Preuve du contrat d’architecte et nature de sa rémunération
À défaut de contrat écrit avec son commanditaire, l’architecte doit rapporter la preuve de son existence et de son contenu afin d’obtenir le paiement des prestations restées impayées. Telle est la solution classique retenue par la Cour d’appel de Colmar. En revanche, la Cour refuse de façon injustifiée toute réparation au titre de la contrefaçon en confondant honoraires au titre des prestations de l’architecte et rémunération au titre du droit d’auteur.
Une surprenante décision vient d’être rendue le 11 mars 2021 par la 2e chambre civile de la Cour d’appel de Colmar. À l’occasion d’un projet de réaménagement et de transformation de sa maison, un propriétaire avait confié à un architecte le relevé des bâtiments existants et la réalisation d’esquisses pour un montant de 7.300 euros. Satisfait du travail, les parties ont poursuivi leur collaboration, sans signer de contrat, avant que le commanditaire ne refuse le projet en raison de l’absence de conformité à sa commande. L’architecte a alors adressé une note d’honoraires de 15.062 euros au titre de ses prestations restées impayées. De son côté, le propriétaire faisait réaliser l’extension en reprenant des éléments du projet initial.
Au début de l’année 2015, l’architecte a alors assigné le commanditaire devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins d’obtenir le paiement de sa facture et demandait également des dommages et intérêts pour atteinte à ses droits d’auteur sur le projet réalisé par ses soins. Les juges du premier degré constatèrent l’existence d’un contrat entre les deux parties mais limitèrent la condamnation du propriétaire à la somme de 395,16 euros. Selon eux, l’architecte n’avait effectué que 35 % de sa mission et non 54 % comme il l’affirmait et le montant des travaux était inférieur à celui énoncé par le requérant. Par ailleurs, les magistrats rejetèrent les demandes indemnitaires fondées sur la contrefaçon à défaut d’originalité du projet d’aménagement. L’architecte interjeta appel de la décision dans son intégralité.
Le refus par le maître de l’ouvrage du projet qui lui est soumis ne suffit pas à écarter l’existence d’un contrat
Si l’article 11 du Code de déontologie des architectes impose la conclusion d’une convention écrite préalable, il s’agit d’une obligation déontologique et non d’une condition formelle de validité du contrat. Une solution identique est retenue pour d’autres professions, à l’instar des Avocats. Le droit commun de la preuve trouve alors à s’appliquer, imposant la preuve d’un écrit pour tout contrat supérieur à 1.500 euros. À défaut, un commencement de preuve écrite doit être rapporté, ce dernier devant être corroboré par d’autres éléments.
En l’espèce, si le projet de contrat proposé par l’architecte n’avait pas été signé par le propriétaire, celui-ci l’avait autorisé à déposer une déclaration préalable de travaux, constituant ainsi un commencement de preuve par écrit. L’architecte avait également établi des plans au 1/100e et des devis estimatifs et l’intimé reconnaissait s’être s’inspiré du projet pour réaliser ensuite les travaux d’extension. La Cour d’appel confirmait alors l’existence du contrat d’entreprise liant les deux parties au litige.
La difficile preuve du contenu du contrat et de l’étendue de la mission de l’architecte à défaut de contrat écrit
Comme le rappelle l’article 11 du Code de déontologie, l’engagement écrit doit notamment définir la nature et l’étendue des missions et des interventions de l’architecte « ainsi que les modalités de sa rémunération ». Or, si les parties s’accordaient sur le fait d’avoir convenu d’une rémunération proportionnelle au prix des travaux, il restait à définir l’assiette de cette rémunération et son pourcentage.
Sur le premier point, l’appelant soutenait que devait être pris en considération le montant total du projet, soit 180.000 euros. Or, ce montant était contesté par l’intimé, puisqu’il s’agissait d’un des motifs pour lequel il avait mis fin au contrat. Après une appréciation factuelle, la Cour d’appel retient le montant de 59.458 euros, correspondant au coût des travaux extérieurs, et le fait que l’architecte n’aurait réalisé que 35 % de sa mission puisqu’il ne rapportait pas la preuve de l’accomplissement d’une seule phase et qu’aucun plan détaillé n’avait été réalisé. Sur le second point, la Cour relève que le propriétaire avait connaissance de la rémunération de l’architecte à hauteur de 16 % du montant des travaux. Ainsi, après déduction du montant de la première facture de 7.300 euros, les magistrats confirmèrent la condamnation du propriétaire à payer la somme de 395,61 euros.
La confusion de la Cour d’appel entre honoraires au titre des prestations de l’architecte et dommages et intérêts du fait de la contrefaçon de son projet
L’appelant soutenait enfin qu’après l’avoir éconduit, le propriétaire avait repris les plans pour les faire exécuter par une autre entreprise et demandait des dommages et intérêts au titre de la contrefaçon de son projet. En première instance, les magistrats avaient rejeté ses prétentions affirmant que le projet n’était pas original et ne pouvait être protégé par le droit d’auteur. En effet, en matière d’architecture, les revendications fondées sur le droit d’auteur achoppent souvent sur l’exigence de l’originalité de la création. À cette fin, l’architecte assurait que son projet faisait preuve d’originalité puisqu’il reposait sur « l’utilisation de lignes épurées sur quatre niveaux pour les rambardes avec un escalier hélicoïdal, (…) choix architectural ne relevant pas de contraintes fonctionnelles ou techniques qui caractérise un effort de création. » Ainsi, l’extension réalisée reprenant des éléments des plans, elle devait être jugée contrefaisante.
Pour autant, sans caractériser ou rejeter l’originalité du projet, la Cour d’appel déboute de ses demandes l’architecte, affirmant qu’en « obtenant la rémunération des prestations qu'elle a réalisées aux titres des travaux de rénovation extérieure, ne peut solliciter des dommages et intérêts pour atteinte à ses droits de propriété intellectuelle ». Ce faisant, la Cour sort du cadre établi et opère une confusion entre rémunération au titre d’une prestation de services et atteinte au monopole du droit d’auteur, dont l’exploitation fait l’objet d’une rémunération distincte. À titre d’illustration, l’article 46 du Code de déontologie des architectes opère bien une distinction « entre honoraires ou droits d’auteur, dans le cas d’exploitation d’un modèle type ». Dès lors, en aucun cas la condamnation en paiement des prestations ne peut exclure une demande de réparation sur le fondement d’une atteinte au droit d’auteur. Le raisonnement des magistrats ne peut donc prospérer et pourrait ouvrir droit à une annulation de la décision par la Cour de cassation si elle était saisie.
Une telle confusion entre rémunération au titre des prestations d’un créateur, ici un architecte, et rémunération au titre d’une exploitation du droit d’auteur est également courante en matière d’art visuel. Or, cette distinction est pourtant fondamentale en matière de TVA. En effet, si la cession des droits d’auteur sur une œuvre architecturale n’emporte pas de modification du taux de TVA, en matière d’arts plastiques, cette cession bénéficie d’un taux de TVA réduit, exception régulièrement oubliée.
Article écrit par Me Simon Rolin, Avocat Collaborateur
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste les architectes et les agences dans la défense de leurs droits, notamment à l’occasion d’actions en contrefaçon, ou dans l’accompagnement au stade de la négociation et de la rédaction de leurs contrats.