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Destruction d’une fresque par l’ex-conjoint et atteinte au droit moral

Si les destructions d’œuvres placées dans l’espace public semblent bien malheureusement occuper un pan important de l’actualité des juridictions spécialisées, la destruction d’une œuvre d’art réalisée dans l’espace intime du domicile est, quant à elle, fort peu fréquente.

Dans l’espèce qui était soumise à l’analyse de la Cour d’appel de Bordeaux, un artiste amateur avait réalisé une fresque sur l’un des murs du domicile conjugal, fresque représentant les deux époux et leurs enfants. Les époux entamèrent une procédure de divorce et la jouissance du domicile conjugal fut attribué à la seule épouse, au terme d’une ordonnance de non-conciliation.

Afin de pouvoir mettre en vente dans les meilleures conditions possibles la maison autrefois commune, l’agent immobilier recommanda à l’épouse qui demeurait encore au domicile de faire disparaître la fresque représentant une scène familiale et intime. C’est ce que fit l’épouse, sans avoir préalablement consulté par écrit son futur ex-mari et sans avoir pris le soin de recueillir expressément son consentement à un tel effacement définitif. L’artiste amateur assigna alors son ex-conjointe en violation de ses droits d’auteur, notamment au titre du droit moral, dès lors que l’œuvre était définitivement détruite et qu’une atteinte à l’intégrité de celle-ci pouvait être corrélativement reconnue. C’est dans ces conditions que se présenta le litige devant la Cour d’appel de Bordeaux qui infirma, le 7 novembre 2022[1], la décision rendue en première instance en reconnaissant, d’une part, la qualification d’œuvre de l’esprit à la création murale et, d’autre part, le préjudice subi par l’artiste amateur.

Une œuvre protégée, quel qu’en soit le mérite
Afin d’envisager toute atteinte éventuelle au droit moral, il était nécessaire de qualifier en premier lieu la création effacée d’œuvre de l’esprit. En l’espèce, la Cour relève que si la fresque peinte par l’ancien mari présente « une inspiration non dissimulée envers des artistes bien connus, celle-ci présente cependant des caractéristiques propres ». En effet, l’œuvre avait été réalisée à partir de trois œuvres, consistant en des reproductions de deux affiches publicitaires d’Alfons Mucha et d’une peinture de Jan Preisler, où les visages d’origine des mannequins et des personnages ont été remplacés par ceux de la famille du créateur. Or, selon la Cour, « la représentation de la famille effectuée est indiscutable et elle correspond au point de vue de son auteur ». En ce sens, il s’agissait d’une « représentation personnalisée de la famille des parties qui n'appartient qu'à son auteur, lequel a d’ailleurs, pour correspondre à son ressenti personnel, modifié des éléments de décors et même l’orientation du tableau de droite afin d'obtenir un ensemble cohérent ». Dès lors, l’auteur est allé au-delà de la seule copie et a su insuffler à sa création une dimension personnelle, c’est-à-dire qu’il est parvenu à imprimer à la fresque l’empreinte de sa personnalité, condition de reconnaissance de l’originalité et de l’éligibilité à la qualification d’œuvre de l’esprit.
Enfin, la Cour d’appel de Bordeaux conclut son raisonnement en rappelant que « s’il n’appartient pas à la présente cour de se prononcer sur la qualité artistique de cette fresque, voire du talent de l’auteur dans la réalisation, il sera néanmoins constaté que celle-ci veut représenter sa vision de sa propre famille lors de sa création ». Cette précaution de plume de la part des magistrats vise à éviter toute cassation éventuelle de la décision rendue si la notion de mérite avait surgi au sein de la décision. En effet, l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle fonde un principe cardinal selon lequel toutes les œuvres de l’esprit, « quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination », sont protégées. Cette indifférence du « mérite » dans la qualification d’une création en tant qu’œuvre de l’esprit vise à éviter tout arbitraire des juges dans l’appréhension judiciaire de l’œuvre qui leur est soumise. Il s’agit également ici d’éviter toute inégalité devant la justice entre les créateurs, à l’instar de l’impossibilité d’envisager la protection d’une œuvre sous le prisme de l’esthétique. Mais cette précaution de plume ne prévaut qu’au stade de la qualification de la création, car elle ressurgit à l’évidence dans l’appréciation par la Cour d’appel du préjudice subi par l’artiste amateur.

Un préjudice atténué
Une fois la fresque qualifiée d’œuvre de l’esprit, son effacement pouvait donner lieu à la réparation de deux préjudices distincts : l’un au titre de l’atteinte aux droits patrimoniaux, l’autre au titre de l’atteinte au droit moral.
Sur le premier chef de préjudice, la Cour retient que l’auteur « ne saurait se plaindre de la moindre perte à titre patrimonial. En effet, en cédant sa maison, il savait expressément perdre son droit de représentation quant à l'œuvre concernée, puisque les acquéreurs n'avaient aucune obligation de lui permettre à nouveau l'accès à sa fresque ».
Sur le second chef de préjudice, la Cour énonce qu’il « est exact que l'appelant peut se prévaloir de la perte de son œuvre au titre de son droit moral, n'ayant jamais acquiescé à sa destruction, prérogative qui lui est entièrement personnelle et ne relevant en aucun cas de la communauté ayant existé entre les époux, ou de son partage ». L’atteinte au droit moral retenue, soit ici au droit dû à l’intégrité de l’œuvre, la Cour fixe le préjudice subi à un montant « justement évalué à la somme de 500 € », en raison des « circonstances de faits rappelées ci-avant ». Au-delà du contexte familial, il est aisé de lire sous la plume de la Cour une minoration du préjudice attachée à la qualité de l’œuvre et à celle de son auteur, un artiste amateur. Les décisions en la matière étant de manière générale davantage heureuses pour les artistes professionnels dont l’œuvre a fait l’objet d’une dégradation irrémédiable.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art, le Cabinet intervient régulièrement pour le compte d'artistes, dont les oeuvres ont été détériorées ou irrémédiablement détruites tant par des personnes de droit privé que de droit public.

Si vous êtes un artiste ou un héritier d'artiste concerné par la dégradation ou la destruction d'une oeuvre, le Cabinet répond gracieusement à votre première sollicitation. 

[1] CA Bordeaux, 1re ch. civ., 7 nov. 2022, RG no 19/06752.