Arrêt Tolix : sur les faits de concurrence déloyale et parasitaires
Article publié le 15 janvier 2024
Si les différentes protections prévues par le droit d’auteur sont les principaux moyens mobilisés par un éditeur ou un créateur pour conserver un contrôle et un monopole sur l’exploitation des créations concernées, le recours au droit commun prévu par le Code civil à l’article 1240 reste un palliatif souvent efficace comme le révèle la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 29 novembre 2023.
En effet, l’article 1240 du Code civil réprime tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage. Il faut néanmoins que ce fait soit considéré comme fautif ce qui, en matière de relations commerciales, peut se caractériser sous deux aspects : la concurrence déloyale et les comportements parasitaires. Ces deux types de comportements fautifs doivent néanmoins ne pas contredire le principe de la liberté du commerce « qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit » qu’aucune confusion dans l’esprit de la clientèle ne soit créée quant à l’origine du produit ou d’une captation parasitaire, « circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce. »[1]
L’absence de concurrence déloyale à défaut de faits distincts
La concurrence déloyale vient sanctionner les comportements fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires et notamment le fait de créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit. L’objectif poursuivi par les faits réprimés est donc similaire celui rattaché au droit des marques. L’éditeur Tolix reprochait à l’entrepreneur de commercialiser des chaises et meubles constituant des « reproductions serviles » des meubles iconiques de Xavier Pauchard, induisant un risque de confusion chez les consommateurs. L’éditeur ne pouvait néanmoins s’appuyer sur des faits qui auraient alors constitué, si la protection en matière de droit d’auteur ou de droit des marques lui avait été reconnue, une atteinte à ses droits. Une telle situation reviendrait en effet à recréer un monopole au profit de l’entreprise. Les faits devaient donc être nécessairement distincts de ceux précédemment évoqués.
Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris s’attache à rappeler que le sondage réalisé démontrant que le public ne permettait pas de rattacher la chaise « A » et le tabouret « B » à une origine déterminée, c’est-à-dire à la société Tolix. Par ailleurs, la société Tolix commercialise ses meubles dans un réseau de distribution différent de celui de l’importateur et la commercialisation de ces meubles sous la désignation « Tolix » a déjà sanctionnée par la Cour au titre de l’atteinte à la marque verbale. Enfin, les assises importées de Chine, en bois, diffèrent de celles réalisées par l’éditeur de design, en métal. Ainsi, les faits reprochés ne pouvaient être constitutifs d’actes de concurrence déloyale dès lors qu’une telle situation emporterait la naissance d’un monopole dont la protection prévue par le Code de la propriété intellectuelle a été précédemment refusée, sauf en ce qui a trait à la marque verbale dont le préjudice a été réparé.
Un savoir-faire centenaire victime des actes parasitaires
Les comportements parasitaires sont quant à eux constitués lorsqu’un agent économique cherche « sans bourse délier » à bénéficier d’une valeur économique créée par autrui en lui procurant un avantage concurrentiel injustifié résultant d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements. Les faits réprimés viennent donc protéger une valeur économique créée par une entreprise dans le cadre de son activité lors d’investissements en recherches et développements et de communication. La Cour d’appel se livre ici à un inventaire détaillé des investissements réalisés par la société Tolix et à l’histoire d’un « un savoir-faire presque centenaire » invitant à reproduire de nombreux extraits de la décision.En effet, l’éditeur bourguignon établissait dûment sa figure de « pionnière dans la création de ce type de mobilier industriel et robuste », rappelant les nombreuses expositions de ses meubles au sein d’institutions culturelles reconnues comme le Moma à New-York et le Vitra Design Museum en Allemagne. Cette qualité d’acteur de l’histoire du design est entretenue par des dépenses en matière de communication s’élevant à plus de 1.8 million d’euros sur les dix dernières années et à la mise en place de nombreux partenariats notamment avec les émissions Master Chef et Top Chef ou encore avec le groupe La Poste. Les meubles, dont ceux objets du litige, sont très régulièrement présents dans des publications et magazines qui insistent à cette occasion sur leur qualité et leur production « made in France ».
Ce savoir-faire centenaire a valu à l’éditeur de se voir décerner le label « entreprise du patrimoine vivant » et la venue du Président de la République en 2019. L’histoire de Tolix est également rappelée par les magistrats et notamment sa mise en liquidation et sa reprise par certains de ses salariés en 2004. Et les valeurs mises en avant par la maison d’édition (la fabrication artisanale en France des chaises, les réflexions en matière de développement durable) s’accompagnent d’une constante recherche d’adaptation de ses modèles emblématiques « au marché et aux goûts du publics ». Ainsi, « l’essentiel de la communication et du marketing développé concerne (…) ces modèles qui constituent ses produits phares et emblématiques ». La valeur économique, voire patrimoniale et historique, ne pouvait être mieux caractérisée par les magistrats de la Cour d’appel.
Des comportements parasitaires reconnus mais une condamnation faible
L’importation sur le territoire national de « copies serviles ou quasi-serviles » des chaises et tabourets créés par Xavier Pauchard et, corrélativement, de l’histoire qu’ils incarnent, a permis à l’importateur de les commercialiser sans investissement intellectuel ou financier afin d’en capter les retombées économiques au détriment de la société Tolix. Alors que l’éditeur a investi des sommes importantes en communication pour promouvoir son savoir-faire et la qualité de ses produits, les meubles importés étaient mis en vente à un prix de 45 euros, prix à mettre en perspective avec le coût de revient industriel de la chaise fabriquée par Tolix de 58 euros et commercialisée en moyenne à 258 euros. Les comportements parasitaires de l’importateur étaient donc avérés.
Néanmoins, si la démonstration opérée par la Cour d’appel de Paris a le mérite de servir la promotion et la protection de la société Tolix, le montant alloué à la réparation du préjudice subi n’est aucunement dissuasif. L’importateur est condamné à verser la somme de 10.000 euros, en sus de l’interdiction de commercialiser ces produits. À cette somme s’ajoute une condamnation réduite à 3.000 euros pour l’atteinte à la marque verbale.
Ce montant, certainement influencé par la qualité d’entrepreneur individuel du revendeur, apparaît peu élevé au regard des efforts développés par l’éditeur dans la mise en avant de ses produits, de son savoir-faire et dans la défense en justice de ses droits. Au mois de juillet dernier, la société basée à Autun a dû licencier 40 % de son effectif, soit 19 salariés sur 51.
Un article écrit par Me Simon Rolin,
Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.
Le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des designers, des ayants droit de designer et des sociétés d’édition dans le cadre de la défense de leurs droits et de la promotion de leurs créations. Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et du marché de l’art, et plus généralement au droit d’auteur, le Cabinet assiste régulièrement des artistes et leurs héritiers confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme. Avocats en droit de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de la propriété industrielle, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 29 nov. 2023, RG no 21/19556.