Dommages causés à une œuvre de Donald Judd consignée outre-Atlantique : de l’importance des stipulations contractuelles explicites
En 2015, la Fondation Donald Judd avait confié, en vertu d’un « consignment agreement », une œuvre de l’artiste éponyme à deux galeries américaines, à charge pour elles de l’exposer et de la vendre, notamment à l’occasion de la foire Frieze New York. L’œuvre du plasticien américain n’ayant pas trouvé preneur au terme de la durée du consignment, elle fut alors retournée à la Fondation en 2018. À cette occasion, un constat d’état fut dressé par l’équipe de la Fondation qui releva l’existence de tâches d’empreintes digitales, postérieures à la remise initiale de l’œuvre. Ces dommages furent qualifiés comme étant « irréversibles » au cours des négociations entre les parties, dommages de nature à justifier l’indemnisation par la compagnie d’assurance des galeries à hauteur de quatre-vingt pour cent du prix de vente de l’œuvre, soit 680.000 dollars, dès lors que l’œuvre ne peut plus être proposée à la vente. Désormais la Fondation intente une action judiciaire, devant une juridiction américaine, à l’encontre des deux galeries pour rupture de l’accord de consignation, lequel leur imposait de prendre en charge l’ensemble des dommages non couverts par la compagnie d’assurance.
L’aménagement des termes du consignment agreement
Depuis sa création en 1996, la Fondation Donald Judd (1928 – 1994) se consacre à la préservation et la promotion de l’œuvre du plasticien américain. Et c’est pour poursuivre une telle mission que la Fondation avait conclu un accord de consignation portant sur l’œuvre Untitled (1991) de la série Menziken, composée d’aluminium anodisé et d’une feuille en acrylique vert foncé transparent. L’accord conclu entre les parties octroyait à la Kukje Gallery et à la Tina Kim Gallery un mandat de vendre l’œuvre pour un montant finalement porté à 850.000 dollars, en raison de la réévaluation de la cote de l’œuvre de l’artiste.
La consignation se définit par le droit américain comme « une transaction, quelle que soit sa forme, dans laquelle une personne remet des marchandises à un marchand afin de les lui vendre »[1]. Un tel accord s’apparente, en droit français, ainsi à un mandat de vendre une œuvre, auquel peut être adjoint un contrat de dépôt, à l’instar des relations entre galeries d’art et artiste ou ayant droit.
Le droit américain édicte une règle générale de responsabilité sur le retour des marchandises consignées, c’est-à-dire remises en dépôt, aux seuls risques du marchand[2]. Pour autant, les parties sont libres de convenir de modalités distinctes de mise en œuvre de la responsabilité en cas de dommages causés à l’œuvre consignée. Une modulation contractuelle est ainsi possible.
Dans l’affaire opposant la Fondation Donald Judd aux deux galeries, les parties avaient pris le soin de préciser que les consignataires, c’est-à-dire les galeries, étaient responsables de tout dommage causé à l’œuvre pendant qu’ils en avaient la garde, en ce compris les dommages non couverts par la compagnie d’assurance et ce, jusqu’à concurrence du prix conjointement défini. Par ailleurs, il était également précisé que les consignataires étaient seuls responsables de l’entretien et de la conservation de l’œuvre, imposant l’accord écrit et préalable de la Fondation avant toute intervention sur l’œuvre, notamment en vue de sa restauration éventuelle.
Le rôle des constats d’état sur la preuve des dommages causés à l’œuvre
Toute œuvre remise en dépôt est susceptible de faire l’objet d’un éventuel litige sur son état lorsqu’elle s’avère rendue à son propriétaire ou vendue à un tiers. Ces litiges démontrent la nécessité d’établir des constats d’état de l’œuvre, bien que cela ne soit aucunement une obligation légale tant aux Etats-Unis qu’en France. Un tel document décrit en détails l’état de l’œuvre, ainsi que les éventuels dommages sur celle-ci, leur nature, leur localisation et leur étendue. L’établissement de ce document en présence des deux parties permet d’affermir son caractère contradictoire, ainsi que son opposabilité, afin d’éviter toute contestation ultérieure.
Ainsi, l’œuvre de Donald Judd avait fait l’objet d’un rapport de condition antérieurement à sa remise aux galeries, lequel ne faisait aucunement mention d’une quelconque présence d’empreintes digitales. Les constats d’état établis postérieurement à la découverte de ces dommages démontrent que dès 2017, les galeries avaient constaté pourtant ces marques. Or, la Fondation estime qu’elle n’avait jamais été alertée de ces dégradations et réclame à ce titre 100.000 euros de dommages et intérêts complémentaires.
En France, une telle dégradation aurait permis à la Fondation de poursuivre les galeries pour atteinte au droit moral et plus précisément au droit dû au respect de l’intégrité de l’oeuvre.
Un article écrit par Adélie Michel
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre juillet et octobre 2022.
Le Cabinet intervient pour de nombreux estate ou successions d’artistes, tant français qu'étrangers, afin de les accompagner dans la défense de leurs intérêts et dans la contractualisation de leurs relations avec leurs partenaires, dont les galeries d’art.
[1] Uniform Commercial Code, article 9-102 (20).
[2] Uniform Commercial Code, article 2-327 (2) (b).