Annulation de la vente aux enchères d’une planche de bande dessinée
Article publié le 17 juillet 2023
Le marché des originaux en matière de bande dessinée épouse les mêmes formes que celui de tout autre medium de la création artistique, les œuvres étant proposées à la vente par les auteurs eux-mêmes, par des galeries spécialisées ou encore par des maisons de ventes aux enchères. La seule spécificité de ce marché réside peut-être, à la différence d’autres domaines, dans l’importance des échanges entre collectionneurs passionnés, qui proposent sur des site Internet tels que 2DGalleries une présentation de l’étendue de leur collection, que les œuvres qui la composent soit à vendre ou non. Et comme tout autre support de création, ce marché impose une connaissance précise, une certaine spécialisation, soit une réelle expertise, qui parfois peut se révéler défaillante.
C’est ainsi qu’en 2012, une maison de ventes parisienne, proposant régulièrement à la vente des planches de bande dessinée, s’était vue confier plusieurs œuvres par un même vendeur, dont une planche correspondant à la 27e page de l’album « Tora Torapa », scénarisé et dessiné par Jean-Claude Fournier, album narrant les aventures de Spirou et Fantasio, publié en 1973 par les éditions Dupuis. Cette planche fut adjugée pour 7.000 euros, montant auquel s’ajoutaient nécessairement les frais acheteur portant le prix total à plus de 8.600 euros. Mais l’adjudicataire remit en cause quelques années plus tard son achat, après avoir acquis la conviction que la planche achetée n’était pas la planche originale, celle-ci se trouvant entre les mains d’un autre collectionneur de nationalité belge.
En première instance, le collectionneur déçu fut débouté de l’ensemble de ses demandes, à défaut d’avoir pu rapporter les preuves suffisantes pour convaincre le Tribunal judiciaire de Paris qu’il n’avait pas acquis la planche dessinée par l’auteur de l’album lui-même. En effet, selon la juridiction saisie, le collectionneur n’avait pas produit l’attestation du collectionneur belge et les photographies de la planche originale prétendument détenue par ce collectionneur. De la même manière, s’il produisait des documents de l’auteur lui-même de l’œuvre, indiquant que la planche qui lui avait été soumise était un simple fac-similé, il n’était pas possible pour le Tribunal de déterminer quelle planche avait été soumise à l’artiste et s’il s’agissait bien de la planche litigieuse. C’est pourquoi le collectionneur interjeta appel, tout en réunissant parallèlement les éléments de preuve qui lui avaient manqué en première instance.
La planche de bande dessinée, une œuvre d’art comme une autre
À l’occasion de la tentative de faire reconnaître l’éventuelle prescription de l’action en nullité intentée contre le vendeur, la Cour d’appel de Paris a fait logiquement application des dispositions du décret dit Marcus du 3 mars 1981, sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection, qui dispose qu’« à moins qu’elle ne soit accompagnée d’une réserve expresse sur l’authenticité, l’indication qu’une œuvre ou un objet porte la signature ou l’estampille d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur. Le même effet s’attache à l’emploi du terme « par » ou « de » suivie de la désignation de l’auteur. Il en va de même lorsque le nom de l’artiste est immédiatement suivi de la désignation ou du titre de l’œuvre ». Or, et fort heureusement, la Cour considère ici la planche originale comme une œuvre d’art, d’autant plus qu’aucune des parties au litige ne contestait que cette planche avait été présentée lors de la vente aux enchères publiques comme la planche originale de l’album.
La nullité prononcée de la vente d’un fac-similé
En ce qui avait trait à l’action en nullité elle-même, celle-ci était fondée de manière classique sur l’erreur sur les qualités essentielles de la chose vendue, soit ici sur l’authenticité même de l’œuvre. Cette action est subordonnée à la reconnaissance de trois conditions cumulatives, à savoir la preuve du caractère erroné d’une qualité entrée dans le champ contractuel, celle du caractère déterminant de cette qualité dans le consentement donné ici par l’acheteur et, enfin, celle du caractère excusable de l’erreur commise par celui qui s’en prévaut. À cet égard, la Cour énonce que « nul ne conteste que le fait d’acquérir une œuvre originale dessinée par l’auteur était un élément déterminant de l’acquisition et du consentement de [l’acheteur]. En revanche les intimés contestent qu’il s’agisse d’un faux ». Dès lors, tout le débat judiciaire devait se concentrer sur la démonstration du caractère erroné de la description opérée dans le catalogue de vente, soit, dit autrement, sur le caractère non-authentique de la planche vendue comme un original.
Au-delà d’une attestation et d’une photographie confirmant toutes deux qu’un autre collectionneur avait en sa possession l’œuvre originale, l’acheteur lésé produisait une attestation rédigée par l’artiste lui-même et adressée à un tiers particulièrement limpide quant au fait que la planche vendue en vente aux enchères publiques était un faux. En effet, l’artiste énonçait notamment que la planche n’était pas un original mais un simple fac-similé, ce qu’il avait tout de suite repéré ne serait-ce que par le papier utilisé et le grammage de celui-ci. Pour lever tout doute, le dessinateur joignait même un échantillon découpé dans la marge d’une autre planche de « Tora Torapa ». Quant au fac-similé lui-même, le dessinateur visiblement échaudé avait inscrit depuis lors de manière manuscrite la mention suivante au dos de la planche litigieuse : « Je soussigné Jean-Claude Fournier AUTEUR de la bande dessinée TORA TORAPA dont est extraite cette planche, déclare qu’il ne s’agit pas là de l’original ».
Si d’autres éléments de preuve étaient également rapportés par le collectionneur lésé, cette attestation dédoublée de l’auteur de l’œuvre originale aurait assurément suffi à convaincre la Cour d’appel. Cette dernière retient, au terme de son arrêt du 25 mai 2023, qu’il est « ainsi suffisamment démontré que la planche acquise par [le collectionneur lésé] n’était pas un original alors qu’elle était vendue comme telle et que cette erreur portant sur une qualité substantielle doit entraîner l’annulation de la vente et partant les restitutions réciproques de la planche acquise et du prix de vente soit 8 674,40 euros ». Le long combat judiciaire du collectionneur lésé lui aura finalement permis de restituer le fac-similé acquis et de se voir rembourser l’intégralité du prix payé lors de la vente aux enchères de 2012.
De telles demandes en nullité d’une vente de planche de bande dessinée ne sont pas si rares. C’est ainsi que notre Cabinet a pu intervenir, en 2021 et en 2022, au profit de deux collectionneurs différents afin d’obtenir de manière amiable la nullité de deux ventes aux enchères, l’une concernant une planche originale et l’autre un dessin original tous deux mal décrits au sein du catalogue de vente. Les deux collectionneurs ont pu obtenir hors de tout procès la nullité de la vente concernée et le remboursement du prix payé à l’époque avec une indemnisation complémentaire.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art, au droit du marché de l’art et au droit de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs de bandes dessinées, ainsi que leurs ayants droit, aussi bien à Paris qu’en province ou à l’étranger, notamment en Belgique. Notre Cabinet d’Avocats a su développer une expertise particulièrement reconnue dans ce domaine notamment pour les successions de certains auteurs de bandes dessinées français ou belges et est notamment intervenu dans la toute première dation réalisée au profit de l’État français de planches et d’illustrations d’un auteur français de bande dessinée. Notre Cabinet d’Avocats intervient également auprès des collectionneurs de ce domaine très spécifique qu’est celui de la bande dessinée, notamment dans l’aide à la gestion de leur collection ou dans la défense de leurs droits, à l’instar des actions en nullité d’une vente aux enchères publiques.