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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Le contrat de traduction d’une œuvre première de langue étrangère

Article publié le 8 septembre 2023

Le monde de l’édition littéraire connaît de très nombreux usages professionnels, souvent codifiés et parfois revêtus d’une portée réglementaire. Le domaine de la traduction de la littérature générale a ainsi fait l’objet dès 1993 d’un Code des usages, code mis à jour en 2012 par le biais d’une signature conjointe entre l’Association des traducteurs littéraires de France et le Syndicat national de l’édition. Ce Code des usages a vocation à préciser les contours spécifiques du contrat de cession de droits conclu entre un traducteur et un éditeur d’ouvrages étrangers, contrat qui épouse bien évidemment les contours d’un contrat d’édition. Le rayonnement de ce Code des usages au-delà du seul domaine de la littérature générale s’impose, dès lors que la « traduction littéraire » envisagée par le Code de la propriété intellectuelle vise tout à la fois la traduction dite éditoriale et celle dite fonctionnelle, quel que soit le support concerné.

La nécessité d’un contrat écrit
La relation contractuelle entre l’éditeur et le traducteur doit faire l’objet d’un contrat passé par écrit, conformément aux dispositions de l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle qui précise que les contrats d’édition « doivent être constatés par écrit ». Ce recours imposé à l’écrit permet notamment à l’éditeur de préciser les éventuelles obligations auxquelles il serait tenu au terme du contrat passé avec le titulaire des droits sur l’œuvre première, qui peut être un éditeur étranger ou l’auteur lui-même de l’ouvrage. De telles obligations peuvent avoir une influence particulière sur le travail du traducteur, auteur ici d’une œuvre dérivée. Le Code des usages fait alors ici référence aux hypothèses où l’auteur de l’œuvre d’origine ou son agent peuvent souhaiter prendre connaissance du nom du traducteur ou de la traduction elle-même. Une telle situation n’étant pas rare, à l’image des relations entretenues entre Umberto Eco et ses traducteurs. De manière identique, il sera possible de préciser si la traduction projetée doit respecter certains critères particuliers, qui peuvent consister en l’adaptation du style à un certain public (public jeune, public spécialisé, juriste, financier, etc.), en l’adaptation à un format ou à une une collection (ce qui peut entraîner des coupures) ou encore en l’adaptation de l’ouvrage à un contexte français. 
Enfin, le recours à l’écrit permet de se conformer aux exigences relatives à la détermination conjointe de l’étendue de la cession des droits sur la traduction réalisée, qu’il s’agisse ici de la durée et de l’espace géographique concernés, des supports envisagés ou encore des finalités poursuivies.

Les conditions de la remise de la traduction
Le contrat de traduction consistant bien souvent en un contrat de commande, des délais de remise du texte traduit sont habituellement stipulés au bénéfice de l’éditeur. Ainsi, l’éventuel retard dans l’exécution de l’obligation de remise du texte dans le délai contractuellement stipulé peut, à défaut de nouveau délai consenti ou en cas de nouveau retard, emporter la résiliation du contrat à l’initiative de l’éditeur. Une attention particulière devra être portée à toute remise partielle du texte traduit et à l’adjonction éventuelle d’un nouveau traducteur.
L’hypothèse d’une adjonction d’un nouveau traducteur peut également exister en cas de maladie ou d’accident ou en raison de tout autre événement indépendant de la volonté du traducteur qui empêcherait ce dernier d’achever la traduction commandée. Le traducteur doit en aviser l’éditeur et mettre à sa disposition le travail déjà effectué. Il est alors souvent prévu que l’éditeur peut faire appel à tel autre traducteur de son choix pour achever la traduction et que les droits d’auteur prévus au contrat soient répartis entre les deux traducteurs, en fonction de leur contribution respective à la traduction achevée et acceptée.

