Design : la suspension Vertigo est une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur
Véritable best-seller depuis sa commercialisation en 2009 par la société d’édition Petite Friture, la suspension Vertigo, créée par la designeuse Constance Guisset en 2004, est à l’origine d’une tendance de fond des suspensions graphiques utilisant des rayons allant du centre aux extrémités de l’abat-jour. Saisi par la créatrice de ce luminaire et son éditeur pour contrefaçon de droit d’auteur et pour concurrence déloyale et parasitisme, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné une société ayant fourni des magasins de décoration en contrefaçons à verser la somme de 15.000 euros en réparation des préjudices subis[1].
À défaut de protection au titre des dessins et modèles, le créateur d’un meuble design ou d’un luminaire, ou encore son éditeur s’il a cédé ses droits, peut pallier cette carence en agissant sur le fondement du droit d’auteur ou sur la responsabilité délictuelle de l’article 1240 du Code civil. L’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Lorsque cette protection est revendiquée devant les juridictions compétentes, le créateur doit faire la démonstration de l’effort créatif afin que la présomption de protection dont bénéficie son œuvre soit confirmée. Une fois cette protection caractérisée, il convient dans un second temps de démontrer que le modèle allégué de contrefaçon reprend les éléments caractéristiques de la création protégée. À défaut de succès sur le fondement du droit d’auteur, le designer ou la société éditrice peut agir sur le fondement du parasitisme ou sur celui de la concurrence déloyale.
La nécessaire identification du circuit de commercialisation par les titulaires des droits d’auteur
Ayant constaté la vente de suspensions alléguées de contrefaçon au sein d’un magasin, l’éditeur et l’auteur ont fait réaliser plusieurs saisies-contrefaçon afin de tenter de remonter la filière de commercialisation et de production des luminaires litigieux. Puissant moyen probatoire, la saisie-contrefaçon permet au requérant, de façon non contradictoire, d’obtenir l’autorisation de faire réaliser par huissier des mesures d’enquête afin d’établir l’étendue des actes soi-disant contrefaisants avant d’agir ensuite en contrefaçon. La Cour de cassation a d’ailleurs récemment rappelé que la démonstration de la protection au titre du droit d’auteur n’est pas exigée au stade de la saisie-contrefaçon[2]. C’est ainsi qu’à l’occasion d’une première saisie-contrefaçon au sein d’un magasin de luminaires, Constance Guisset et la société Petite Friture ont pu identifier la société qui fournissait les suspensions litigieuses. Quelques mois après, ils réalisaient une nouvelle saisie-contrefaçon au sein d’un second magasin. Après s’être désistés à l’encontre des magasins ayant procédé à la vente des luminaires litigieux, les demandeurs maintenaient néanmoins leur action en contrefaçon de droit d’auteur et, subsidiairement, au titre de la responsabilité délictuelle à l’encontre du fournisseur.
Afin de tenter d’échapper à la condamnation au titre du droit d’auteur, le fournisseur contestait tout d’abord la titularité des droits de Constance Guisset et de la société Petite Friture sur le luminaire Vertigo. L’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle érige pourtant une présomption de titularité au profit de la personne sous le nom de qui l’œuvre a été divulguée et, en l’absence de revendication d’une personne physique qui s’en prétendrait l’auteur, l’exploitation non équivoque de l’œuvre par une personne morale fait présumer à l’égard des tiers poursuivis en contrefaçon que celle-ci est bien titulaire des droits sur la création. La tâche s’avérait ainsi presque impossible pour la société défenderesse. En effet, Constance Guisset est présentée depuis 2008 comme la seule autrice du luminaire, tant dans la presse que dans les nombreux salons spécialisés, et les parties ont produit au cours des débats judiciaires le contrat de cession de droits au profit de la société Petite Friture. Les requérants étaient donc nécessairement recevables à agir au titre de leur action en contrefaçon de droit d’auteur.
La protection au titre du droit d’auteur reconnue, les actes de contrefaçon rejetés
Dans un second temps, le fournisseur contestait à la suspension Vertigo le bénéfice de la protection accordée par le droit d’auteur. Lorsque la protection revendiquée est contestée en défense, il revient à l’auteur ou au titulaire des droits d’expliciter et de démontrer que la création « est issue d’un travail libre et créatif et [qu’elle] résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur ». Au soutien de sa défense, le fournisseur énonçait que le lustre s’inscrivait dans une « tendance » que les requérant ne pouvait s’approprier. Si la notion d’antériorité est inopérante en matière de droit d’auteur, l’existence de telles antériotés peut néanmoins contribuer à l’appréciation de la recherche créative. En l’espèce, le Tribunal relève que « malgré les contraintes techniques propres à ce type de luminaire, Constance Guisset est parvenue à créer un ensemble tout à la fois imposant par son envergure (140 à 200 cm) et aérien par sa conception toute en légèreté qui permet à la suspension de s’animer dès qu’un mouvement d’air se forme à proximité. Cette suspension évoque également par ses dimensions généreuses une cabane […] sous laquelle on aimerait se réfugier. » Aucune des suspensions soumises par la défenderesse à la sagacité des magistrats « ne présente une combinaison de nature à traduire la légèreté et le design aérien recherchés » par la créatrice. « La suspension Vertigo apparaît comme avant-gardiste sur le marché des luminaires ce qui ne fait que confirmer que Constance Guisset s’est suffisamment écartée de l’existant pour proposer une suspension inédite, reflétant l’empreinte de sa personnalité ». L’originalité et la protection au titre du droit d’auteur étaient donc accueillies par les magistrats du Tribunal judiciaire de Paris.
