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Prescription de l’action en contrefaçon

Tout à la fois sculpteur et peintre, un artiste avait créé en 1985 une œuvre destinée au Musée du cheval vivant aux Grandes écuries, œuvre consistant en une sculpture monumentale de trois mètres de hauteur représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire. Postérieurement à la création de cette œuvre, l’artiste avait pu découvrir qu’un autre artiste s’était indûment approprié sa création pour réaliser plusieurs reproductions sans autorisation de sa sculpture ou d’une partie seulement de celle-ci. Parmi ces reproductions non autorisées, l’une avait été exposée dans les jardins d’une société gérant l’un des rares jardins remarquables d’Ile-de-France. Le caractère contrefaisant de cette reproduction non autorisée fut définitivement reconnu par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.

L’artiste souhaitait dorénavant rechercher la responsabilité de la société gestionnaire du parc et de son dirigeant, dès lors qu’aucun accord amiable ne fut trouvé entre les parties. C’est pourquoi, une action fut intentée devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille, sur le fondement du droit d’auteur, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle et d’obtenir une indemnisation. En première instance, l’artiste avait réussi à obtenir gain de cause. La Cour d’appel de Douai vient de renverser cette décision, le 22 septembre 2022[1], en constatant la prescription de l’action en contrefaçon, faute pour l’artiste de ne pas avoir assigné dans les délais impartis par les dispositions impératives du Code civil.

L’action en contrefaçon soumise aux règles de l’article 2224 du Code civil
La société défenderesse opposait en appel à l’artiste le bénéfice de la prescription extinctive, soit ici le caractère irrecevable des demandes formulées à son encontre, celles-ci ayant été introduites judiciairement trop tard par rapport à la date de connaissance des faits dénoncés. Cette argumentation a emporté la conviction de la Cour d’appel de Douai.
En effet, les magistrats rappellent à juste titre ici que la prescription des actions civiles en contrefaçon de droit d’auteur relève des dispositions de l’article 2224 du Code civil aux termes desquelles « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Le délai de prescription de l’action en contrefaçon relève ainsi, de manière communément admise par la doctrine, du régime des actions dites personnelles et mobilières. Ce délai est donc de cinq ans. Quant au point de départ de ce délai, celui-ci correspond soit au jour de la commission de la contrefaçon soit au jour où le titulaire a eu connaissance de la contrefaçon, même si les faits dénoncés s’inscrivent « dans la durée », c’est-à-dire qu’ils présentent un caractère continu.
Or, selon la Cour, la présence de la statue litigieuse dans le parc avait été connue de l’artiste dès le dépôt du rapport d’expertise daté du 3 septembre 2004, dans le cadre d’une procédure pénale menée à la demande de celui-ci, et le caractère contrefaisant de la statue avait été définitivement reconnu par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008. Le point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon correspondait donc, au plus tard, à la décision définitive de la Cour d’appel de Paris, soit le 17 décembre 2008, et la prescription extinctive était acquise corrélativement au 17 décembre 2013. L’assignation devant le Tribunal judiciaire de Lille ayant été délivrée en 2021, l’action du requérant était nécessairement prescrite.

Prescription : distinction entre le droit et l’action
Une telle solution semble, à première vue, contradictoire avec l’un des deux volets du droit d’auteur, à savoir le droit moral. Celui-ci est en effet tout à la fois réputé perpétuel et imprescriptible. En effet, le droit moral n’est susceptible ni d’une prescription acquisitive, ni d’une prescription extinctive, c’est-à-dire qu’un tel droit de se perd pas par le non-usage. C’est ainsi qu’une traductrice qui est restée inactive durant treize ans demeure toujours investie, selon une décision plus ancienne de la Cour d’appel de Paris, de la possibilité d’exiger que son nom soit dûment mentionné[2]. En revanche, l’imprescriptibilité du droit moral ne saurait se confondre avec la prescription de l’action qui vise à voir sanctionnée et réparée toute atteinte à celui-ci. En d’autres termes, l’imprescriptibilité ne s’applique qu’au droit lui-même et non à l’action visant à faire sanctionner le non-respect de ce droit. Pareille distinction a pu être rappelée par la Cour de cassation, le 3 juillet 2013, à propos du droit moral de l’artiste-interprète. La haute juridiction avait ainsi retenu que « si le droit moral de l’artiste-interprète est imprescriptible et son droit patrimonial couvert pendant cinquante ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes qui sont portées à l’un ou à l’autre sont soumises à la prescription de droit commun »[3].
Cette solution a fait l’objet de quelques applications postérieures par les juridictions du fond, à l’instar du Tribunal judiciaire de Paris qui avait retenu le 13 octobre 2013[4], dans un litige opposant les héritiers de François Stahly à une commune de la banlieue parisienne, l’application des dispositions de l’article 2224 du Code civil à une action en contrefaçon. Dans l’espèce soumise au Tribunal judiciaire, le débat portait alors sur le point de départ de la prescription de cinq années, c’est-à-dire sur la date de la connaissance exacte de l’atteinte portée au droit moral.
La question de la détermination précise du point de départ de la prescription fait désormais l’objet de la plupart des questions relatives à la prescription extinctive de l’action en contrefaçon. C’est ainsi que la chambre criminelle de la Cour de cassation avait pu retenir que l’action du photographe Peter Beard n’était pas prescrite, celui-ci n’ayant découvert qu’en octobre 2007 la commercialisation d’œuvres qui lui étaient faussement attribuées. L’artiste ayant porté plainte en 2008, le contrefacteur tenter de lui opposer le bénéfice de la prescription estimant que celle-ci courait à compter de la vente des œuvres, et que corrélativement, au moment du dépôt de plainte avec constitution de partie civile de Peter Beard, la prescription était acquise. Cette analyse fut rejetée par la Cour de cassation le 20 janvier 2021, celle-ci considérant que le point de départ de la prescription était la découverte par le photographe des transactions frauduleuses, dès lors que « les faits de contrefaçon par diffusion d’œuvres de l’esprit […] ont été dissimulés jusqu’à leur découverte en octobre 2007 dans des conditions permettant l’exercice de l'action publique »[5]. La question probatoire de la connaissance de l’atteinte portée au droit d’auteur constitue ainsi l’une des pierres angulaires de l’action en contrefaçon et impose alors de s’assurer qu’aucune difficulté n’existe sous peine de voir l’action rejetée pour cause de prescription de celle-ci.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des artistes et leurs héritiers confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme.

[1] CA Douai, ch. 1, sect. 2, 22 sept. 2022, RG no 21/06332.

[2] CA Paris, 4e ch., 20 janv. 1999, RIDA 1999, no 180, p. 374.

[3] Cass. civ. 1re, 3 juill. 2013, no 10-27.043.

[4] TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 13 oct. 2016.

[5] Cass. crim., 20 janv. 2021, no 19-82.456.