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Design : contrefaçon de la suspension Vertigo reconnue en appel

Commercialisée depuis 2009 par la société Petite Friture, le luminaire crée par Constance Guisset en 2004 est depuis lors devenu un objet iconique du design à l’origine de la tendance des suspensions graphiques et aériennes. La frontière entre la source d’inspiration et la contrefaçon de modèles concurrents est parfois difficile à déterminer, en témoignent deux décisions récentes de la Cour d’appel de Paris qui infirment les jugements rendus par le Tribunal judiciaire de Paris au bénéfice de la créatrice et de l’éditeur.

À l’occasion de deux procédures similaires, le Tribunal judiciaire de Paris avait reconnu le caractère protégeable de la suspension Vertigo au titre du droit d’auteur tout en refusant de constater que les modèles attaqués par la société d’édition et la designeuse constituaient des contrefaçons[1]. La société Petite Friture avait toutefois obtenu réparation de son préjudice dans l’une des deux procédures sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. Un autre jugement du 20 novembre 2020, avait, quant à lui débouté, l’éditeur et la designeuse de leurs demandes, tant au titre de la contrefaçon qu’au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, formulées à l’encontre d’une société qui avait importé et commercialisé une suspension présentée notamment à l’occasion du salon Maison & Objet. L’éditeur et la créatrice ont interjeté appel à l’encontre des deux décisions devant la Cour d’appel de Paris afin de voir leurs droits pleinement reconnus.

Une nouvelle définition de l’originalité du modèle Vertigo
Si les deux décisions avaient reconnu à la suspension Vertigo le bénéfice de la protection au titre du droit d’auteur, elles avaient rejeté les demandes au titre de la contrefaçon. En effet, la reconnaissance de la contrefaçon s’opère en deux étapes. Dans un premier temps, l’auteur doit prouver l’originalité de sa création en identifiant les éléments qui traduisent sa personnalité et qui justifient la protection au titre du droit d’auteur. Dans un second temps, il doit démontrer que les modèles allégués de contrefaçon reprennent ces éléments originaux et caractéristiques. Ainsi, seule la reprise des éléments considérés comme constitutifs de l’originalité de l’œuvre sont pris en considération dans la caractérisation des actes contrefaisants. L’articulation entre la définition de l’originalité de la création et la caractérisation des éléments contrefaisants du modèle allégué de contrefaçon est donc fondamentale.
Or, dans la procédure précédemment commentée, le Tribunal judiciaire de Paris avait notamment relevé que le luminaire litigieux ne renvoyait pas l’image d’une « structure aérienne, mobile et légère », utilisait des matériaux différents et que ses dimensions étaient « nettement plus modestes ». Ces deux éléments avaient été mis en avant par les magistrats qui avaient notamment relevé lors de l’appréciation de l’originalité que « malgré les contraintes techniques propres à ce type de luminaire, Constance Guisset est parvenue à créer un ensemble tout à la fois imposant par son envergure (140 à 200 cm) et aérien par sa conception toute en légèreté qui permet à la suspension de s’animer dès qu’un mouvement d’air se forme à proximité. Cette suspension évoque également par ses dimensions généreuses une cabane […] sous laquelle on aimerait se réfugier. »
Insatisfaits de la définition de l’originalité retenue par les magistrats de première instance, la designeuse et la société d’édition demandaient à la Cour d’appel de confirmer le jugement sur ce point mais de substituer la définition retenue en première instance, « générale, imprécise et subjective » afin de mieux caractériser les actes de contrefaçon. Dans ses deux arrêts, la Cour d’appel reprend in extenso la formulation proposée par les appelants, supprimant toute référence aux dimensions, aux matériaux et à la légèreté du luminaire.

Les modèles litigieux constituent des contrefaçons de la suspension, le préjudice de l’auteur reconnu
Partant de cette nouvelle définition, les magistrats de la Cour d’appel constatent, pour un des modèles contrefaisants, que si une différence dans l’accroche du plafonnier existe, il s’agit d’un élément non revendiqué comme constitutif de l’originalité et, en conséquence, inopérant dans l’appréciation de la contrefaçon. En revanche, les modèles poursuivis reproduisent « une structure ronde et ondulée qui prend la forme d’un huit lorsqu’elle est regardée de profil, un abat-jour de forme conique évasé fixé au milieu de la suspension, des tiges disposées en rayon de la partie inférieure de l’abat-jour central vers l’extérieur de la suspension. »[3]. Par ailleurs, « la reprise de ces éléments qui caractérisent l’originalité de la suspension Vertigo donne aux deux suspensions une forme sinusoïdale leur conférant un aspect aérien et une physionomie similaire. » Mais surtout, et contrairement à la décision de première instance, la Cour relève classiquement que « les différences de dimensions, de points ou de matériaux utilisés ne peuvent suffire à écarter la contrefaçon »[4].
Titulaire des droits patrimoniaux en vertu d’un contrat de cession à titre exclusif sur la suspension Vertigo, la société Petite Friture voit ses préjudices patrimoniaux réparés. Afin d’apprécier le montant des condamnations au titre des conséquences négatives et des bénéfices réalisés par les contrefacteurs, les magistrats s’appuient sur les documents comptables obtenus dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon et ceux fournis par les sociétés assignées. Sont également pris en compte au titre du préjudice moral de la société éditrice, la « moins bonne qualité » des produits « vendus à des prix très inférieurs » et pour certains présentés « au salon Maison et Objet et sur les réseaux sociaux ».
La designeuse voit également ses préjudices personnels réparés sur le fondement de l’atteinte à son droit moral à hauteur de 10.0000 euros « du fait de la contrefaçon ». La formulation lapidaire de l’appréciation de ces préjudices par les magistrats de la Cour d’appel et l’absence préalable de caractérisation de l’atteinte à une des prérogatives du droit moral, à savoir du droit au respect de l’intégrité de l’œuvre ou du nom, laissent planer le doute d’un éventuel pourvoi en cassation des intimés pour absence de motivation de ces décisions. Affaire en suspens.

Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet. 

Dans le cadre de son activité, le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des designers, des ayants droit de designer et des sociétés d’édition dans le cadre de la défense de leurs droits et de la promotion de leurs créations.

[1] TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 29 janv. 2021 ; TJ Paris – 3e ch. 2e sect., 20 nov. 2020.

[3] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 9 sept. 2022, RG no 20/17632 ; CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept., 2022, RG no 21/02991.

[4] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 16 sept., 2022, RG no 21/02991.