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La protection d’une exposition par le droit d’auteur

Article publié le 27 août 2024

Si juridiquement rien ne s’oppose à la protection d’une exposition par le droit d’auteur, les décisions à ce sujet sont rares voire exceptionnelles. L’arrêt rendu le 2 juillet dernier par la Cour d’appel de Lyon[1] mérite donc de s’y attarder et ce, alors que le syndicat représentatif des commissaires d’exposition vient de mettre en ligne son contrat type pour les commissaires d’exposition indépendants.

Un employé au sein d’une médiathèque puis au sein du Centre national de la mémoire arménienne (CNMA) avait créé un certain nombre d’expositions sur des sujet historiques, relatifs notamment au génocide arménien et à l’esclavage. Il reprochait au CNMA de continuer à présenter les expositions créées par ses soins à la suite de son licenciement. Il assignait donc celui-ci en contrefaçon de droit d’auteur pour avoir reproduit et représenté sans son autorisation celles-ci dans les locaux de l’association et en ligne sur son site Internet.

Débouté de ses demandes en première instance, il demandait en appel l’infirmation de ce jugement, affirmant que ses expositions étaient éligibles à la protection par le droit d’auteur dès lors qu’elles constituaient l’expression de choix arbitraires et créatifs de l’auteur et présentaient une cohérence d’ensemble. Ces choix s’exprimaient notamment au sein de la structuration des thématiques, la rédaction de textes spécifiques, la sélection de documents d’archives, la disposition de l’ensemble de ces éléments à des fins esthétiques et didactiques, de mise en place du discours et d’organisation du récit de la narration, aux couleurs, tailles, polices et disposition des éléments et textes, ainsi qu’au choix des supports d’exposition.

La protection au titre du droit d’auteur de toute forme permettant l’expression de choix libres et créatifs
Une exposition, son concept et sa mise en espace sont susceptible d’être protégés au titre du droit d’auteur à la condition que cette œuvre ait reçu l’onction d’une juridiction qui doit la reconnaître comme une œuvre originale, c’est-à-dire une œuvre de l’esprit, au sens du Code de la propriété intellectuelle. En effet, si aucune formalité préalable n’est requise afin de protéger une création, le droit d’auteur exige, lorsque la protection est contestée, que son créateur rapporte la preuve de l’originalité de celle-ci devant la juridiction saisie. La Cour de justice de l’Union européenne définit une œuvre de l’esprit comme la formalisation à travers le choix, la disposition et la combinaison d’éléments par lesquels l’auteur exprime son esprit créateur de manière originale, aboutissant à un résultat constituant une création intellectuelle[2].
Prenant le contrepied de l’analyse menée par le Tribunal judiciaire de Lyon, la Cour d’appel juge éligible à la protection les expositions créées par l’appelant. Selon leur auteur, les contenus des panneaux créés par ses soins comprennent « des textes spécifiques d’illustration et des photographies sélectionnées et organisées avec un panneau d’introduction et un panneau final ». Par ailleurs, les panneaux étaient disposés dans l’espace afin de créer un propos. Ainsi, l’exposition intitulée « Passeur de mémoire » était organisée en trois temps afin d’inviter le public à une réflexion sur « les difficultés de qualification juridico-historique de chacun des crimes et à leur reconnaissance ». Celle intitulée « Mémoires croisées de l’esclavage et de la colonisation » était quant à elle organisée « en quatre parties distinguées par des couleurs différentes évoquant la chaleur et l’exotisme dont le sujet est connoté ». 

