Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

L’action de l’artiste Joe Morford contre Maurizio Cattelan se poursuit outre-Atlantique

Alors que le Tribunal judiciaire de Paris a récemment rejeté l’action intentée par Daniel Druet en revendication de paternité d’œuvres divulguées sous le seul nom de Maurizio Cattelan, l’artiste italien est désormais poursuivi pour violation de droits d’auteur outre-Atlantique.

En 2019, la Galerie Perrotin, présentait lors de la foire d’Art Basel Miami une œuvre de l’artiste composée d’une banane scotchée par un ruban adhésif de couleur gris sur un mur blanc sous le titre Comedian. Or, un artiste américain, Joe Morford considère que Comedian porterait atteinte à ses droits d’auteur, attachés à l’œuvre Banana & Orange, composée d’une banane et d’une orange en plastique scotchées par un ruban adhésif gris sur un mur vert. L’œuvre en question avait été enregistrée en 2000 auprès du Copyright Office, une institution américaine permettant d’enregistrer des informations sur la titularité du droit d’auteur. L’artiste américain réclame aujourd’hui en justice à Cattelan des dommages et intérêts à hauteur de 390.000 dollars, montant du bénéfice brut généré par la vente de trois exemplaires et de deux épreuves d’artiste de Comedian.  

Les avocats de l’artiste italien ont déposé une motion de rejet de cette demande, arguant, entre autres, de l’absence de revendication possible de droits d’auteur sur l’idée même d’accrocher une banane sur un mur. Or, le 6 juillet 2022, le juge saisi a rejeté cette requête, considérant que Morford allègue suffisamment de l’existence de similitudes dans les éléments protégés de son œuvre pour que l’action puisse se poursuivre.

Afin de parvenir à cette conclusion, le juge a formulé la question juridique suivante : « Morford allègue-t-il suffisamment de l’atteinte causée par l’œuvre de Cattelan à son œuvre ? ». Face à cette interrogation, le juge rappelle que, selon une jurisprudence constante[1], le demandeur doit établir un droit d’auteur valide ainsi que la copie d’éléments originaux de l’œuvre.

Un droit d’auteur valide
Cattelan soutient que Morford ne peut revendiquer la titularité de droits d’auteur sur l’idée d’accrocher une banane au mur et que, ce faisant, il ne dispose pas de droits valides sur l’œuvre. Ce principe, également connu en droit français, résulte de l’article § 102(b) du Copyright Act de 1976. Ce raisonnement n’est pas accueilli favorablement par le juge, qui retient que bien que Morford ne puisse revendiquer de droit d’auteur sur l’idée de fixer une banane sur un mur, il peut en revanche bénéficier d’un droit d’auteur sur l’expression de cette idée. Pour contester un tel droit, Cattelan soutenait ensuite que la disposition et la sélection de l’artiste ne présentent pas de caractère original, moyen également rejeté par le juge qui considère que les choix de Morford et « sa nature absurde et farfelue répond[ent] au « degré minimal de créativité » nécessaire pour être qualifiée d’originale ».

La copie d’éléments originaux et protégés de l’œuvre première
Le juge saisi relève la nécessité pour l’auteur de la demande de violation de droits d’auteur de rapporter la preuve que le défendeur avait accès à l’œuvre et qu’il existe entre les œuvres litigieuses des similarités substantielles[2].

S’agissant en premier lieu de l’accès à l’œuvre, Morford considère que celle-ci étant disponible sur de multiples réseaux sociaux, Cattelan pouvait y avoir accès. L’artiste italien considère que cela est insuffisant en ce qu’un tel accès ne pourrait être établi par une simple publication sur Internet. Là encore, le juge rejette l’argumentation de l’artiste italien, car à ce stade de la procédure, Morford n’aurait pas à établir que Cattelan a effectivement eu accès à son œuvre mais seulement à alléguer de manière plausible qu’il peut y avoir accès, et notamment par sa publication sur Internet. Dès lors, ce moyen soulevé par Cattelan ne pouvait prospérer.  

En second lieu, Morford devait étayer l’existence de similitudes substantielles entre les œuvres, selon le critère dit du triple test dégagé par la jurisprudence[3]. Celle-ci consiste en (i) une abstraction, par la décomposition de l’œuvre de ses éléments structurels constitutifs, (ii) une filtration des éléments non protégeables et (iii) une comparaison des éléments subsistants dans les œuvres. Le juge américain procède alors à une analyse technique et conclut à l’existence de similitudes par la présence de certains éléments communs, rejetant l’argument inopérant de Cattelan de faire état des éléments distinctifs. En effet, il apparaît, comme en droit français, que la contrefaçon doit être évaluée en fonction des éléments similaires et non des différences. 

Une décision qui ne préjuge aucunement de l’issue de l’affaire
Le juge américain conclut ainsi, qu’à ce stade, Morford allègue suffisamment que l’œuvre de Cattelan présente une similarité substantielle avec des éléments protégés de Banana & Orange. Pourtant, le rejet de la motion de Cattelan ne préjuge en rien l’issue judiciaire de cette affaire. Comme le soulève le juge américain, les avocats de l’artiste italien n’ont pas fait état de la “merger doctrine[4] pouvant se traduire comme « la doctrine de la convergence ». Celle-ci constitue un moyen de défense courant contre une accusation de violation de droits d’auteur, en ce que certaines idées ne peuvent être exprimées que d’une certaine manière, laquelle est limitée, et ne peuvent dès lors pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Par ailleurs, si Morford ne parvient pas à rapporter la preuve que Cattelan a eu effectivement accès à l’œuvre protégée, il devra démontrer l’existence d’un nombre de similitudes plus élevé afin d’étayer du caractère « remarquablement similaires » des œuvres. Et c’est justement ce que les avocats de l’artiste italien invoquent dans un nouveau document, arguant que Morford n’apporte pas la preuve d’un tel accès à l’œuvre antérieure.

Les avocats de Cattelan soulèvent à présent la bonne foi de l’artiste, si jamais la violation du droit d’auteur était établie. En effet, aux États-Unis, le contrefacteur peut invoquer un “innocent copyright infringment[5] non pas pour échapper à toute condamnation mais pour diminuer le montant des dommages et intérêts. Pour ce faire, il est nécessaire de rapporter la preuve d’une violation de droit d’auteur non intentionnelle, en ce que le contrefacteur ne pouvait supposer que ses actes constituaient une violation du droit d’auteur, élément soumis à l’appréciation des juges.

Un article écrit par Adélie Michel
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre juillet et octobre 2022.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement des artistes ou ayants-droit dans la défense et dans l’exploitation de leurs droits. Le Cabinet, dans le cadre de son activité dédiée au droit d’auteur, assiste également des créateurs dans la défense et la préservation de leurs droits lorsqu’ils interviennent auprès d’autres auteurs ou lorsque des revendications visant à remettre en cause la paternité exclusive d’une oeuvre sont formulées.

[1] Compulife Software Inc. v. Newman, 959 F.3d 1288, 1301 (11th Cir. 2020) (quoting Bateman v. Mnemonics, Inc., 79 F.3d 1532, 1541 (11th Cir. 1996).

[2] Compulife Software Inc. v. Newman, 959 F.3d 1288, 1301 (11th Cir. 2020).

[3] Compulife Software Inc. v. Newman, 959 F.3d 1288, 1301 (11th Cir. 2020) (quoting Bateman v. Mnemonics, Inc., 79 F.3d 1532, 1541 (11th Cir. 1996).

[4] Morrissey v. Procter & Gamble Co., 379 F.2d 675 (1st Cir. Mass. 1967).

[5] Copyright Actn, Section 504.