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Les contours de la responsabilité du commissaire de justice en matière de vente judiciaire

Article publié le 20 juillet 2023

Si l’action en responsabilité intentée contre un opérateur de ventes volontaires fait l’objet d’un contentieux régulièrement porté devant les juridictions civiles, il n’en est pas de même pour l’action en responsabilité intentée contre un commissaire de justice, nouvelle terminologie de la figure disparue du commissaire-priseur judiciaire. C’est à cet égard que la décision de la Cour d’appel de Paris du 6 juillet 2023 présente un intérêt certain dans l’appréhension des contours de l’engagement éventuel de la responsabilité délictuelle d’un tel acteur de la vente aux enchères publiques judiciaire.

Dans l’espèce rapportée, un créancier avait fait saisir plusieurs œuvres d’art entre les mains d’une galerie d’art, qui était son débiteur à hauteur de 85.000 euros. Une saisie aux fins de vente avait ainsi été réalisée par un huissier de justice avant que celui-ci ne confie à la vente aux enchères publiques forcée les œuvres à un commissaire-priseur judiciaire. Ce dernier parvint à vendre la quinzaine de tableaux, dont la propriété n’était pas contestée, aux enchères pour un montant total de 5.320 euros, soit pour un montant loin de permettre au créancier d’être pleinement désintéressé. C’est à ce titre que le créancier tenta vainement, tant en première instance qu’en cause d’appel, d’engager la responsabilité délictuelle du commissaire-priseur judiciaire ou dorénavant du commissaire de justice.

Le cadre spécifique de la vente forcée
En premier lieu, la Cour d’appel de Paris rappelle le contexte dans lequel s’inscrivait la vente dont les conditions d’organisation et le résultat finalement obtenu étaient contestés par le créancier déçu[1]. Ainsi, la Cour énonce de manière assez élégante qu’il s’agit d’une vente judiciaire « vente forcée s’imposant à la volonté du vendeur et à laquelle il est procédé malgré lui ». Le commissaire-priseur judiciaire n’avait donc pas reçu mandat du créancier, mais avait été sollicité par l’huissier de justice, dont il avait reçu « mandat » en application des dispositions de l’article L. 122-2 du Code des procédures civiles d’exécution. La tentative d’engagement de la responsabilité de l’officier vendeur ne pouvait donc prendre appui que sur les dispositions de l’article 1240 du Code civil, c’est-à-dire sur les dispositions relatives à la responsabilité délictuelle. Et plus précisément encore, la Cour énonce que le commissaire-priseur judiciaire « était tenu d’une obligation de moyens de vendre les tableaux saisis qui lui étaient confiés au meilleur prix ». C’est sous ce prisme qu’est alors principalement envisagé le plein respect ou non du commissaire-priseur judiciaire de son obligation de vendre au meilleur prix.

L’obligation de vendre au meilleur prix et ses contours
Afin de déterminer si le professionnel de la vente aux enchères publiques avait pu commettre une faute dans l’exercice de la mission qui lui avait été confiée par l’huissier instrumentaire au détriment du créancier saisissant, la Cour décompose l’obligation de vendre au meilleur prix autour de quatre problématiques distinctes chronologiquement et néanmoins complémentaires. Celles-ci consistent en la présentation des œuvres (1), la mise à prix des œuvres et la formation de lots (2), la poursuite de la vente (3) et, enfin, le prix d’adjudication obtenu (3).

(1) Les conditions de présentation des œuvres en vente judiciaire
En ce qui a trait à la présentation des œuvres, la Cour retient « qu’aucune négligence ne peut être reprochée [au commissaire-priseur] dans l’organisation de la vente aux enchères et la présentation des œuvres, alors qu’il a procédé à la vente à l’Hôtel Drouot choisi par l’huissier et idoine pour une telle vente, a régulièrement procédé à l’annonce des ventes dans des journaux spécialisés, a fait expertiser les tableaux pour ses besoins personnels, a exposé les œuvres au public avant la vente et a bien mis en vente - et vendu - les tableaux saisis. Il n’est pas démontré qu’organisée autrement, la vente aurait atteint des prix supérieurs aux prix d’adjudication effectifs ».

(2) La mise à prix des œuvres face une nécessaire attractivité
De la même manière, selon la Cour d’appel, aucun grief ne peut être retenu à l’encontre du professionnel en ce qui a trait à la mise à prix des œuvres et à la formation, pour certaines d’entre elles, de lots réunissant trois tableaux. En effet, aucune évaluation de mise à prix dérisoire, tant au regard des frais de la vente que de la valeur des œuvres mises en vente ne pouvait être retenue. Et ce d’autant, selon la Cour, qu’en matière de vente aux enchères publiques, « le prix doit être attractif et permettre un surenchérissement des acquéreurs intéressés et est ainsi légitimement fixé en-deçà de l’évaluation basse de l’expert ». Quant à la constitution de lots pour la vente des œuvres saisies, aucune preuve n’était rapportée permettant de critiquer un tel choix, c’est-à-dire permettant d’établir que la constitution de tels lots aurait pu en réduire la valeur aux yeux des potentiels acquéreurs.

