Pour être protégée par le droit d’auteur, une œuvre n’a pas à être « esthétique »
Dans sa décision du 12 septembre 2019[1], la Cour de justice de l’Union européenne opère un rappel pédagogique de sa jurisprudence concernant la définition de la notion d’ « œuvre » au sens du droit d’auteur. Si les dispositions du Code de propriété intellectuelle français, issues de la transposition de la directive européenne 2001/29, excluent de l’appréciation de l’originalité toute prise en compte du genre, du mérite ou de la destination (artistique, commerciale, industrielle…) de l’œuvre, la Cour européenne précise que le seul « effet esthétique » d’un modèle de vêtement ne suffit pas à lui conférer le bénéfice de la protection du droit d’auteur, dès lors que la notion d’esthétisme renvoie nécessairement à une appréciation subjective de l’originalité de l’œuvre.
La présente décision s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant deux marques de vêtements, litige au cours duquel la Cour suprême portugaise (Supremo Tribunal de Justiça) a posé une question préjudicielle à la CJUE concernant l’interprétation de l’article 2, sous a) de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2000 relative au droit d’auteur. En effet, la protection des créations par le droit d’auteur a été harmonisée pour toute l’Union européenne permettant alors à la CJUE d’affirmer par le passé que la notion d’ « œuvre » au sens du droit d’auteur devait être interprétée et appliquée de façon uniforme dans tous les États membres de l’Union européenne.
Ainsi, une œuvre au sens du droit d’auteur ne se restreint pas à la notion d’œuvre au sens des beaux-arts ou des arts plastiques. Une création industrielle, telle un vêtement, un meuble ou bijou, peut bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur au même titre qu’un tableau, une sculpture, une photographie ou une vidéo. L’essentiel, pour bénéficier cette protection, est que l’auteur de la création démontre que celle-ci répond bien à certaines conditions limitatives et essentielles.
Afin d’être qualifiée d’œuvre au sens du droit d’auteur, une création doit réunir deux éléments cumulatifs. Il doit s’agir d’un objet original, « en ce sens que celui-ci est une création intellectuelle propre à son auteur », et cette qualification d’œuvre est limitée aux seuls « éléments qui sont l’expression d’une telle création ». Ainsi, certaines créations d’un artiste plasticien ou d’un designer ne pourront bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur que pour la partie pour laquelle ils ont pu faire acte de création. Par exemple, il est courant que des vêtements bénéficient de la protection pour les motifs figurant sur le tissu et non pour la coupe du vêtement elle-même.
Dès lors, est originale une œuvre qui « reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ». En revanche, un objet qui a été « déterminé par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice de liberté créative » ne peut être qualifié d’œuvre en l’absence de tout apport créatif personnel. Par exemple, un assistant d’artiste qui ne fait qu’exécuter les tâches que lui transmet son employeur ne pourra pas bénéficier d’un droit d’auteur sur la peinture ou la sculpture à la réalisation de laquelle il a participé.
Par ailleurs, pour pouvoir bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur, l’œuvre doit pouvoir être identifiable avec « suffisamment de précision et d’objectivité ». L’impératif visé par cette condition permet ainsi aux parties de débattre sur l’originalité en assurant une consistance à l’œuvre, objet de la protection recherchée. En outre, elle permet « d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique ». À ce propos, la CJUE avait déjà eu l’occasion de rappeler dans le cadre d’un litige concernant la protection par le droit d’auteur du goût d’un fromage[2], qu’une identification « reposant essentiellement sur les sensations, intrinsèquement subjectives de la personne qui perçoit l’objet en cause » ne répondait pas à cette condition.
Dans le cas d’espèce, la Cour rappelle que l’effet esthétique susceptible d’être produit par un vêtement est « le résultat de la sensation intrinsèquement subjective de beauté ressentie par chaque personne appelée à regarder celui-ci ». Dès lors, « cet effet de nature subjective ne permet pas, en lui-même, de caractériser l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité ». Par conséquent, un tee-shirt, et plus largement toute création d’un artiste ou d’un designer, ne peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur uniquement parce que son œuvre serait « esthétique » et ressentie comme telle par tout observateur. L’artiste doit nécessairement identifier avec précision les éléments au sein desquels sa personnalité créative s’est exprimée.
Le présent litige devant la Cour de justice concernait la protection de vêtements au titre du droit d’auteur et l’éventuel cumul de protection avec le droit des dessins et modèles. La question posée à la CJUE était de savoir si la directive sur le droit d’auteur permet aux Etats membres de prévoir la protection d’un dessin et modèle au titre du droit d’auteur à la seule condition que ce dessin ou ce modèle produise un effet esthétique spécifique, au delà de son objectif utilitaire. La Cour rappelle que l’objectif de la protection des dessins et modèles industriels est une protection différente de celle accordée au bénéfice des œuvres littéraires et artistiques, mais que les deux sont cumulables. En effet, la protection attachée au droit des dessins et modèles vise à protéger des créations « qui, tout en étant nouveaux et individualisés, présentent un caractère utilitaire et ont vocation à être produits massivement. » Cette protection est donc limitée dans le temps mais permet au créateur ou au titulaire de la protection de « rentabiliser les investissements nécessaires à la création et à la production de ces objets », selon la Cour. Le droit d’auteur poursuit, quant à lui, un objectif différent : la protection d’objets pouvant être qualifiés d’œuvres. La Cour parachève son rappel pédagogique en affirmant que les deux protections ne peuvent être associées que dans certaines situations : lorsque le dessin ou modèle peut être qualifié d’œuvre originale.
Un article écrit par Simon Rolin
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste très régulièrement des artistes dans la protection de leurs droits, notamment de leurs droits d’auteur, afin d’assurer la protection de leurs créations.
[1] CJUE, 12 sept. 2019, aff. C-683/17, Cofemel – Socedade de Vestuario SA, c/ G-Star Raw CV.
[2] CJUE, 13 nov. 2018, C-31°/17, Levola Hengelo.