidée dans le cadre d'une opération générale de rénovation urbaine tendant notamment au décloisonnement du quartier sensible du Canal par l'aménagement d'un espace ouvert devant accueillir une ligne de tramway. Elle était donc justifiée par un motif légitime d'intérêt général[7].
Dans l’arrêt commenté, il s’ensuit que la destruction de l‘amphithéâtre a par ricochet entrainé celle de la fresque. La Cour d’appel s’opposant à une intangibilité absolue pour cette catégorie d’œuvre, justifie sa position de débouter l’auteur de sa demande de réparation en énumérant les mesures de précautions prises par le commissaire enquêteur afin d’éviter au mieux l’atteinte critiquée. Elle relève que « la dépose de la fresque était du fait de sa fragilité impossible » et que « si enfin le commissaire enquêteur a préconisé dans ses recommandations de prendre des photographies de la fresque afin d'en assurer la mémoire, cette recommandation […] n'était pas de nature à éviter le préjudice moral lié à la destruction elle-même ».

 Ainsi, sans dénier l’atteinte au droit moral de l’artiste, la Cour d’appel considère un telle atteinte comme non fautive, dès lors qu’elle était justifiée par des considérations de sécurité publique et que des précautions avaient été ici prises pour tenter de respecter au mieux le droit moral, notamment en envisageant une possible dépose de l’œuvre, opération finalement impossible. En conséquence, l’atteinte non fautive s’oppose à la reconnaissance et à la réparation d’un préjudice pour l’artiste qui ne pouvait pas ignorer la possibilité de la destruction de sa fresque.

Si vous êtes un artiste ou un ayant-droit d'artiste concerné par la dégradation ou la destruction d'une oeuvre, le Cabinet répond gracieusement à votre première sollicitation. 

Un article écrit par Espéranza de La Forest Divonne
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre janvier et juin 2023.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art, le Cabinet intervient régulièrement pour le compte d'artistes, dont les oeuvres ont été détériorées ou irrémédiablement détruites tant par des personnes de droit privé que de droit public.

[1] CA Aix-en-Provence, pôle 3, ch.1, 8 déc. 2022, RG n° 19/11225.

[2] Code de la propriété intellectuelle, article L. 113-2 al 3.

[3] TGI Marseille, 21 mars 2029, RG n° 16/14386.

[4] Code de la propriété intellectuelle, article L.113-2 al 1

[5] Arrêt commenté.

[6] TGI Paris, 13 juin 2013 RG n° 13/05328, confirmé par CA Paris, pôle 5, ch.1, 16 oct. 2013, RG n° 13/14995.

[7] TGI Paris, 13 juin 2013, RTD com. 2013. 712, obs. F. Pollaud-Dulian