Résiliation du contrat de traduction en cas de fin du contrat de cession de l’œuvre première
Article publié le 11 septembre 2023
La signature, le 20 décembre 2022, d’un nouvel accord dans le cadre des négociations professionnelles sur l’équilibre de la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs dans le secteur du livre, sous l’égide du ministère de la Culture, s’est également intéressée au sort des contrats de traduction, après la résiliation du contrat liant l’éditeur cessionnaire de la langue française au titulaire des droits sur l’œuvre traduite. Pareille précision constitue une avancée majeure pour les traducteurs et la pleine reconnaissance de leur qualité d’auteur.
Le marché des droits constitue une part importante de l’activité éditoriale de nombreux acteurs présents sur le domaine étranger. À la différence du travail éditorial avec des auteurs français ou francophones, l’éditeur de littérature étrangère acquiert, dans la plupart des hypothèses, des droits sur un ouvrage déjà publié à l’étranger auprès de l’un de ses confrères. Une telle acquisition des droits de traduction d’une œuvre première éditée à l’étranger afin d’en permettre une exploitation sur le territoire national ou sur tout territoire francophone donne lieu à l’établissement de contrats spécifiques dont la durée s’avère, de manière habituelle, limitée dans le temps. Il n’est ainsi pas rare que les droits de traduction soient acquis pour une période comprise entre cinq et dix ans, une telle durée pouvant être contractuellement renouvelée.
Et afin de permettre une telle exploitation, l’éditeur français doit contractualiser avec un traducteur indépendant. Or, ce contrat de cession de droits impose souvent au traducteur une durée de cession correspondant à celle de la protection accordée à la propriété littéraire et artistique. Cette dualité de durées peut alors donner lieu à certaines situations délicates dès lors que le contrat principal, celui portant sur la faculté d’éditer en langue française l’ouvrage concerné, pouvait être résilié et que le contrat second, celui portant sur la traduction en langue française, pouvait survivre dans le patrimoine de l’éditeur français, empêchant alors le traducteur de pouvoir négocier une nouvelle cession de ses droits à un autre éditeur, sauf à mettre en œuvre la procédure attachée à l’absence d’exploitation permanente et suivie de son œuvre. C’est pourquoi, les parties à l’accord interprofessionnel ont souhaité modifier les usages en la matière et déterminer les modalités permettant au traducteur de recouvrir plus aisément ses droits, afin d’offrir à un nouvel éditeur la possibilité de continuer à exploiter en langue française une œuvre étrangère. Et ce, à l’image de la traduction en français de l’Épépé de Ferenc Karinthy, par Judith et Pierre Karinthy, traduction publiée une première fois en France par Denoël en 1999 avant d’être reprise par les éditions Zulma en 2013.
Le sort des traductions qui ne seraient plus commercialisées après le 20 décembre 2022
Dans l’hypothèse où une traduction ne serait plus commercialisée après la signature de l’accord du 20 décembre 2022, l’éditeur est dorénavant dans l’obligation d’informer le traducteur de la fin d’exploitation à la suite de la perte des droits sur l’œuvre première. Ce devoir d’information qui pèse sur l’éditeur doit être mis en œuvre au plus tard dans les trois mois suivant l’arrêt de toutes les commercialisations de l’œuvre. Quant au contenu de ce devoir, l’éditeur doit indiquer à son cocontractant la faculté offerte au traducteur de résilier le contrat ou contenir toute information sur cette faculté.
Corrélativement, le contrat de traduction peut être résilié à tout moment à la demande du traducteur, une telle résiliation devant être notifiée par recommandé. Enfin, si l’éditeur n’établit pas qu’il détient les droits sur l’œuvre première ni, corrélativement, qu’il poursuit l’exploitation commerciale de l’œuvre traduite, le contrat de traduction est réputé caduc, sans effet rétroactif.
Le sort des traductions qui n’étaient plus commercialisées avant le 20 décembre 2022
Dans l’hypothèse où une traduction n’était déjà plus commercialisée avant la signature de l’accord du 20 décembre 2022, le traducteur peut solliciter l’information souhaitée sur le sort du contrat relatif à l’œuvre première par courrier recommandé. L’éditeur doit alors répondre à son cocontractant dans un délai de deux mois. À défaut de réponse, l’éditeur est dorénavant présumé avoir cessé la commercialisation de l’œuvre et le contrat de traduction est résilié de plein droit, conformément à une pratique courante en matière d’édition. L’information au bénéfice du traducteur est ici dite quérable dès lors qu’un aménagement pour les situations passées a été prévu par l’accord.
Le sort des exemplaires encore disponibles
La pratique contractuelle concernant la cession de droits de traduction implique régulièrement l’inclusion de clauses dites de « sell off », c’est-à-dire de clauses déterminant les conditions d’écoulement des stocks après le terme du contrat. De telles clauses visent alors un délai, qui peut être très restreint (avec un terme de quatre-vingt-dix jours) ou plus large (avec un terme de douze mois), permettant la vente des exemplaires encore en possession de l’éditeur français. Telle fut, par exemple, la situation à laquelle furent confrontées les éditions Cornélius en 2022 après avoir perdu les droits sur certaines œuvres du dessinateur américain Daniel Clowes, auteur notamment de Ghost World, en proposant à prix réduit et pendant une durée limitée les exemplaires invendus, dès lors qu’une partie du catalogue de l’auteur avait été renégociée par l’éditeur américain de référence Fantagraphics avec les éditions Delcourt pour l’édition en langue française.
À cet égard, les dispositions de l’accord interprofessionnel du 20 décembre 2022 ne visent comme point de départ que l’arrêt de la « commercialisation ». Le point de départ ne correspond donc pas à la perte des droits au détriment de l’éditeur en raison de l’arrivée du terme du contrat de cession de droits avec l’éditeur tiers ou en raison d’une résiliation éventuelle du contrat. En conséquence, les nouvelles dispositions issues de l’accord interprofessionnel ne remettent pas en cause la pratique contractuelle du « sell off » et il reviendra aux deux parties au contrat de traduction d’être transparents mutuellement sur les conditions d’une telle clause.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
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