Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Combo – Mélenchon : fin de partie pour la jurisprudence insoumise

Article publié le 19 juillet 2023

La décision de première instance avait, en raison de ses acteurs, reçu une forte publicité. Si elle marquait la première application connue de l’exception dite de liberté de panorama consacrée par la loi du 7 octobre 2016, le sens de la décision était surprenant, admettant le bénéfice de cette exception mais également de l’exception de courte citation au profit de Jean-Luc Melenchon et de son parti politique. Certes les demandes indemnitaires du street artiste Combo paraissaient disproportionnées, mais elles ne justifiaient nullement une telle application des dispositions du Code de la propriété intellectuelle à son détriment.

Une œuvre soumise à la dure vie de la rue
La chronologie du litige est importante pour l’application aux faits de l’espèce des conditions d’application des exceptions visées par l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Dans la nuit du 15 et 16 février 2017, le street artiste Combo réalisait rue du Temple à Paris, « à quelques pas de la place de la République » une fresque, pour partie en papier collé, représentant l’égérie républicaine Marianne. Cette œuvre de street-art intitulée La Marianne Asiatique portait la signature de Combo et le message suivant : « Nous voulons la justice ».
Le 18 mars 2017, se tenait place de la République une manifestation organisée par la France Insoumise et son leader. À cette occasion, l’équipe du parti politique procédait à des prises de vue de l’œuvre qui furent ensuite diffusées au sein de trois clips distincts : le défilé pour la 6ème république du 18 mars 2017, le clip de campagne pour les élections présidentielles et le clip du parti politique pour les élections municipales de 2020. Néanmoins, entre la réalisation de l’œuvre et sa captation, la signature avait été retirée au profit d’un autre street artiste dénommé « Styx » et le message accompagnant l’œuvre supprimé. Estimant que son œuvre était exploitée sans son autorisation, Combo assigna en septembre 2020 le parti politique et son représentant en contrefaçon devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Fondant leur raisonnement sur le caractère éphémère de la pratique artistique de l’auteur, les magistrats de première instance avaient estimé qu’aucune atteinte au droit moral ne pouvait être caractérisée « les œuvres de “street art” réalisées sans autorisation sur la voie publique [étant] susceptibles de subir des atteintes à leur intégrité, ainsi qu’au droit à la paternité de leur auteur, sans que leur auteur apparaisse fondé à s’en plaindre » et, admettant le jeu des exceptions de panorama et de courte citation, avaient rejeté toute atteinte aux droits patrimoniaux. Reconnue en première instance, la titularité de l’auteur sur son œuvre et l’accès à la protection de celle-ci n’étaient plus critiqués par les parties devant la Cour d’appel. 

Le refus du bénéfice de l’exception de liberté de panorama
L’exception de liberté de panorama est le fruit de la transposition tardive par la loi du 7 octobre 2016[1] de l’exception prévue par la directive de l’Union européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur[2]. Cette directive autorise les États membres à prévoir des exceptions aux droits patrimoniaux et notamment « lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics ». La transposition au sein du Code de la propriété intellectuelle français est toutefois plus limitée que l’exception prévue par l’Union européenne. En effet, l’article L. 122-5, 11° du Code limite le bénéfice de cette exception aux reproductions et représentations des « œuvres architecturales et [des] sculptures placées sur la voie publique » uniquement « réalisées par des personnes physiques » et à « l’exclusion de tout usage commercial ».
Le Tribunal judicaire avait ainsi admis de façon critiquable le bénéfice de cette exception, en affirmant que l’exception au profit des œuvres architecturales pouvait s’étendre « aux graffitis dont ils sont éventuellement couverts » et en omettant totalement qu’un des contrefacteurs était une association, personne morale. Au sein de l’arrêt commenté du 5 juillet 2023[3], la Cour d’appel estime au contraire que l’exception dite de liberté de panorama « comme toute exception, doit être d’interprétation stricte, ne peut recevoir application au bénéfice de Monsieur Jean-Luc Mélenchon, ni a fortiori de LFI qui est une personne morale ». Mais surtout, l’œuvre de street art ne pouvait être considérée comme une œuvre architecturale ou sculpturale. Prenant même le contrepied des magistrats de première instance, l’arrêt affirme qu’étant une œuvre par nature éphémère, « il ne peut être retenu qu’elle est placée en permanence sur la voie publique ». Les conditions cumulatives imposées par l’exception n’étant pas réunie, celle-ci ne pouvait être retenue.