L’acceptation de la traduction
Le Code des usages de 2012 prévoit que le « traducteur remet un texte de qualité littéraire consciencieuse et soignée, conforme aux règles de l’art et aux exigences de la profession, ainsi qu’aux dispositions particulières du contrat. Il signale à la remise de son texte les points sur lesquels il a effectué des corrections, des vérifications ou des choix traduction particuliers. Tout apport critique du traducteur doit être approuvé par l’éditeur, qui assure la direction technique et littéraire de l’ouvrage ». Cette obligation d’information du traducteur au bénéfice de l’éditeur se justifie par l’asymétrie existant ici entre les connaissances précises du traducteur et la situation de l’éditeur, qui demeure comptable vis-à-vis de l’auteur de l’œuvre première et du public de la traduction réalisée.
Une fois la traduction remise, trois hypothèses peuvent survenir. L’éditeur peut accepter, refuser ou demander la révision du texte soumis. La position de l’éditeur doit être connue de l’auteur de la traduction dans un délai de deux mois, sauf disposition contractuelle contraire.
En cas d’acceptation la traduction, l’éditeur verse le solde de l’à-valoir. Toute modification apportée au texte d’une traduction acceptée doit être soumise au traducteur avant la mise en composition, afin de respecter pleinement le droit moral de l’auteur de la traduction. 
En cas de refus de la traduction, et si ce refus est justifié par des motifs objectifs, c’est-à-dire par des motifs en lien direct avec les stipulations contractuelles, le contrat peut être rompu à l’initiative de l’éditeur. Selon le Code des usages, le traducteur ne saurait réclamer le solde de l’à-valoir, mais il conserve la fraction déjà versée de l’à-valoir.
En cas de demande d’une révision de la traduction, deux sous-hypothèses peuvent se présenter. Soit la révision est effectuée par le traducteur lui-même, soit elle est effectuée par un tiers.  Si le traducteur accepte de revoir lui-même sa traduction, le Code des usages prévoit que l’auteur perçoit les droits prévus au contrat sans diminution ni augmentation. Le délai de révision et la date de paiement du solde de l’à-valoir sont alors fixés d’un commun accord. Si le traducteur refuse de revoir sa traduction, le Code des usages prévoit que l’éditeur peut effectuer lui-même la révision ou la confier à un tiers. Un contrat doit, dans ce dernier cas, être conclu entre l’éditeur et le réviseur. Ce contrat doit notamment prévoir le délai de la révision et les modalités de sa rémunération, en contemplation du premier contrat de traduction conclu avec le traducteur évincé. Dans ce cas de figure, la rémunération prévue au titre de l’exploitation de la traduction est alors répartie entre le traducteur et le réviseur en fonction de leur participation respective à la traduction achevée et pleinement acceptée. 

Remaniement ou mise à jour de la traduction
Des remaniements importants peuvent être sollicités de la part de l’éditeur au traducteur et ce, indépendamment de la qualité de la traduction livrée. Ces remaniements peuvent avoir pour origine la nécessité de procéder à des coupes, des mises à jour, une adaptation à un nouveau public ou encore une insertion d’un appareil critique. Si ce travail supplémentaire n’a aucunement été prévu contractuellement, l’éditeur doit verser un complément de rémunération au bénéfice de l’auteur. Et si ce dernier refuse de remanier sa traduction, l’éditeur est alors en capacité de réaliser lui-même ce remaniement – sous réserve du parfait respect du droit moral de l’auteur de l’œuvre première et de l’auteur de la traduction – ou de confier cette réalisation à un tiers. La rémunération due à l’auteur de la traduction ne saurait, en tout état de cause, être diminuée.

La correction des épreuves
Le Code des usages de 2012 prévoit de manière spécifique que l’éditeur communique au traducteur le texte préparé par ses soins, pour lecture et validation des corrections ; puis les épreuves corrigées, pour vérification et accord pour la publication. Conformément aux usages en matière de contrat d’édition, l’éditeur informe également le traducteur, « aussitôt que possible », de la date à laquelle les épreuves corrigées lui seront remises et du délai qui lui sera imparti. Et dans le cas où le traducteur ne remettrait pas les épreuves dans les délais impartis, l’éditeur est fondé à considérer que le traducteur a donné son accord pour publication. 