Or, une fois cette protection confortée, il convient néanmoins de démontrer le caractère contrefaisant du modèle commercialisé par la société défenderesse. La contrefaçon « n’implique pas l’existence d’un risque de confusion » mais « consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité ». Elle s’apprécie selon les ressemblances et non d’après les différences. En l’espèce, les magistrats du Tribunal rejettent le caractère contrefaisant du luminaire litigieux. En effet, il « ne renvoi[e] pas l’image d’une structure aérienne, mobile et légère évoquant la liberté comme c’est le cas pour le modèle Vertigo ». Le Tribunal relève à cet effet que « l’utilisation […] du fer en lieu et place de la fibre de verre et de rubans en polyuréthane […] ôte à la suspension sa légèreté, laquelle rend au contraire la suspension Vertigo très sensible aux mouvements d’air, évoquant pour sa créatrice une danse et participant à son originalité ». De même, au regard de ses dimensions nettement plus « modestes », le lustre litigieux ne peut évoquer « une cabane ». Les actes de contrefaçon ne sont donc pas constitués selon le Tribunal, bien qu’une telle analyse puisse être sans doute contestée au regard de la motivation retenue par les magistrats et de leur appréciation consécutive de la concurrence déloyale.
La condamnation du fournisseur au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire
Déboutée de ses demandes fondées sur le Code de la propriété intellectuelle, la société éditant Vertigo obtient toutefois satisfaction sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. Dans un premier temps, le Tribunal rappelle que la concurrence déloyale requiert la démonstration d’une faute en prenant en compte « notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de limitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété et la prestation copiée ». Or, le fournisseur, en situation de concurrence avec la société éditrice, commercialise des lustres présentant « des similitudes » et produisant « un même effet visuel » susceptible de créer auprès du public concerné « un risque d’association de nature à favoriser un acte d’achat […] en raison de l’aspect du produit » entraînant nécessairement des actes de concurrence déloyale. Enfin, les magistrats du Tribunal judiciaire de Paris relèvent également « qu’en se contentant d’imiter la suspension Vertigo, la défenderesse a bénéficié de façon indue de [la] notoriété » de la création de la designeuse et s’est donc dédouanée des investissements intellectuels et financiers consentis par les requérantes, caractérisant ainsi les actes parasitaires.
En réparation du préjudice subi, l’éditeur sollicitait la somme de 200.000 euros justifiant avoir commercialisé 85.000 exemplaires du modèle Vertigo. De son côté, le fournisseur affirmait avoir importé 528 suspensions et seules 443 d’entre elles auraient été commercialisées. Le gain manqué était, selon la société Petite Friture, de 150.000 euros. Au regard de la différence de prix, 885 euros contre 79 euros, le report de clientèle au profit de la société défenderesse est estimé par le Tribunal à 10 %, impliquant un préjudice de 15.000 euros. Sollicitée à titre de peine complémentaire, la destruction des suspensions litigeuses est ordonnée.
Finalement, seule la société éditrice a pu obtenir gain de cause par la condamnation du fournisseur et ce, sur le seul fondement de la caractérisation d’actes de concurrence déloyale et parasitaire. L’autrice de l’œuvre ne pouvait solliciter aucune condamnation sur ce fondement puisqu’elle n’est aucunement en charge de la commercialisation du lustre Vertigo. La solution aurait nécessairement été différente si une contrefaçon au titre du droit d’auteur avait été obtenue. Constance Guisset étant seule investie du droit moral sur son œuvre, une condamnation au titre de l’atteinte au respect de son nom et de son œuvre aurait pu être prononcée.
Combat nécessaire, tant sur un plan symbolique que juridique ou économique, la lutte contre les contrefaçons en matière de design relève souvent d’un parcours du combattant, entre la potentielle difficulté à déterminer le producteur de la contrefaçon, l’existence régulière d’actes contrefaisants à l’étranger et surtout les réparations pécuniaires souvent faibles retenues par les juridictions. Néanmoins, tant pour les éditeurs que pour les créateurs ces procédures doivent être menées afin de tenter d’endiguer au mieux ce phénomène destructeur. C’est pourquoi, la publicité des décisions obtenues et leur relai dans la presse spécialisée doit être sollicitée ou provoquée.
Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.
Dans le cadre de son activité, le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des designers, des ayants droit de designer et des sociétés d’édition dans le cadre de la défense de leurs droits et de la promotion de leurs créations.
[1] TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 29 janv. 2021.
[2] Cass civ. 1re, 6 avr. 2022, no 20-19.034.