L’absence de courte citation
La seconde exception mobilisée par les intimés visait l’exception de courte citation prévue à l’article L. 122-5, 3° du Code de la propriété intellectuelle. Cet article subordonne le bénéfice de cette exception à la mention du nom de l’auteur, résurgence du droit au respect de la paternité prévu à l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle. Or, le nom de l’auteur n’était jamais cité au générique des trois vidéos politiques ou sur les pages Internet où elles étaient diffusées. Le parti politique et son leader soutenaient que la suppression du nom de Combo de l’œuvre et l’adjonction du pseudonyme d’un autre artiste avait rendu impossible la recherche du véritable auteur et, conséquemment, le respect de cette condition. Néanmoins, l’argumentation de l’artiste, reprise par la Cour d’appel, démontrait que si une recherche Google avec pour mots clefs « styx marianne » ne donnait rien, une recherche Instagram avec les termes « liberté égalité humanité » faisait apparaître facilement l’œuvre objet du litige. L’auteur de cette œuvre était donc facilement identifiable.
En tout état de cause, cette exception impose en outre de démontrer que l’œuvre citante opérait un discours critique, polémique ou pédagogique sur l’œuvre citée.  Or, la Cour relève que l’utilisation de cette œuvre était « purement visuelle ou esthétique, sans contenu idéologique » et « consista[ait] plutôt à un emprunt, sans nécessité évidente, à des fins d’illustration d’un discours politique ». Un raisonnement similaire a été opéré par le Tribunal judiciaire de Paris à l’occasion du jugement ayant condamné Eric Zemmour au titre de l’utilisation d’extraits de films au sein de son clip de campagne[4]. Il est néanmoins curieux que la présente décision ne s’appuie pas sur la prohibition de principe et constante établie par la Cour de cassation[5] du bénéfice de cette exception pour les œuvres d’art visuel et les photographies.

L’atteinte au droit moral de l’auteur et condamnation solidaire des intimés
Poursuivant sa réformation intégrale du jugement de première instance, la Cour d’appel relève, d’une part, que l’atteinte à la paternité est constituée en l’absence de mention du pseudonyme au sein du générique ou sous les vidéos. Si la suppression n’est pas imputable aux intimés, ceux-ci auraient dû faire les démarches nécessaires afin d’identifier l’auteur « compte tenu de l’usage qu’ils entendaient réserver aux images de la Marianne » et « d’obtenir son autorisation ». Par ailleurs, si l’altération de la fresque n’est pas du fait du parti et de son responsable, l’ajout du signe de LFI, l’intégration de l’œuvre au sein d’une œuvre audiovisuelle avec un message sonore et l’ajout de branchages et d’oiseaux constituent une atteinte à l’intégrité matérielle de l’œuvre. Enfin, l’utilisation de l’œuvre sans le consentement de l’auteur « au soutien de l’action et des intérêts d’un parti et d’une personnalité politiques, de nature à faire croire que l’auteur apportait son appui ou son concours » au parti et à Jean-Luc Mélenchon est constitutive d’une atteinte à l’intégrité spirituelle de la création. Ce raisonnement nous apparaît plus pertinent que celui effectué par le Tribunal judiciaire de Paris à l’occasion du litige portant sur le clip de campagne d’Éric Zemmour qui s’était contenté de relever l’opposition des finalités entre le discours politique et les œuvres audiovisuelles destinées à « distraire ou informer ».
Au titre de ces différentes atteintes, la Cour d’appel de Paris condamne les intimés à verser la somme totale à 25.000 euros. Comme en première instance, la Cour d’appel rejette la fin de non-recevoir de l’homme politique au titre de sa qualité à défendre, relevant que s’il n’administrait pas personnellement ses comptes sur les réseaux sociaux, il reste le responsable légal de leurs publications. Il est donc condamné personnellement à verser la somme de 5.000 euros pour la diffusion des vidéos litigieuses sur ses réseaux sociaux, la France Insoumise étant quant à elle condamnée à verser 5.000 euros au titre des actes de contrefaçon pour la diffusion de la vidéo sur d’autres médias. Enfin, les deux parties sont condamnées in solidum au titre de l’atteinte aux différentes prérogatives du droit moral de l’auteur à verser la somme de 15.000 euros.

Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de ses activités de conseil et de contentieux, tant dans le domaine du droit de l’art, du marché de l’art, que du droit de la propriété intellectuelle, le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des artistes et des auteurs dans la défense de leur droits en raison d’une reprise non autorisée de leurs oeuvres, reprise susceptible de constituer un cas de contrefaçon. Notre Cabinet intervient aussi bien en France (à Paris et en région) qu’en Belgique (Bruxelles).

[1] Loi no 2016-1321 du 7 oct. 2016 pour une République numérique.
[2] Directive 2001/29/CE du Parlement et du Conseil du 22 mai 2001
[3] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 5 juill. 2023, RG no 21/11317.
[4] https://www.fournol-avocat.fr/actualite/2022/3/24/clip-de-campagne-condamnation-deric-zemmour-pour-contrefaon
[5] V. not. Cass. civ. 1re, 22 janv. 1991, no 89-15.617 ; Cass. civ. 1re, 17 déc. 1991, no 89-22.035; Cass. civ. 1re, 7 nov. 2006, no 05-17.165.