Une définition maladroite de l’exposition retenue par la Cour d’appel
Alors que l’auteur mettait en avant tant la réalisation des panneaux que la cohérence de leur mise en place dans l’espace permettant l’expression d’une narration, la Cour d’appel de Lyon omet ce deuxième élément pourtant fondamental pour caractériser la protection de l’exposition. Les magistrats estiment en effet qu’« il résulte de l’ensemble de ces éléments que les panneaux de chacune des expositions, comportent des textes originaux une sélection de documents issus de recherches historiques, des photographies sélectionnées et disposées spécifiquement, et qu’ils ont été mis en page selon les choix arbitraires et créatifs et selon une cohérence d’ensemble révélant l’apport intellectuel et la personnalité de leur auteur. »
Ce faisant, la Cour d’appel ne se concentre que sur la caractérisation de l’originalité des panneaux, et notamment dans leur « mis en page ». Elle omet ainsi les choix réalisés par l’auteur dans « leur mise en place » lesquels permettent pourtant selon son auteur la création de parties au sein des expositions visant à structurer son propos. Pour autant, elle conclut que les quatre expositions dont la protection était revendiquée « du fait de leur caractère original, sont des œuvres relevant de la législation sur les droits d'auteur ».
La caractérisation de l’œuvre « exposition » par l’appelant faisait pourtant écho aux éléments énoncés dans la notice du contrat type proposé par CEA ­– Association française des commissaires d'exposition depuis le mois de juin 2024. Il y est en effet rappelé qu’un commissaire d’exposition indépendant réalise différentes démarches au profit du lieu d’exposition dans le cadre de sa conception et notamment « la recherches, sélection d’œuvres, conception du plan d’exposition, rédaction de textes »[3]. L’œuvre exposition étant protégée, son exploitation doit donc être autorisée par son auteur. A défaut, sa présentation au sein de l’espace, ou sa diffusion sur Internet, au sein d’ouvrages ou de tout élément de promotion, est constitutive d’actes de contrefaçon. 

Le défaut de cession de droits d’auteur au profit du lieu d’exposition sanctionné
La protection par le droit d’auteur des expositions présentées par le CNMA étant reconnue en appel, leur présentation et leur diffusion au sein du lieu d’exposition et sur Internet étaient susceptibles de constituer des actes de contrefaçon à défaut d’autorisation de la part de leur auteur respectant les conditions du Code de la propriété intellectuelle. En défense, le lieu d’exposition soutenait notamment que l’auteur aurait cédé ses droits de façon implicite dans le cadre de son contrat de travail.
Pour autant, le principe est rappelé dès les premiers articles du Code de la propriété intellectuelle : l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat de prestations n’induit pas une cession automatique des droits d’auteur. À défaut de cession au titre du droit d’auteur, la Cour d’appel estime que quatre de ces expositions ayant été présentées sans l’autorisation de leur auteur « pendant quelques mois » il y a lieu d’évaluer son préjudice économique à hauteur de 10.000 euros. Par ailleurs, la présentation en fraude de ses droits à la suite de son licenciement a également causé un préjudice économique à hauteur de 2.000 euros.

Outre l’éligibilité à la protection au titre du droit d’auteur, le présent arrêt est pertinent en ce qu’il distingue les deux sources de rémunération envisageables pour un auteur d’exposition. D’une part, les missions matérielles réalisées dans le cadre de la conception et de l’exploitation de son œuvre, et, d’autre part, une rémunération distincte au titre de l’exploitation de l’œuvre conçue par celui-ci dans le cadre du contrat, qu’il intervienne à titre indépendant ou salarié. Une telle rémunération pour les commissaires d’exposition indépendants est désormais possible depuis le décret du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes auteurs permettant la rémunération pour les « auteurs d’exposition »[4]

Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement des auteurs ou ayants droit et des commissaires d'exposition afin de préserver au mieux leurs droits à l'occasion de l'organisation de toute manifestation scientifique et culturelle portant sur la monstration d'œuvres. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 juill. 2024, RG no 22/05460.

[2] CJUE, aff. C-683/17, Cofemel – Socedade de Vestuario SA, c/ G-Star Raw CV.

[3] https://c-e-a.asso.fr/ressources/.

[4] Code de la sécurité sociale, article R. 382-1.