Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Le recel successoral : quand l’art devient un sujet de litige entre héritiers

Article publié le 31 août 2024

Le recel successoral est un terme juridique souvent méconnu mais pourtant crucial dans le cadre des successions. Le recel successoral désigne ainsi l’acte par lequel un héritier tente de dissimuler ou de détourner une partie de l’héritage au détriment des autres ayants droit. Ce phénomène peut prendre diverses formes, mais il revêt une importance particulière lorsque des œuvres d’art sont en jeu car elles sont souvent au cœur des convoitises dans les successions d’artistes ou de collectionneurs. En effet, une œuvre d’art créée de son vivant par l’artiste ou incluse dans une vaste collection peut avoir vocation à ne pas être connue de l’ensemble des héritiers faute d’inventaire particulièrement précis et détaillé ou encore en raison de la multiplicité des lieux de stockage du travail d’un artiste ou de la collection d’un particulier.

Qu’est-ce que le recel successoral ?
Le recel successoral est visé à l’article 778 du Code civil, qui dispose que tout héritier qui, dans l’intention de nuire à ses cohéritiers, dissimule des biens de la succession ou les détourne, peut être civilement sanctionné. Le recel est donc caractérisé par une intention frauduleuse et vise à priver les autres héritiers de leur juste part. Selon une définition fort ancienne de la Cour de cassation, cette notion recouvre « toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l’égalité du partage quels que soient les moyens employés pour y parvenir »[1]. Tout procédé frauduleux, quel qu’il soit, peut donc donner lieu à la qualification d’un fait de recel d’héritage ou de recel de succession. Et ce, que l’acte incriminé soit antérieur ou postérieur au décès, dès lors que les effets se sont poursuivis après l’ouverture de la succession du défunt.
Le recel successoral constitue donc un délit sanctionné par une peine privée, laquelle présente un double visage. D’une part, l’héritier se trouve déchu du choix de l’option successorale, tant de la faculté d’accepter à concurrence de l’actif net que de celle de renoncer : il est considéré comme acceptant pur et simple. D’autre part, l’héritier est privé de sa part dans les objets recelés que ses cohéritiers se partageront alors sans lui. Les conséquences pour l’héritier receleur sont donc sévères : il peut être privé de sa part sur les biens dissimulés ou détournés. En d’autres termes, il devra restituer les biens ou la valeur des biens recelés sans pouvoir prétendre à sa propre part dans ceux-ci.

Qui peut être considéré comme receleur ?
Le recel successoral ne peut être constitué qu’à la stricte condition qu’il existe une pluralité d’héritiers et plus précisément une pluralité de successeurs universels ou à titre universel. À ce titre, les héritiers dits ab intestat, les légataires universels ou à titre universel, ainsi que les institués contractuels sont concernés par le recel successoral. En revanche, ne devraient pas être concernés par principe le légataire à titre particulier, le donataire non héritier, ainsi que l’usufruitier de l’universalité de la succession, ce dernier ne présentant pas une véritable situation d’indivision avec les héritiers nus-propriétaires. Enfin, le recel successoral ne peut sanctionner celui qui n’a pas la qualité de successeur, dès lors qu’il ne vient pas aux opérations de liquidation et de partage ni celui qui n’a pas accepté la succession. Une attention particulière devra donc être portée aux personnes dont la responsabilité pourrait être recherchée pour des faits de recel successoral. S’ils ne se sont pas rendus coupables du délit sanctionné par l’article 778 du Code civil, d’autres fondements juridiques devront être trouvés. 

Comment prouver le recel successoral ?
Prouver un recel successoral peut s'avérer complexe, car une telle action nécessite de démontrer l'intention frauduleuse de l'héritier qui a détourné une partie de l’héritage, de la succession. La réunion de telles preuves impose souvent la mise en œuvre d’investigations approfondies, le recueil de témoignages et parfois des expertises sur l’authenticité ou la provenance des œuvres d’art considérées comme ayant été frauduleusement soustraites à la succession. Les notaires et avocats jouent ici un rôle crucial dans ce processus, en veillant à ce que chaque bien relevant de la succession soit dûment évalué, décrit et déclaré, notamment lorsque sont concernées des successions d’artistes ou de collectionneurs.

Que faire en cas de recel successoral ?
Lorsque des soupçons de recel successoral et de détournement de l’héritage existent, il est impératif d’agir dans les meilleurs délais. En effet, la prescription de l’action visée à l’article 778 du Code civil est ici celle imposée par l’article 2224 du Code civil, à savoir cinq ans pour les successions ouvertes après le 17 juin 2008. Une solution différente existe pour les successions ouvertes antérieurement.
Quant au point de départ de ce délai de cinq ans, celui-ci correspond par principe au jour de l’ouverture de la succession. Mais en matière de recel d’héritage, il a pu être considéré par certaines juridictions que le point de départ correspondrait à la date du décès dans l’hypothèse où le défendeur à l’action en recel successoral serait en mesure de prouver la connaissance par le demandeur de l’acte incriminé au moment du décès du défunt. L’accompagnement par un avocat est ici nécessaire.

