Divulgation posthume d’une œuvre d’art : l’action n’est pas limitée aux héritiers.
Aux termes d’un récent arrêt du 28 novembre 2019[1], la première chambre civile de la Cour de cassation vient de censurer une décision de la cour d’appel[2] de Paris ayant rejeté l’action d’une association dont l’objet réside dans la protection de l’œuvre d’une artiste défunte et sans héritier. L’association invoquait le comportement abusif du propriétaire de tableaux qui avait refusé de les prêter, dans le cadre d’une exposition qu’elle organisait sur l’œuvre de l’artiste, et souhaitait se faire autoriser judiciairement à les présenter publiquement.
Lorsque la succession d’un artiste ne trouve aucun héritier pour recueillir les œuvres et les droits d’auteur sur celles-ci, le travail du peintre ou du sculpteur est bien souvent oublié. Les efforts de ses proches ou de passionnés dans la divulgation, la conservation et la valorisation de ses œuvres ou de ses archives, se heurtent, bien souvent, à une situation juridique complexe les empêchant d’agir. Toutefois, la récente décision de la Cour de cassation semble élargir la capacité à agir des défenseurs de l’œuvre d’un artiste afin de faciliter la divulgation des œuvres non révélées au public de son vivant.
Les faits sont simples. À son décès, l’artiste Hélène Guinepied (1883-1937) laissait pour lui succéder son neveu Paul Guinepied, lui-même décédé sans héritier en 1995. Toutefois son œuvre est redécouverte à la fin des années 2000 grâce à une passionnée, fondant peu après une association ayant pour objet « la préservation, la restauration, la conservation, la mise en valeur, l’exposition, l’acquisition, la promotion (…) ainsi que toute action permettant de développer la notoriété de l’artiste et d’honorer sa mémoire ». Cette association, accompagnée d’une commissaire d’exposition, souhaitait organiser deux expositions sur le travail de l’artiste en 2018 et en 2019 dans la ville de Sens. Or, certaines des œuvres de l’artiste étaient en possession d’une dame qui refusa leur prêt malgré de précédentes affirmations visant à en permettre l’exposition publique. Alléguant une « détention frauduleuse d’œuvres » des œuvres par leur propriétaire, l’association et la commissaire d’exposition l’ont alors assignée en référé puisque son refus aurait eu pour conséquence « l’impossibilité d’organiser ces deux expositions » leur causant un trouble manifestement illicite.
Les requérantes fondaient principalement leurs demandes sur les articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoyant l’exercice du droit de divulgation, prérogative du droit moral de l’auteur. Le droit de divulgation confère à l’artiste puis, à son décès, à ses héritiers un droit de rendre public ou non une œuvre. Cette prérogative permet ainsi aux héritiers de révéler pour la première fois au public les éventuels tableaux, sculptures, photographies ou correspondances restés inconnus du vivant de l’artiste. L’abus dans l’exercice du droit de divulgation peut justifier la saisine du tribunal de grande instance afin de faire respecter les volontés posthumes de l’artiste. Selon les requérantes, les peintures seraient entrées dans le patrimoine de la défenderesse illégalement, ou en tout état de cause dans des conditions douteuses, et n’auraient jamais été montrées au public. Dès lors, le refus de leur prêt, et donc de leur présentation au public, caractériserait ainsi un abus puisque certains éléments des archives d’Hélène Guinepied dénoteraient sa volonté de les divulguer.
L’intérêt à agir sur le fondement du droit de divulgation reconnu au bénéfice d’une association dédiée
La question qui se posait dans le présent litige était de déterminer si l’association et la commissaire, qui n’avaient pas hérité du droit moral de l’artiste, pouvaient agir en cas d’abus dans l’exercice du droit de divulgation post mortem. Or, si le premier alinéa de l’article L. 121-3 du Code de la propriété intellectuelle restreint le droit d’agir aux héritiers prévus par la loi, le second alinéa autorise « notamment » le ministre chargé de la culture à saisir le tribunal de grande instance. L’emploi de l’adverbe « notamment » par le législateur signifie qu’il n’a pas entendu limiter au seul ministre de la Culture le droit d’agir et que les juges peuvent l’étendre à toute personne ayant un intérêt à agir.
Le Code de procédure civile subordonne, quant à lui, la recevabilité d’une action en justice à « tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention »[3]. Pour rejeter l’action de l’association et de la commissaire, la Cour d’appel de Paris avait retenu que malgré la production d’un courrier de l’artiste sensé révéler sa volonté de divulguer ses œuvres au public, cette preuve et d’autres documents « ne suffis[aient] pas à établir la volonté prétendument expressément manifestée par l’artiste de transmettre ses œuvres au public. ». La Cour de cassation censure cet arrêt en estimant, classiquement, que son analyse était fondée sur le bien fondé juridique de l’action, la volonté de divulgation de l’œuvre de l’artiste, et non sur l’appréciation de l’intérêt à agir de l’association.
En somme, il n’est pas nécessaire d’être titulaire du droit moral pour agir en abus du droit de divulgation. La cour de renvoi aura, elle, la responsabilité de déterminer si l’association ayant pour objet la défense de l’œuvre Hélène Guinepied a cette faculté, puis d’établir l’intention de l’artiste quant à la divulgation de ses œuvres après sa mort afin d’apprécier s’il y a eu un abus ou non de la part de l’actuelle propriétaire des œuvres inédites. Au-delà l’opportunité d’agir ici sur le fondement du droit de divulgation peut, en partie, étonner. D’autres voies auraient pu être envisagées afin de défendre l’œuvre d’une artiste qui bénéficie aujourd’hui d’une heureuse redécouverte et d’un nouvel intérêt.
Un article écrit par Simon Rolin
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[1] Cass. civ. 1re, 27 nov. 2019, no 18-21.532.
[2] CA Paris, pôle 1 ch. 2, 21 juin 2018, RG no 17/17365.
[3] Code de procédure civile, article 31.