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Spoliations : entre nouvelle approche des pouvoirs publics et maintien de la jurisprudence judiciaire

Si le Mémorial de la Shoah a récemment accueilli une exposition intitulée « Le marché de l’art sous l’Occupation 1940-1944 », offrant ainsi la possibilité à un vaste public de prendre conscience de l’activité intense de ce marché durant cette période, l’année 2019 fut également marquée par une forte activité en matière de revendication de biens culturels spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale.

D’une part, l’Etat français a adopté une nouvelle position consistant à étudier avec une attention renforcée toutes les œuvres dans ses collections pouvant provenir d’une spoliation. D’autre part, les juridictions françaises ont rendu deux décisions dans des affaires distinctes concernant la revendication par des héritiers de collectionneurs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale. En filigrane, l’extension des revendications à une période plus large que celle de l’occupation de la France a été actée par les pouvoirs publics mais écartée par les juridictions français.

Une évolution de l’approche des pouvoirs publics
C’est ainsi que le 16 avril 2019, un arrêté du Ministre de la Culture créait officiellement la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, concrétisant alors le souhait exprimé par le Premier ministre un peu moins d’un an auparavant. La création de cette mission spécifique a pour objet de faire la lumière sur les biens culturels à la provenance douteuse ou incertaine et conservés par les institutions publiques, sans distinguer les œuvres dites « MNR » (Musées nationaux récupération) de celles entrées dans les collections permanentes par d’autres biais, soit notamment par acquisition.

Le champ temporel de la législation nationale relative aux biens culturels spoliés s’était jusqu’à présent toujours limité à la période 1940-1945, conformément aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur. Outre le régime juridique particulier concernant des œuvres relevant des « MNR », récupérées après la Seconde Guerre mondiale et mises en dépôt au sein des collections nationales, une ordonnance du 21 avril 1945 envisage de manière spécifique la possibilité accordée aux héritiers de propriétaires de tableaux, sculptures ou autres biens culturels spoliés de revendiquer leur propriété devant les tribunaux français, quand ceux-ci sont la propriété de musées français ou de collectionneurs privés. La mission spéciale créée en 2019 élargit ce spectre temporel en prenant comme date pivot celle de l’année 1933, afin permettre l’étude de revendications jusqu’alors hors du champ d’application de l’ordonnance. La mission ministérielle se limite toutefois aux seules collections publiques et exclut, pour des considérations notamment de sécurité juridique, les collections privées.

Au diapason de cette prise de position politique, le musée du Louvre a intégré au sein de son équipe de recherche et des collections du musée une spécialiste du marché de l’art sous l’occupation, afin d’enquêter sur la provenance des œuvres MNR et sur les œuvres acquises sur le marché de l’art par le musée parisien de 1933 à 1945.

Le maintien des critères probatoires stricts de l’ordonnance de 1945 par la jurisprudence

De leur côté les juridictions françaises s’en sont tenues à la stricte application de l’ordonnance du 21 avril 1945. Les dispositions de cette ordonnance s’appliquent pour les actes de disposition accomplis à compter du 16 juin 1940, date du début de l’Occupation. Le revendiquant doit en premier lieu établir sa qualité de propriétaire sur le bien revendiqué et, comme le Tribunal de grande instance de Paris l’a rappelé dans sa décision du 29 août 2019, « justifier de l’existence d’un acte de disposition, postérieur au 16 juin 1940 »[2]. Or, les héritiers du marchand d’art René Gimpel ont échoué en première instance à rapporter la preuve d’un tel acte disposition, le Tribunal précisant notamment que « les incertitudes persistantes quant à l’identification des tableaux ne permettent pas d’appliquer le texte invoqué par les demandeurs ». Les héritiers ont annoncé avoir fait appel du jugement.

Dans une seconde affaire, tant le Tribunal de grande instance que la cour d’appel de Paris avaient reconnu l’application de l’ordonnance du 21 avril 1945 au bénéfice des revendiquants. Les possesseurs du tableau spolié furent ainsi contraints de restituer, sans bénéficier d’une quelconque indemnisation, la Cueillette de Pissaro, qu’ils avaient acquis de bonne foi en vente aux enchères publiques auprès d’un des leaders mondiaux du secteur. Toutefois, les possesseurs ont tenté de contester, pendant la procédure judiciaire, la constitutionnalité de l’ordonnance du 21 avril 1945 en ce qu’elle porterait atteinte au droit de propriété, ainsi qu’aux droits de la défense et à une procédure juste. La Cour de cassation refusa néanmoins de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité en soulignant que « dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d’un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires ; qu’ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions contestées, instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable »[3].

Si les revendiquants tentent parfois de s’appuyer sur les circonstances particulièrement dramatiques dans lesquelles leurs ancêtres ont été spoliés afin de justifier l’impossibilité de prouver les circonstances d’une telle dépossession (les archives familiales ayant pu notamment disparaître) afin de s’extraire des impératifs probatoires de l’ordonnance de 1945, les propriétaires d’une œuvre se retrouvent, quant à eux, dans une position particulièrement délicate où le poids du passé pèse sur le présent. Afin de se prémunir de cette situation, les propriétaires publics et les collectionneurs privés ont tout intérêt à identifier au sein de leur collection les œuvres et objets d’art ayant fait l’objet d’une transaction durant cette période trouble afin d’envisager les différentes possibilités à leur disposition

Article écrit par Me Simon Rolin,
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels et particuliers confrontés à des problématiques attachées à la revendication - amiable ou non - de biens dont la traçabilité peut se révéler délicate à prouver. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

À titre d’illustration, le Cabinet a ainsi pu intervenir, en 2019, au soutien des intérêts de possesseurs confrontés à une revendication d’une oeuvre considérée comme spoliée durant la Seconde Guerre mondiale.

[2] TGI Paris, ord. réf., 29 août 2019, RG no 19/53387.

[3] Cass. civ. 1re, 11 sept. 2019, no 18-25.695.