Prescription d’une action en nullité
La question de la prescription d’une action judiciaire, notamment dans le cas de la découverte tardive d’une mauvaise attribution d’une œuvre d’art, fait l’objet d’une double actualité devant les juridictions, qui se sont prononcées soit en faveur d’une absence de prescription de l’action soit en faveur d’une prescription de celle-ci à l’instar de la présente décision. L’enjeu d’une telle problématique procédurale est d’importance, dès lors que la prescription fait échec à tout étude sur le fond et, corrélativement, à l’éventuelle reconnaissance d’une nullité pour erreur sur les qualités essentielles ou pour dol en raison d’une description erronée de l’œuvre d’art ou de l’objet de collection concerné.
Dans la présente affaire, un acquéreur avait acheté auprès d’une galerie renommée une œuvre présentée comme étant de Maurice Utrillo pour une somme de 600.000 francs en 1999. Cette œuvre avait été préalablement acquise par la galerie auprès d’une autre galerie qui l’avait elle-même acquise en vente aux enchères publiques en 1996. Souhaitant revendre l’œuvre en 2011, l’acquéreur avait alors proposé l’huile sur toile à Christie’s puis à Tajan, cette dernière maison de ventes ayant finalement retiré l’œuvre de la vente projetée en raison de la contestation émise par l’ayant-droit de Maurice Utrillo. Un premier doute avait ainsi émergé sur l’attribution jusqu’alors incontestée de l’œuvre de cet illustre représentant de l’École de Paris dès la tentative de mise en vente en 2011. Face à une telle déconvenue, l’acquéreur s’enquit auprès de la galerie auprès de laquelle le tableau avait été acheté qui lui répondit que l’œuvre était bien répertoriée au catalogue raisonné de l’artiste. En 2015, soit quatre ans après cette première déconvenue, l’acquéreur proposa à une autre galerie la mise en vente de l’œuvre, mais cette proposition achoppa en raison de l’opposition renouvelée de l’ayant-droit de Maurice Utrillo à l’attribution du tableau à l’artiste.
Une œuvre à l’authenticité judiciairement contestée
C’est pourquoi, l’acquéreur assigna en mai 2017 devant le Tribunal de grande instance de Paris la galerie avec laquelle il fut en relation d’affaires et la galerie ayant acquis l’œuvre aux enchères afin de voir désigné un expert judiciaire. Ce dernier réfuta l’attribution certaine de l’œuvre à l’artiste, dès lors qu’existait un liant acrylique commercialisé en Europe à partir des années 1960, oblitérant alors le rattachement certain de l’œuvre à Maurice Utrillo (1883 – 1955). Fort de cette expertise, l’acquéreur assigna alors les deux galeries au fond en novembre 2018 afin de voir prononcée la nullité de la vente conclue et d’obtenir la restitution du montant du prix de la vente. Il fut néanmoins débouté par le Tribunal judiciaire de Paris en octobre 2020, en raison du caractère trop tardif de son action judiciaire, soit en raison de la prescription de son action. Cette solution vient d’être confortée par la Cour d’appel de Paris au terme de sa décision du 10 janvier 2023.
Un doute réel et sérieux comme point de départ de la prescription
Adoptant une formulation dorénavant bien établie, la Cour d’appel énonce sous forme de principe que « le délai de l’action en nullité de la vente d’une œuvre d’art pour erreur sur la substance ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée, soit au jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre »[1]. Le point de départ du délai de prescription – fixé à cinq ans en matière d’action dite mobilière – correspond donc au jour de la découverte de la mauvaise attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art. Le jour de cette découverte doit s’entendre comme le jour de l’apparition d’un doute réel et sérieux. Et tout le débat judiciaire porte alors sur la détermination de cette double qualité.
La détermination du jour de l’apparition certaine du doute
Selon la Cour d’appel, le point de départ doit être ici fixé au 16 janvier 2012. Cette date correspond en effet à celle de l’envoi d’un courrier électronique par l’acquéreur à la galerie auprès de laquelle l’œuvre en litige fut acquise. À cette date, l’authenticité de l’œuvre avait été remise en cause tant par le refus de vendre aux enchères le tableau par la société Christie’s en octobre 2011 et par la société Tajan en novembre 2011, chacune de ces deux maisons de ventes ayant consulté l’ayant-droit de Maurice Utrillo qui avait indiqué considérer l’œuvre comme un faux.
Or, et d’après l’analyse de la Cour, l’ayant-droit était considéré comme « l’expert le plus pertinent de ce peintre ». Ce double refus, accompagné de l’avis définitif de l’ayant-droit et expert de l’œuvre de l’artiste, avait nécessairement été porté à la connaissance de l’acquéreur puisque lui-même en faisait état auprès de son vendeur le 16 janvier 2012. Par conséquent, la mise en mouvement de son action judiciaire – le 24 mai 2017 pour la délivrance de la première assignation en vue d’obtenir en référé une expertise judiciaire – était bien trop tardive, puisque plus de cinq années s’étaient écoulées, conformément à l’article 2234 du Code civil.
La solution retenue par la Cour d’appel de Paris, dans sa décision du 10 janvier 2023, ne souffre d’aucune critique sur le plan juridique dès lors que seule l’inaction fautive de l’acquéreur est ici en cause. Ce rappel invite ainsi les acquéreurs confrontés à une remise en cause de la qualité de l’œuvre acquise à faire preuve d’une particulière diligence sous peine de voir leur action judiciaire nécessairement rejetée par les tribunaux.
Que retenir ?
o Si la nomination d’un expert judiciaire constitue souvent le préalable nécessaire à toute action en responsabilité ou en nullité d’une vente, il est nécessaire de prêter attention aux délais de prescription ;
o La reconnaissance de l’existence d’un doute réel et sérieux sur l’attribution d’une oeuvre emporte la détermination facilitée du point de départ du délai de prescription ;
o La connaissance du refus de la part du spécialiste de l’artiste au travail duquel l’oeuvre litigieuse est rattachée semble fonder le doute réel et sérieux.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Paris, pôle 4, ch. 13, 10 janv. 2023, RG no 20/15324.