(3) Poursuivre ou arrêter une vente judiciaire peu fructueuse
Le troisième temps du raisonnement s’intéressait ici à la possibilité ou non pour l’officier vendeur d’arrêter la mise en vente des lots, arrêt qui aurait été justifié selon le créancier au regard du faible montant d’adjudication des lots. Pour autant, il résulte des termes de l’article L. 221-4 du Code des procédures civiles d’exécution que l’agent qui procède à la vente judiciaire arrête les opérations lorsque le prix des biens vendus atteint un montant suffisant pour payer en principal, frais et intérêts, les créanciers saisissants et opposants. Corrélativement, et presque en contrepoint, aucun texte n’impose au commissaire-priseur, dans une vente aux enchères judiciaire, d'arrêter la vente en cours s'il se révèle que celle-ci n'atteindra pas le montant de la créance. Et, selon la Cour, « dans l'autre sens, aucun texte n'empêche le commissaire-priseur d'interrompre une vente ». Dès lors, aucune faute ni négligence du commissaire-priseur judiciaire ne peut en l'espèce être retenue dès lors qu'il n'a pas interrompu la vente litigieuse, alors qu'il n'était pas chargé de vendre des biens appartenant au créancier et qu'il ne pouvait augurer du prix définitif d'adjudication des œuvres.

(4) Estimation, adjudication et aléa
Enfin, le dernier grief porté à l’encontre du commissaire-priseur judiciaire par le créancier lésé portait sur le faible montant obtenu en vente aux enchères publiques judiciaire des lots saisis et adjugés. Ici, la Cour d’appel formule deux observations qui apparaissent fondamentales, l’une sur le lien entre le prix estimé et le prix d’adjudication, l’autre sur le caractère nécessairement aléatoire de la vente aux enchères publiques, qu’elle soit de nature judiciaire ou volontaire. Ainsi, selon la Cour, « l'utilité de l'expertise réside essentiellement dans l'authentification des œuvres et leur attribution aux artistes, mais l'estimation des œuvres n'est qu'indicative et ne saurait garantir un prix effectif de vente ». Seul un prix de réserve – qui peut être sollicité en matière judiciaire – ou un prix minimal garanti – qui ne peut être sollicité qu’en matière volontaire – permet de faire échec tant à ce caractère indicatif qu’à l’automaticité de la formation du contrat de vente fondamentalement attachée au mécanisme de l’adjudication. Dans le même esprit, la Cour précise alors que « le prix d'adjudication, qui résulte de la seule loi des enchères et des fluctuations du marché de l'art, est par nature aléatoire quand bien même elle porte sur des œuvres cotées, sans que le commissaire-priseur soit tenu d'en obtenir un prix nécessairement proche de l'évaluation de l'expert ». La loi des enchères est dure, mais l’aléa est roi. 

L’absence de devoir de conseil de l’officier vendeur vis-à-vis du créancier
Au-delà des critiques formulées à l’encontre des conditions de mise en vente des œuvres saisies, le créancier tentait de faire à nouveau valoir en cause d’appel que le commissaire-priseur judiciaire aurait manqué à son devoir de conseil, devoir qui se serait imposé à son bénéfice. Pour autant, la Cour retient que le professionnel n’avait pas été mandaté par le créancier et qu’il n'était tenu envers celui-ci d'aucun devoir de conseil. De la même manière, le créancier ne saurait se prévaloir d’un éventuel manquement contractuel du commissaire-priseur judiciaire à l'égard de l'huissier, qui aurait pu lui causer un préjudice. En effet, l'huissier et le commissaire-priseur ne sont liés par aucun contrat et le second était tenu de prêter son concours au premier au seul titre de la mise en place d'une mesure d'exécution forcée d'une décision de justice.

Le jugement de première instance, rendu le 4 décembre 2019, est ainsi confirmé par la Cour d’appel de Paris qui rejette l’intégralité des griefs indûment formulés par le créancier à l’encontre du commissaire-priseur judiciaire, à l’encontre duquel aucune faute n’a pu être prouvée.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires de justice) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Le Cabinet accompagne également des collectionneurs (acheteurs ou vendeurs) dans la défense de leurs droits.

[1] CA Paris, pôle 4, ch. 10, 6 juill. 2023, RG no 20/06579.