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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La modification conditionnée et limitée de l’ouvrage par l’éditeur

Article publié le 18 juillet 2023

En mai 2023, les coauteurs d’un ouvrage intitulé Fin mot de l’histoire. 201 expressions pour épater la galerie, Madame Nathalie Gendrot et Monsieur Guillaume Meurice, ont été confrontés à la suspension de la publication de l’ouvrage initialement prévu aux Éditions Le Robert puis à la résiliation unilatérale du contrat par l’éditeur. En effet, ce dernier leur demandait de modifier certains passages voulus humoristiques, qui porteraient, selon les auteurs, sur l’un des actionnaires de la maison d’édition. Une telle situation interroge ainsi sur la modification de l’ouvrage souhaitée soit par l’auteur, soit par l’éditeur, laquelle peut intervenir, tant en amont de la publication que lors des rééditions ultérieures. 

Une nécessaire distinction avec la correction des épreuves préalable à la signature du bon à tirer
L’auteur se trouve dans l’obligation de « mettre l’éditeur en mesure de fabriquer et de diffuser les exemplaires de l’œuvre » [1] et doit, à cette fin, remettre à l’éditeur un manuscrit afin de permettre sa publication. Ce faisant, la jurisprudence lui impose de procéder aux corrections nécessaires des épreuves avant de donner son accord définitif en signant un bon à tirer, sous peine de voir sa responsabilité potentiellement engagée[2]. Par ailleurs, le contrat d’édition prévoit de généralement, et selon les usages en vigueur, un pourcentage rapporté aux frais de composition au-delà duquel les corrections sont à la charge de l’auteur[3]. L’éditeur dispose également de la possibilité de procéder à certaines corrections, si celles-ci n’impactent pas l’intégrité de l’œuvre, telles que les fautes d’orthographe. Cette possibilité se mue en obligation, en ce que sa responsabilité peut être engagée en cas d’absence de correction pour manquement à son devoir de conseil d’aviser l’auteur des fautes ou de prendre l’initiative de les corriger, en sa qualité de professionnel de l’édition. Il en est de même en cas d’inexécution de ses obligations s’il procède à l’édition de l’ouvrage sans tenir compte des erreurs signalées par l’auteur et sans y remédier[4]. Pour autant, une telle obligation à la charge de l’éditeur peut être tempérée par les juges au regard de la nature de l’ouvrage[5].

L’encadrement législatif spécifique des modifications par le législateur français
Le Code de la propriété intellectuelle régit les modifications sur l’ouvrage en son article L. 132-11 alinéa 2 en énonçant que l’éditeur « ne peut, sans autorisation écrite de l’auteur, apporter à l’œuvre aucune modification ». La jurisprudence est particulièrement abondante quant à la qualification des modifications et a notamment pu considérer que l’insertion d’une préface à un ouvrage[6] ou des modifications opérées au sein de la partie intitulée appendice[7] pouvaient constituer des modifications de l’ouvrage sans l’autorisation de l’auteur.

Le droit moral de l’auteur comme protection érigée contre des modifications voulues par l’éditeur en droit belge
La disposition française précitée trouve un écho certain au sein du Code de droit économique belge. En effet, et bien que le législateur belge n’ait pas prévu de dispositions spécifiques quant à la modification de l’ouvrage par l’éditeur, l’auteur peut invoquer la protection due au titre du droit moral et notamment le « droit au respect de son œuvre lui permettant de s’opposer à toute modification de celle-ci »[8].