La rémunération du traducteur
La rémunération du traducteur, que son travail porte sur une œuvre littéraire, scientifique ou technique, peut faire l’objet d’une rémunération forfaitaire, quand bien même le contrat liant les deux parties est un contrat d’édition et que le principe de la rémunération proportionnelle prévaut en la matière[1]. En effet, l’article L. 132-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit expressément qu’en « ce qui concerne l’édition de librairie, la rémunération de l’auteur peut faire l’objet d’une rémunération forfaitaire pour la première édition, avec l’accord formellement exprimé de l’auteur, […] 7° à la demande du traducteur pour les traductions ».
Les indications portées au sein du Code des usages de 2012 ne sauraient ainsi être pleinement approuvées. En effet, l’accord précise que « quel que soit réellement le statut du traducteur, il n’y a pas d’obligation de rémunération proportionnelle en sa faveur : le CPI mentionne en effet expressément les traductions au rang des exceptions au principe de la rémunération proportionnelle ». Ces indications sont particulièrement réductrices, dès lors que les dispositions de l’article L. 132-6 du Code de la propriété intellectuelle sont doublement conditionnées. En premier lieu, le recours au forfait ne peut avoir lieu que pour « la première édition ». En second lieu, le recours au forfait doit, par principe, être adopté « à la demande du traducteur ». Or, il apparaît bien souvent que ce forfait soit davantage imposé par l’éditeur que sollicité par le traducteur.
En tout état de cause, le Code des usages prévoit que la rémunération du traducteur est assurée par deux biais. En premier lieu, un à-valoir sur les droits d’auteur proportionnels, dont le montant, négocié entre les deux parties et fixé au contrat, dépend notamment de la longueur et de la difficulté de la traduction, ainsi que de l’expérience et de la notoriété du traducteur. En second lieu, un droit d’auteur proportionnel aux recettes provenant de l’exploitation de l’ouvrage, à moins que le recours au forfait n’ait été choisi d’un commun accord. De manière spécifique, le Code des usages prévoit, « afin de mieux associer les traducteurs au succès de leur ouvrage », des modalités particulières d’application du droit proportionnel qui peuvent consister, à titre d’exemple, en un à-valoir et deux taux différents de droit d’auteur proportionnel, le premier taux s’appliquant jusqu’à l’amortissement de l’à-valoir, le second après l’amortissement de l’à-valoir. Le premier de ces taux, plus élevé que le second, permet un amortissement accéléré de l’à-valoir. Il cesse d’être applicable quand l’à-valoir est amorti. 

La publication de la traduction et son exploitation
La publication de la traduction doit faire l’objet d’un accord du traducteur, accord matérialisé par le bon à tirer du traducteur ou le bon à diffuser en cas de publication numérique. Cette publication doit être réalisée dans le délai conjointement déterminé au sein du contrat. Et si l’éditeur ne respectait pas une telle obligation, c’est-à-dire en l’absence de publication dans le délai fixé au sein du contrat, l’intégralité de l’à-valoir restant dû doit être versée au traducteur. 
Et afin d’assurer l’effectivité des obligations de l’éditeur en matière d’exploitation permanente et suivie, la résiliation du contrat a lieu de plein droit lorsque, après mise en demeure du traducteur lui impartissant un délai convenable, l’éditeur n’a toujours pas procédé, sauf cas de force majeure, à la publication de l’ouvrage ou, en cas d’épuisement de celui-ci, à sa réédition dans les conditions habituelles de l’article L. 132-17 du Code de la propriété intellectuelle. Dans cette hypothèse, une rétrocession des droits a lieu au bénéfice du traducteur.
Enfin, l’éditeur doit informer le traducteur de la résiliation ou de l’extinction du contrat d’édition en langue française de l’ouvrage concerné par la traduction. Cette situation a fait l’objet d’une réelle évolution au terme de l’accord interprofessionnel du 20 décembre 2022 dans le secteur du livre, accord qui est venu préciser le sort des contrats de traduction dans l’hypothèse d’une résiliation du contrat de cession de droits d’auteur entre l’éditeur en langue française et le titulaire des droits sur l’œuvre.

