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La vente contestée d’un Rembrandt Bugatti par des héritiers déçus

Article publié le 24 août 2024

Est-il possible de contester plus de cinquante ans après une donation-partage la propriété sur une œuvre d’art revendiquée par une seule branche d’héritiers ? Non a répondu la Cour d’appel de Caen, si le partage amiable a clôturé l’indivision successorale après le décès de l’ancienne propriétaire et si la preuve de la possession paisible et publique de l’œuvre est dûment rapportée par les héritiers qui ont procédé à la vente de l’œuvre.

Le litige examiné par la Cour d’appel de Caen concernait la succession de la veuve d’un notaire, qui avait, de son vivant, procédé à une donation-partage de ses biens immobiliers entre ses trois enfants en 1964. Plus précisément, le cœur du contentieux successoral était relatif à une sculpture animalière en bronze de Rembrandt Bugatti (1884 – 1916), offerte par un proche de la famille et vendue en vente aux enchères publiques pour la somme de 613.600 euros en 2017, soit postérieurement au décès de la veuve. Certains héritiers ont contesté la répartition de cette somme issue de la vente aux enchères publiques de l’œuvre d’art, arguant que le produit de la vente aurait dû être inclus dans le partage successoral entre l’ensemble des héritiers du couple, c’est-à-dire entre les différentes branches successorales.

Pour autant, ni le Tribunal judiciaire de Coutances, ni la Cour d’appel de Caen, au terme de son arrêt du 13 décembre 2022, n’ont fait droit aux demandes des héritiers du couple issus des autres branches successorales.

La preuve d’un partage antérieur ayant clôturé l’indivision successorale
L'un des principaux arguments des héritiers contestant la répartition du produit de la vente aux enchères publiques résidait dans le fait que le partage des biens n'avait pas été effectué dans sa totalité et que la vente de la sculpture devait ainsi être intégrée dans les opérations de liquidation de la succession. Cependant, la Cour d’appel de Caen confirme le jugement du tribunal de première instance, estimant que la donation-partage effectuée en 1964 avait bel et bien clôturé l'indivision. En effet, la sculpture ne figurait pas dans la déclaration de succession ni dans les inventaires postérieurs, ce qui suggère qu'elle avait été donnée à l'un des héritiers bien avant le décès de la défunte ayant reçu en don la précieuse « Panthère marchant, patte arrière levée » de Rembrandt Bugatti. Et, en application de l’article 816 du Code civil, le partage suppose pour être demandé la preuve judiciaire d’une des trois hypothèses suivantes : qu’existe une indivision, qu'il n'y ait pas eu de partage antérieur ou une possession suffisante de l'objet indivis. Or, le partage ayant eu lieu selon la Cour dès 1964, celui-ci ne pouvait plus être judiciairement sollicité.

La preuve de l’existence d’un don manuel
Les héritiers contestant judiciairement la répartition du produit de la vente aux enchères publiques contestaient également l'existence d'un don manuel de la sculpture, soulignant l'absence d'une intention libérale manifeste de la part de la défunte de son vivant. Néanmoins, la Cour considère que la possession continue, publique et paisible de la sculpture par l'un des enfants depuis les années 1980, couplée à l'absence de contestation à cette époque, constituait une preuve suffisante d'un don manuel antérieur. À cet égard, la Cour retient notamment que « Il résulte par ailleurs, des attestations et photographies versées aux débats que la sculpture litigieuse trônait au vu et au sus de tous les membres de la famille [G], sur la cheminée de la maison de [T] [G] depuis la fin des années 1980, ce qui est de nature à confirmer l'affirmation des intimés selon laquelle, elle avait été donnée à celui-ci par sa mère à cette époque, sans que ses frère et sœur s'y soit opposé ». Ce don manuel ayant été réalisé avec l'accord tacite des autres héritiers, il ne pouvait être remis en cause dans le cadre de la succession.
Enfin, la Cour souligne que la prescription acquisitive, résultant de la possession prolongée de la sculpture par un des héritiers, s'opposait à toute remise en cause des opérations de partage. La démonstration de la possession continue de la sculpture animalière de façon continue et publique et paisible engendrait ainsi le fait que la prescription acquisitive s'oppose nécessairement à ce que toute opération de partage puisse être ordonnée. 

La décision de la Cour d'appel de Caen est éclairante pour plusieurs raisons. En premier lieu, elle réaffirme le principe selon lequel un partage successoral réalisé de manière complète et acceptée par tous les héritiers ne peut être remis en cause des décennies plus tard, même en présence de nouveaux éléments, tels qu'une vente d’un bien non visé initialement dans un inventaire successoral ou dans un inventaire fiscal. En second lieu, cette décision illustre la rigueur avec laquelle les juges appliquent les principes de possession et de prescription acquisitive en matière de droit des successions.

Cette affaire met en lumière l'importance de la documentation et de la transparence dans les procédures de partage successoral. Pour éviter tout litige futur, il est essentiel que chaque étape du processus de partage soit scrupuleusement documentée, et que tous les héritiers soient pleinement informés des biens inclus dans la succession.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des héritiers dans l'appréhension des problématiques successorales spécifiques attachées aux œuvres et objets d'art. Que ces problématiques soient d’ordre fiscal, d’ordre successoral ou encore d’ordre pénal.
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