Est-il trop tard pour agir contre un détournement de succession ?
Au-delà du droit commun de la prescription, une spécificité existe pour le recel successoral concernant une libéralité consentie par le défunt à l’un des héritiers en fraude des droits des autres héritiers.
Dans ce cas, celui d’une libéralité, et par principe, l’action visant à faire sanctionner un recel successoral doit intervenir avant le partage de la succession entre les différents héritiers, c’est-à-dire, par exemple, avant la répartition des œuvres d’un artiste entre ses différents héritiers. En effet, ici l’action judiciaire à l’encontre du détournement d’une partie de l’héritage ou de la succession a pour vocation de rapporter à l’actif successoral la libéralité qui aurait bénéficié à un seul héritier en fraude des droits des autres. Au terme d’une décision du 6 novembre 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation a pu considérer qu’une fois le partage intervenu, l’héritier victime du recel doit agir en nullité du partage, en complément de part ou en partage complémentaire, mais n’est plus recevable à solliciter l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision. De la même façon, lorsque les indemnités de rapport des libéralités ont été omises d’un partage amiable, l’action en partage destinée à obtenir l’exécution du rapport n’est plus recevable. En d’autres termes, les demandes tendant à l’exécution du rapport des libéralités et à la sanction d’un recel successoral doivent être formées à l’occasion d’une action en partage. Or, une action en partage judiciaire ne peut plus être engagée lorsque les parties ont déjà mis fin à l’indivision par un partage amiable.

Quelques exemples de recel successoral impliquant des œuvres d’art

1. Le cas du collectionneur avisé :
Un héritier, connaissant la valeur financière d'une sculpture, décide de la déplacer discrètement avant l'inventaire successoral. Il espère ainsi pouvoir la garder pour son seul bénéfice, tout en ne la déclarant pas aux autres héritiers. Si ce subterfuge est découvert, cet héritier pourrait être accusé de recel. Au terme d’une procédure judiciaire, il sera alors contraint de restituer la sculpture et perdra tout droit sur celle-ci.

2. La dissimulation d’un tableau précieux :
Dans une autre hypothèse, un héritier découvre un tableau inconnu dans le grenier de la maison familiale, une œuvre rare et précieuse. Plutôt que de signaler cette découverte, il choisit de la vendre discrètement à un collectionneur privé. Si les autres héritiers apprennent cette transaction et prouvent l’intention frauduleuse, ils peuvent engager une action en recel successoral. L’héritier pourrait alors être condamné à restituer la somme obtenue et à perdre sa part de l’héritage. Une action en revendication à l’encontre du nouveau propriétaire pourrait être également envisagée.

3. La falsification des documents de provenance :
L’un des héritiers d’un artiste, également ayant droit de celui-ci, pourrait également tenter de masquer la provenance d'une œuvre d'art en falsifiant des documents, afin de la faire passer pour un bien personnel acquis avant la succession en raison du don consenti à son profit par l’artiste. Pareille fraude est également considérée comme du recel successoral. La falsification de documents en vue de dissimuler des biens de l’héritage expose l’héritier à des sanctions sévères, y compris la nullité des actes de vente et la restitution des biens ou de leur valeur.

Le recel successoral est un acte grave qui peut avoir des conséquences juridiques significatives, particulièrement en ce qui concerne les œuvres d'art, souvent objets de convoitise et de litiges dans les successions, que ces dernières concernent un artiste ou un collectionneur. Afin d’éviter toute situation de recel, il est essentiel de procéder à un inventaire précis et complet des biens lors d’une succession, et de faire appel à des professionnels du droit pour assurer une répartition équitable et légale du patrimoine, notamment un commissaire-priseur et un avocat.

Si vous êtes confronté à une situation de recel successoral ou si vous souhaitez prévenir de tels risques, notre cabinet d'avocats est à votre disposition pour vous accompagner et défendre vos droits. Nos experts en droit des successions et en droit de l’art sont à vos côtés pour vous apporter des conseils sur mesure et pour veiller à ce que vos droits soient préservés.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des héritiers dans l'appréhension des problématiques successorales spécifiques attachées aux œuvres et objets d'art. Que ces problématiques soient d’ordre fiscal, d’ordre successoral ou encore d’ordre pénal.
Notre Cabinet d’avocats accompagne des
successions d’artistes plasticiens, de photographes, de designers, d’illustrateurs, français ou étrangers, bénéficiant d’une reconnaissance très importante par le marché et le monde de l’art ou en voie de bénéficier d’une telle reconnaissance. Nous assurons un suivi constant, qui ne se limite pas au seul domaine juridique. Nous accompagnons également des successions de collectionneurs afin de les aider à mettre en valeur les collections héritées. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] Civ. 15 avr. 1890, DP 1890. 1. 437.