Une modification conditionnée et limitée pour l’éditeur
L’interdiction de l’éditeur d’effectuer la moindre modification à l’ouvrage de l’auteur peut être limitée si l’auteur lui en donne l’autorisation écrite en droit français ou, en raison du système spécifique du droit belge, si l’auteur renonce à l’exercice de son droit au respect dû à son œuvre. À cet égard, il a été jugé que l’auteur ne pouvait engager la responsabilité de l’éditeur qui n’avait pas procédé à la publication de l’ouvrage alors qu’il avait refusé de procéder aux modifications demandées en s’y étant pourtant contractuellement engagé[9]. Pour autant, tant en droit français qu’en droit belge, la possibilité donnée à l’éditeur de modifier l’ouvrage se trouve limitée. En France, le droit moral de l’auteur, comprenant le droit au respect de son œuvre, ne peut faire l’objet de la moindre limitation contractuelle[10], de telle sorte que l’éditeur autorisé par l’auteur à effectuer certaines modifications ne devra pas porter atteinte au respect dû à l’œuvre. Par ailleurs, en Belgique, le Code de droit économique ne manque pas de préciser que « Nonobstant toute renonciation, il conserve le droit de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation ». En tout état de cause, l’éditeur ne peut imposer à l’auteur de se réserver le droit d’apprécier « si l’œuvre convient bien au public et aux buts visés » et dans la négative prévoir des modifications voire « demander une nouvelle rédaction du texte », en ce qu’une telle clause ferait dépendre le contrat de la seule volonté de l’éditeur et revêtirait ainsi un caractère potestatif, sanctionnée par la nullité.

Une interdiction à la charge de l’éditeur pesant également pour les rééditions de l’ouvrage et l’actualisation de celui-ci
La réédition des ouvrages est également concernée par l’interdiction faite à l’éditeur de procéder à des modifications sans l’accord écrit de l’auteur. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a pu considérer qu’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre résultait de la suppression dans la nouvelle édition d’un ouvrage des photographies légendées, dès lors que « les légendes participaient de l'écriture de l'ouvrage en ajoutant un commentaire qui venait appuyer le propos de l'auteur chapitre après chapitre »[11]. Cela n’est pas sans rappeler l’actualité récente en matière de réécriture d’œuvres littéraires outre-Manche, ayant entraîné le dépôt d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale en mai 2023.
La modification d’un ouvrage imposée par la voie judiciaire est également susceptible d’intervenir a posteriori de sa publication et notamment sur le fondement d’une éventuelle atteinte à la vie privée de la personne objet de l’ouvrage, laquelle est protégée par l’article 9 du Code civil. L’actualité récente a effectivement été l’occasion de rappeler une telle possibilité s’agissant de la publication de l’ouvrage intitulé La Secrète écrit par Madame Bérengère Bonte qui n’est autre que la biographie de Madame Elisabeth Borne. Cette dernière sollicitait du Tribunal de Nanterre la suppression de certains passages relatifs à son orientation sexuelle et son alimentation. Sur le fondement du droit à l’information du public, composante du droit à la liberté d’expression, le Tribunal l’a déboutée de certaines de ses demandes mais a également prononcé le retrait de passages relatifs à son orientation sexuelle en cas de rééditions ou réimpressions de l’ouvrage.

Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs. Notre Cabinet d’Avocats intervient dans la défense des droits des auteurs aussi bien en France qu’en Belgique (Bruxelles).

[1] Code de la propriété intellectuelle, article L. 132-9.
[2] Cass. civ. ch. 1, 12 oct. 1977, no 76-11.641.
[3] À cet égard, le Code des usages en matière de littérature générale de 1981 prévoit que « Les corrections apportées par l'auteur au texte définitif et complet (manuscrits et documents) sont à la charge de l'auteur au-dessus de 10 % des frais de composition »
[4] CA Toulouse, ch. 2e, 22 févr. 1993, RG no 2287/92 pour des éditions comprenant « un nombre anormal d’omissions, de fautes de sémantique, et de fautes d’orthographes […] jointes à une mise en page souvent défectueuse ».
[5] CA Paris, pole 5, ch. 2, 19 juin 2009, RG no 08/08339 sur un ouvrage juridique en droit des affaires.
[6] TGI Paris, ch. 1, sect. 1re, 25 nov. 1987, Moritz c. Société Éditions Denoël.
[7] CA Paris, ch. 4, sect. B, 10 oct. 1997, RG no 94/08067.
[8] Code de droit économique belge, article XI. 165 §2.
[9] CA Paris, pôle 5, ch. 5, 10 avr. 2014, RG no 12/11527.
[10] Code de la propriété intellectuelle, article L. 121-1.
[11] CA Paris, pôle 5, ch. 2e, 25 juin 2010, RG no 09/01136.