Prescription de l’action en recel successoral
Article publié le 12 mars 2025
Le recel successoral constitue une notion juridique clé visant à sanctionner tout héritier ayant tenté de s'approprier une part de la succession supérieure à celle à laquelle il a droit. En ce sens, l’héritier a rompu l'égalité du partage entre cohéritiers. Cette fraude peut se manifester notamment par la dissimulation de biens, la dissimulation de l'existence d'un cohéritier ou la dissimulation d'une libéralité consentie par le défunt. Ce phénomène peut prendre diverses formes, mais il revêt une importance particulière lorsque des œuvres d’art sont en jeu car elles sont souvent au cœur des convoitises dans les successions d’artistes ou de collectionneurs. En effet, une œuvre d’art créée de son vivant par l’artiste ou incluse dans une vaste collection peut avoir vocation à ne pas être connue de l’ensemble des héritiers faute d’inventaire particulièrement précis et détaillé ou encore en raison de la multiplicité des lieux de stockage du travail d’un artiste ou de la collection d’un particulier.
Un arrêt récent de la Cour de cassation, en date du 5 mars 2025, illustre l'application des règles de prescription en matière de recel successoral.
Dans l’espèce soumise à l’appréciation de la Cour de cassation, une femme était décédée en novembre 2012 en laissant pour lui succéder ses deux fils. L’actif successoral était composé d'une maison qui fut vendue par le ministère d’un notaire, qui, sur sollicitation d’un des héritiers, avait consigné une partie du prix de vente. Cet héritier, décédé le 9 février 2018, avait laissé pour lui succéder son épouse par des dispositions testamentaires l’ayant instituée légataire universelle. L’un des autres héritiers concerné par la succession initiale a alors assigné en janvier 2020 le notaire et l’épouse survivante de son co-héritier en constatation d'un recel successoral commis par son co-héritier (le frère du requérant) en raison notamment de la dé-consignation de la somme séquestrée auparavant par le notaire ayant procédé à la vente du bien immeuble. L’examen de la Cour de cassation s’est ainsi porté sur la prescription de l'action en recel successoral au regard des faits de l’espèce.
Délai de prescription et point de départ du délai de l'action en recel successoral
Conformément à l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, selon la Cour de cassation, « à défaut de texte spécial, l'action en sanction du recel successoral prévue à l'article 778 du Code civil, qui présente le caractère d'une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du même Code ». Ainsi, en matière de recel successoral, ce délai de prescription quinquennale court à partir du moment où l'héritier lésé a eu connaissance des actes frauduleux. Il est donc essentiel pour les héritiers de rester vigilants et d'agir rapidement dès la découverte d'un recel afin de préserver leurs droits dans le délai contraint de cinq années. De la même manière, la date d’ouverture de la succession du défunt peut avoir une influence sur les délais de prescription de l’action.
Le point de départ du délai de prescription peut, quant à lui, varier en fonction des circonstances de chaque espèce concernée. En principe, il court à compter de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire du décès du de cujus. Cependant, si l'héritier demandeur démontre qu'il n'a eu connaissance des faits constitutifs du recel qu'à une date ultérieure, le délai de prescription peut être reporté à cette date de découverte. Il est donc crucial de pouvoir parvenir à prouver la date à laquelle l'héritier a eu connaissance du recel pour déterminer précisément le point de départ du délai de prescription ou, en tout état de cause, la date à laquelle il est réputé avoir pu avoir connaissance des faits constitutifs du recel successoral.
Cette preuve peut être apportée par tout moyen et notamment par le biais d’attestations ou de documents démontrant la date à laquelle l'héritier lésé a eu effectivement connaissance du recel. Or, et en l’espèce, la Cour de cassation, au terme de son arrêt du 5 mars 2025, valide l’analyse de la cour d’appel de Grenoble qui avait retenu qu'à la date du 4 mars 2014, la détection par le requérant des mouvements bancaires considérés comme suspects lui permettait d'exercer l'action en recel successoral contre son frère, en a exactement déduit que cette action, engagée par assignations des 13 et 17 janvier 2020, était prescrite car mise en œuvre plus de cinq années après la connaissance effective des faits litigieux.
Prescription en cas de recel successoral concernant une libéralité
Au-delà du droit commun de la prescription, une spécificité existe pour le recel successoral concernant une libéralité consentie par le défunt à l’un des héritiers en fraude des droits des autres héritiers. Dans ce cas, celui d’une libéralité, et par principe, l’action visant à faire sanctionner un recel successoral doit intervenir avant le partage de la succession entre les différents héritiers, c’est-à-dire, par exemple, avant la répartition des œuvres d’un artiste entre ses différents héritiers. En effet, ici l’action judiciaire à l’encontre du détournement d’une partie de l’héritage ou de la succession a pour vocation de rapporter à l’actif successoral la libéralité qui aurait bénéficié à un seul héritier en fraude des droits des autres. Au terme d’une décision du 6 novembre 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation a pu considérer qu’une fois le partage intervenu, l’héritier victime du recel doit agir en nullité du partage, en complément de part ou en partage complémentaire, mais n’est plus recevable à solliciter l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision. De la même façon, lorsque les indemnités de rapport des libéralités ont été omises d’un partage amiable, l’action en partage destinée à obtenir l’exécution du rapport n’est plus recevable. En d’autres termes, les demandes tendant à l’exécution du rapport des libéralités et à la sanction d’un recel successoral doivent être formées à l’occasion d’une action en partage. Or, une action en partage judiciaire ne peut plus être engagée lorsque les parties ont déjà mis fin à l’indivision par un partage amiable.
La prescription de l'action en recel successoral est une question complexe qui dépend de plusieurs facteurs, notamment la date d'ouverture de la succession, la date de découverte des faits et les actions entreprises par les héritiers. Il est donc essentiel pour les héritiers de rester vigilants et d'agir rapidement en cas de suspicion de recel successoral afin de préserver leurs droits et éviter l'irrecevabilité de leur action pour cause de prescription.
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Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des héritiers dans l'appréhension des problématiques successorales spécifiques attachées aux œuvres et objets d'art. Que ces problématiques soient d’ordre fiscal, d’ordre successoral ou encore d’ordre pénal.
Notre Cabinet d’avocats accompagne des successions d’artistes plasticiens, de photographes, de designers, d’illustrateurs, français ou étrangers, bénéficiant d’une reconnaissance très importante par le marché et le monde de l’art ou en voie de bénéficier d’une telle reconnaissance. Nous assurons un suivi constant, qui ne se limite pas au seul domaine juridique. Nous accompagnons également des successions de collectionneurs afin de les aider à mettre en valeur les collections héritées. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).