Nouvelle valse des œuvres de Maurice Ravel dans le « domaine public »
Compositeur et orchestrateur notoire du XXe siècle, le nom de Maurice Ravel est également associé à une singularité juridique. En effet, la durée de la protection des droits patrimoniaux attachés à ses œuvres présente une particularité. Après les années 2008 et 2016, certaines œuvres du compositeur français ne bénéficient désormais plus de la protection afférente aux droits patrimoniaux depuis ce 1er octobre 2022, soit 85 ans après le décès de l’auteur.
Une protection étendue de 50 à 70 ans suivant la date du décès de l’auteur
La durée de protection des œuvres musicales, autrefois portée à 50 ans suivant le décès de leur auteur, a été étendue par la loi no 85-660 du 3 juillet 1985. Depuis lors, ces œuvres bénéficient d’une protection de 70 ans à compter du 1er janvier de l’année suivant le décès de leur auteur[1] ou du dernier des co-auteurs dans le cas d’une œuvre de collaboration[2]. Dès lors, les œuvres de Maurice Ravel, à l’exception des œuvres de collaboration, auraient donc dû, en principe, voir les droits patrimoniaux qui y sont attachés s’éteindre le 1er janvier 2008.
Des prorogations légales de la durée des droits patrimoniaux pour faits de guerre
En raison du manque à gagner certain pour les auteurs au cours des deux guerres mondiales, la France, comme d’autres pays européens tels que l’Italie[3] ou la Belgique[4], ont octroyé des extensions de la durée des droits des auteurs d’œuvres publiées avant ou pendant les conflits mondiaux du XXe siècle.
Une première période de prolongation fut accordée entre la mobilisation française du 2 août 1914 et la fin de l’année suivant le jour de la signature du traité de Versailles, soit le 31 décembre 1920. Dès lors, les œuvres publiées antérieurement bénéficiaient d’une durée de protection supplémentaire de 6 ans et 152 jours[5]. Le même système fut mis en place après la Seconde Guerre mondiale, les œuvres bénéficiant alors d’une protection allongée à compter de la déclaration de guerre à l’Allemagne, le 3 septembre 1939 au 1er janvier 1948, soit une durée de 8 ans et 120 jours[6]. Les deux délais étant susceptibles de se cumuler, une œuvre publiée avant 1920 bénéficie d’une protection supplémentaire de 14 ans et 272 jours avant que les droits patrimoniaux attachés auxdites œuvres ne s’éteignent.
L’extinction des droits patrimoniaux des œuvres de Maurice Ravel en plusieurs temps
Le cumul des délais précités, entre la durée légale désormais portée à 70 ans et les prolongations dues aux conflits mondiaux, ont entraîné une entrée progressive des œuvres du compositeur français dans le « domaine public », nécessitant de s’attacher à leur date de divulgation.
C’est ainsi qu’en 2008, les œuvres posthumes de Maurice Ravel et publiées après la Seconde Guerre mondiale, bénéficiant uniquement du délai de protection de 70 ans, ont vu leurs droits patrimoniaux s’éteindre. Ce corpus d’œuvres comprenait notamment la Sérénade grotesque, composée en 1893 mais divulguée en 1975.
En 2016, ce sont les œuvres publiées après 1921, et ne bénéficiant donc pas de la protection supplémentaire due au titre de la Première Guerre mondiale, qui ne sont plus protégées au titre des droits patrimoniaux, dont le Boléro composé en 1928.
Ce sont donc les œuvres publiées avant la Première Guerre mondiale qui se voient octroyer un surplus de temps de protection, voyant leurs droits patrimoniaux s’éteindre après des œuvres publiées postérieurement. C’est selon ce mécanisme que les œuvres publiées avant 1921, dont Daphnis et Chloé, voient leurs droits patrimoniaux s’éteindre, ce 1er octobre 2022.