La mention du nom du traducteur
La traduction étant réputée être une œuvre de l’esprit, le traducteur jouit, en tant qu’auteur, du respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre au titre du droit moral dont il est investi[2]. Dès lors, le nom du traducteur doit nécessairement figurer sur chacun des exemplaires de l’ouvrage concerné.
Le Code des usages pour la traduction d’une œuvre de littérature générale précise les conditions dans lesquelles le nom du traducteur doit figurer dans l’ouvrage édité. Ainsi, selon ledit Code, « les parties [signataires de l’accord] conviennent que le nom du traducteur doit apparaître une première fois distinctement sur la première page de couverture du livre, ou à défaut, sur la quatrième page de couverture, et une seconde fois sur la page de titre ». Il est néanmoins assez rare que le nom du traducteur figure sur la première page de couverture. Dans l’édition d’œuvres étrangères en littérature, le nom du traducteur est souvent indiqué en quatrième de couverture, puis sur la page de titre. Dans l’édition d’œuvres étrangères en bande dessinée, la place du nom du traducteur s’avère encore plus résiduelle, car sa mention en quatrième de couverture relève davantage de l’exception que du principe. L’indication du nom du traducteur est alors souvent reléguée en page 6, parfois avec le nom du lettreur, en contemplation des mentions légales apposées par l’éditeur.
Or, la Cour d’appel de Paris avait pu sanctionner un éditeur pour avoir uniquement mentionné le nom du traducteur sur la seule page de titre et en petits caractères. La Cour avait ainsi retenu « qu’il ne saurait être contesté que l’obligation pour l’éditeur tenant au respect du nom d’un traducteur revêt pour celui-ci un intérêt primordial dans la mesure où elle lui permet d’une part, de recueillir auprès des lecteurs l’attention légitimement due à celui sans lequel la divulgation d’une œuvre étrangère serait impossible et d’autre part, de se faire connaître et reconnaître du monde de l’édition afin d’y exercer dans les meilleures conditions possibles sa fonction »[3].
De la même manière, le Code des usages indique que « les parties s’accordent pour que le nom du traducteur apparaisse sur tous les documents faisant référence à la publication de sa traduction, catalogue, site de l’éditeur, communiqué de presse, prière d’insérer, etc. ». De telles précisions sont précieuses pour tout traducteur dans la négociation contractuelle des conditions d’exploitation de sa traduction et de la place à accorder à l’insertion de son nom et au rattachement de ce dernier à son travail. La cristallisation des pratiques habituelles et des attentes légitimes au sein d’un code des usages offre ici un levier de discussion efficient pour tout traducteur. Le plein respect du droit au nom semble néanmoins, au regard des usages en la matière, être plus limité dans sa mise en œuvre dans le cadre de la traduction d’un texte fonctionnel. Ainsi, un certain anonymat semble prévaloir.

Les obligations d’information de l’éditeur au bénéfice du traducteur
Parmi les diverses obligations auxquelles est astreint un éditeur en raison de la signature du contrat d’édition avec le traducteur, le Code des usages rappelle la nécessité d’informer ce dernier de toute exploitation de l’œuvre, à savoir notamment la date de mise en vente prévue de l’ouvrage et les cessions de droits dérivés et annexes. Sur ce dernier point, il n’apparaît pas qu’une simple information soit en jeu, mais une potentielle association du traducteur dans le choix des cessionnaires éventuels et de l’exploitation par ces derniers des droits dérivés qui auraient été cédés.
Enfin, l’éditeur est bien évidemment dans l’obligation de rendre compte au traducteur de l’exploitation de la traduction objet du contrat d’édition, conformément aux dispositions de l’article L. 132-13 du Code de la propriété intellectuelle. Il doit être rappelé, à cet égard, que l’Accord interprofessionnel de décembre 2022 prévoit dorénavant une reddition de comptes tous les six mois et non plus tous les ans.
L’ensemble de ces points d’attention ne saurait néanmoins empêcher toute négociation de la part du traducteur ou de l’éditeur sur les autres éléments essentiels du contrat d’édition. 

Un article écrit par Me Alexis Fournol, 
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de l’art, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] Code de la propriété intellectuelle, articles L. 131-4 et L. 132-5 ; Code de droit économique belge, article XI. 167/1.
[2] Code de la propriété intellectuelle, article L. 121-1 alinéa premier ; Code de droit économique belge, article XI.165 §2.
[3] CA Paris, 20 janv. 1999, RIDA, no 180, avr. 1999, p. 374.