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Vie privée : la publication de prises de vue d’un tournage porte également atteinte au droit d’interprétation de l’actrice

Un hebdomadaire de presse people bien connu avait publié huit mois après la sortie d’un film, un article sur la romance naissante entre deux de ses acteurs illustré de trois photographies issues de ce tournage. La Cour d’appel de Versailles condamne la société éditrice pour atteinte à la vie privée de l’actrice et innove en retenant également la contrefaçon pour atteinte au droit au respect de son interprétation[1].

Un article faisant le parallèle entre la vie privée de l’actrice et le scénario du film
Intitulé en couverture « Dany Boon, Laurence est entrée dans sa ch’tite famille » avec une photographie en vignette de l’acteur embrassant l’actrice, l’article jouait sur la similarité entre le scénario du film et la relation entre les deux acteurs révélée quelques jours auparavant par un autre tabloïd. Afin de renforcer ce parallèle, l’article était illustré par trois photographies des deux acteurs issues du tournage, réalisé plus d’un an avant la parution du magazine. Alléguant une atteinte à sa vie privée et à son droit d’interprétation, l’actrice avait assigné la société éditrice du magazine afin de voir réparer son préjudice moral.

Déboutée en première instance, l’interprète interjetait appel de la décision devant la Cour d’appel de Versailles. En effet, selon la juridiction, le ton et la globalité de l’article avait pour objectif « d’accréditer dans l’esprit des acheteurs potentiels, l’existence d’une relation intime en procédant par supputation sur sa vie privée ». En outre, l’utilisation de photographies de tournage pour illustrer cet article constituait une reproduction sans autorisation constituait une atteinte délibérée à sa vie privée. La société éditrice se défendait quant à elle de toute atteinte à la vie privée relevant que, sous le ton accrocheur propre à la ligne éditoriale du magazine, l’article se bornait à afficher la complicité des deux acteurs notoirement connus, lors de la campagne de promotion sans utiliser le champ lexical de la relation amoureuse.

Portant atteinte à la vie privée de l’actrice en procédant par supputation
Dans un premier temps, les magistrats rappellent le principe de la recherche d’un juste équilibre entre les deux droits fondamentaux équivalent que sont le droit à la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du Code civil, et le droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers, garanti par l’article 10 de cette même convention. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, afin de mener cette appréciation « il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que le cas échéant les circonstances de la prise des photographies. »[2] En outre, le caractère public ou la notoriété d’une personne influe sur la protection au titre de sa vie privée.

Suivant le raisonnement de l’appelante, la Cour d’appel relève que l’article doit s’apprécier dans sa globalité et que la couverture ne peut être dissociée de celui-ci. Or, malgré le « ton humoristique dénué de malveillance », l’article évoque le tournage d’un film sorti huit mois auparavant et procède par « allusions » ayant pour « seule[s] finalité[s] de révéler au public [la] relation amoureuse [des deux acteurs] en distrayant le lecteur avec le parallèle opéré avec le scénario du film » dans lequel l’actrice incarne l’épouse de Dany Boon. Par ce procédé, les magistrats estiment que le magazine ne fait que relayer la relation amoureuse des deux acteurs révélée quelques jours plus tôt. Ainsi, nonobstant l’emploi d’un ton dubitatif, « ces supputations sur la vie intime, caractérisent une intrusion dans la sphère privée » de l’actrice et porte atteinte à sa vie privée. Or, la seule constatation d’une violation de la vie privée ouvre droit à réparation du préjudice moral. Relevant toutefois la banalité des propos et leur absence de malveillance, la Cour d’appel condamne la société éditrice à verser la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice résultant de cette atteinte.

Le détournement des photographies du tournage, contrefaçon de l’interprétation de l’actrice
La Cour accueille également les arguments de l’actrice sur le fondement du droit d’interprétation. Prévue aux articles L. 212-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, la protection par les droits voisins confère à l’acteur d’une œuvre de l’esprit des droits patrimoniaux et un droit moral sur son interprétation. Toutefois, les droits patrimoniaux ayant vraisemblablement fait l’objet d’une cession au producteur, l’actrice ne pouvait agir que sur le fondement de son droit moral et plus précisément sur le droit au respect de son interprétation.

À ce titre, la cour relève que la reproduction non autorisée de scènes de tournage dans le magazine « à des fins commerciales pour attirer le lectorat » et « sans lien avec l’actualité cinématographique, séparée du son, altère et dénature ladite interprétation ». Estimant que la dénaturation du droit d’interprétation de l’actrice résultait tant de la fixation d’images non autorisée du tournage sans le son, que de la confusion et l’insinuation opérée par le magazine entre les scènes et l’intimité de l’actrice, la Cour condamne la société éditrice à verser la somme de 3.000 euros au titre de son préjudice moral.

Le cumul de l’atteinte à l’article 9 du Code civil et de l’atteinte au droit moral de l’interprète
Par cette décision, les magistrats admettent le cumul des demandes fondées sur l’atteinte à la vie privée, dont le droit à l’image est une composante, et sur l’atteinte du droit moral de l’interprète. Sur ce point, la solution vient éclairer une jurisprudence encore lacunaire alternant entre atteinte à l’image de l’interprète et atteinte aux droits voisins. Si avant la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits voisins, les interprètes obtenaient réparation sur le fondement de l’article 9 du Code civil lorsque leur image était détournée, la protection prévue à l’article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle semblait s’être substituée à ce fondement.

Ainsi, après avoir admis l’atteinte au droit moral de l’interprète, la Cour d’appel de Paris avait rejeté celle fondée sur le droit à l’image[3]. Et, en 2016, la Cour d’appel de Versailles avait pris soin de distinguer l’utilisation d’images de la prestation d’une actrice nue portant atteinte aux droits voisins, de celles prises à l’occasion d’une pause où, « dépossédée pour quelques instants du rôle qu’elle jouait, elle se retrouve, dénudée ou absorbée dans ses pensées, dans ce qui demeure sa sphère d’intimité. », portant alors atteinte à sa vie privée[4]. Par la présente décision, la Cour admet le cumul des deux actions. Il convient toutefois de relever que la caractérisation de l’atteinte à la vie privée prend principalement assise sur l’article dans sa globalité ainsi que sur le détournement du sens des images et non sur leur simple reproduction.

Enfin, il doit être relevé que la protection au titre des droits voisins exige en principe une condition supplémentaire : la caractérisation d’une expression artistique personnelle dans l’interprétation d’une œuvre de l’esprit protégeable[5]. En l’espèce, alors que cela aurait pu constituer un moyen de défense pour la société éditrice, aucun débat sur l’éligibilité de l’interprétation de l’actrice ne fut soumis à la Cour.

Article écrit par Me Simon Rolin, Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité, le Cabinet assiste ses clients dans la défense de leurs droits de la personnalité (droit à l’image, droit à la vie privée, etc.) et dans la défense et la promotion de leurs droits voisins.

[1] CA Versailles, 1re ch. 1re sect. 6 avr. 2021, RG no 19/07371.

[2] Ibid.

[3] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 14 déc. 2011, RG no 09/03168.

[4] CA Versailles, 1re ch., 1re sect. 21 janv. 2016, RG no 13/00226.

[5] Code de la propriété intellectuelle, L. 212-1.