Pour autant, certaines œuvres de Maurice Ravel sont encore protégées au titre des droits patrimoniaux, celles-ci correspondant alors à certaines œuvres de collaboration. En effet, le point de départ du délai de 70 ans correspond à l’année suivant le décès du dernier des co-auteurs de toute œuvre de collaboration. À titre d’exemple, les droits patrimoniaux afférents à Don Quichotte à la dulcinée dont les paroles ont été écrites par Paul Morand, décédé en 1976, ne s’éteindront qu’en 2055.
Des enjeux financiers certains
Au terme de ces délais de protection, les droits patrimoniaux afférents à l’œuvre s’éteignent. Ce faisant, elle peut être exploitée, c’est-à-dire reproduite et représentée sans nécessiter l’autorisation des ayants droit. Une telle autorisation exigeant généralement une contrepartie financière. C’est d’ailleurs en raison de ces enjeux financiers que les ayants droit de Ravel et les héritiers d’Alexandre Benois, décorateur du ballet du Boléro, arguaient de la qualité de co-auteur du décorateur, décédé en 1960. En effet, une telle reconnaissance aurait eu pour incidence de permettre aux droits patrimoniaux afférents au Boléro de s’éteindre en 2039, permettant encore de générer d’importants revenus.
Une protection perpétuelle du droit moral
Bien que les droits afférents à l’exploitation de l’œuvre s’éteignent au terme de ces délais de protection, le droit moral sur l’œuvre est perpétuel[7], lequel comprend le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Le respect du droit moral permet de sanctionner tant l’absence de mention du nom de l’auteur sur toute exploitation de son œuvre que les modifications dénaturant l’œuvre. Une spécificité existe outre-Quiévrain, en ce que l’extinction du droit moral est simultanée à celle des droits patrimoniaux[8].
Un cumul de protection désormais révolu
La possibilité de cumuler les délais légaux n’est désormais plus d’actualité. En effet, suivant un objectif d’harmonisation des droits d’auteur au sein de l’Union Européenne, une directive européenne vient homogénéiser la durée des droits patrimoniaux à 70 ans, faits de guerre inclus[9]. La Cour de cassation en déduit alors que « la période de 70 ans retenue pour harmoniser la durée de protection des droits d'auteur au sein de la Communauté européenne couvre les prolongations pour fait de guerre accordées par certains États membres, hormis les cas où au 1er juillet 1995, une période de protection plus longue avait, dans ces pays, commencé à courir, laquelle est alors seule applicable »[10]. Ainsi, les œuvres dont la protection était déjà supérieure à 70 ans avant le 1er juillet 1995 ne connaissent aucune déconvenue, selon le principe des droits acquis[11]. Pour les œuvres postérieures, la durée de protection des droits ne pourra faire l’objet de prorogations.
Un article écrit par Adélie Michel
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre juillet et octobre 2022.
Le Cabinet intervient pour de nombreux estate ou successions d’artistes, tant français qu'étrangers, afin de les accompagner dans la structuration de leurs activités, qu'ils soient organisés sous forme de fondation, de fonds de dotation, d'association ou sous la forme d'une indivision successorale. Les conseils prodigués portent notamment sur le processus d'authentification, la défense de l'oeuvre - d'un point de vue juridique et sur le marché - et la promotion de celle-ci. Nous assurons un suivi constant, qui ne se limite pas au seul domaine juridique, et intervenons aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment pour des procédures en contrefaçon ou pour des procédures attachées à des problématiques d’authenticité.
[1] Code de la propriété intellectuelle, article L. 123-1.
[2] Code de la propriété intellectuelle, article L. 123-2.
[3] Décret législatif italien no 440 du 20 juillet 1945 abrogé en 1995.
[4] Loi du 25 juin 1921 portant prorogation, en raison de la guerre, de la durée des droits de propriété littéraire et artistique abrogée en 1994.
[5] Code de la propriété intellectuelle, article L. 123-8.
[6] Code de la propriété intellectuelle, article L. 123-9.
[7] Code de la propriété intellectuelle, article L. 121-1.
[8] Code du droit économique Belge, article XI. 166.
[9] Directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 oct. 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins.
[10] Cass. civ. 1ère, 27 fevr. 2007, nos 04-12.138 et 05-21.962.
[11] Code civil, article 2.