L'application du droit de rétractation sur le marché de l'art
Le droit de rétractation s’applique aux contrats prévus entre un professionnel et un consommateur. Il permet à ce dernier de rétracter son consentement jusqu’à désormais quatorze jours après la conclusion du contrat. Or, pour la majorité des transactions conclues dans le monde de l’art, ce droit ne trouve pas à s’appliquer. Mais une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale et une autre au Sénat proposent d’introduire un droit de rétractation pour les contrats conclus dans une foire ou dans un salon, hypothèses non spécifiques au marché de l’art et s’appliquant par exemple à la Foire de Paris[1].
Des exclusions prévues pour les foires et pour les ventes aux enchères publiques
Dérogeant à la conclusion du contrat lors de la rencontre des consentements des parties, le droit de rétractation prévoit un délai pendant lequel le consommateur peut se rétracter sans devoir se justifier. Prévu aux articles L. 221-1 et suivants du Code de la consommation, le droit de rétractation s’applique aux contrats conclus en ligne ou hors établissement, entre un consommateur et un professionnel. Est un contrat conclu hors établissement, tout contrat conclu « dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties »[2]. En outre, le professionnel a l’obligation d’informer son cocontractant de l’existence d’un droit de rétractation, à défaut, le délai de rétractation est prolongé pour douze mois à compter de l’expiration du délai de rétractation initial[3] suivant la conclusion du contrat. Enfin, la renonciation au droit de rétractation par l’acquéreur doit être exprimée de manière expresse.
Toutefois, ce principe comporte différentes exceptions qui trouvent à s’appliquer dans de nombreuses transactions conclues dans le monde de l’art, notamment les foires et salons ainsi que les ventes aux enchères. L’absence de droit de rétractation pour les ventes aux enchères est évidente en raison de la structure même de la vente et de la conclusion du contrat avec le dernier enchérisseur. C’est pourquoi les législateurs européen et national ont expressément exclu cette modalité de vente du bénéfice du droit de rétractation[4]. Néanmoins, l’exception au profit des ventes réalisées lors des foires et salons est plus discutable car le consentement du consommateur peut être emporté par les arguments du vendeurs, comme le relève justement la proposition de loi déposée par quinze députés à l’Assemblée nationale le 15 juin dernier[5].
Les articles L. 224-59 et suivants du Code de la consommation prévoient que les contrats conclus dans le cadre des foires et salons ne donnent pas lieu à un délai de réflexion sauf lorsque l’acquisition a été financée par l’octroi d’un crédit[6]. Cette exception est encadrée par la mise ne place d’un dispositif assurant d’une obligation précontractuelle suffisante. D’une part, sur leur stand, les professionnels ont l’obligation d’afficher « de manière visible (…), sur un panneau ne pouvant pas être inférieur au format A3 et dans la taille de caractère ne pouvant pas être inférieure à celle du corps quatre-vingt-dix la phrase suivante “ Le Consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour tout achat effectué dans [cette foire] ou [ce salon], ou [sur ce stand]” ». D’autre part, les offres de contrats conclus doivent mentionner « dans un encadré apparent, situé en en-tête du contrat et dans une taille de caractère qui ne peut être inférieure à celle du corps 12, la phrase suivante : “le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour un achat effectué dans une foire ou dans un salon”. »
Dans les faits, l’obligation d’affichage sur les stands est très rarement respectée lors des événements organisés sous la nef du Grand-palais à Paris ou à l’occasion d’autres événements majeurs du marché de l’art. Pourtant, les marchands s’exposent à une lourde sanction en cas de manquement : une amende administrative d’un montant de 3.000 ou 15.000 euros[7].
En revanche, lors de la dernière foire « Galeristes » du 18 au 20 octobre 2019, l’organisation avait noué un partenariat avec une société spécialiste du financement des œuvres d’art, afin de proposer des possibilités d’échelonnement du paiement pour les achats effectués par les particuliers. Une telle offre impliquait a priori l’existence d’un droit de rétractation au profit des collectionneurs. À ce titre, la première chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que l’acquisition lors d’une foire, de bouteilles de vin dont le prix était payable en mensualité, était « assimilée à une opération de crédit à la consommation offrant à l'acquéreur une faculté de rétractation »[8]. Le consommateur bénéficiait donc d’un droit de rétractation.
Deux propositions de loi à l’étude
Afin de renforcer la protection des consommateurs, les deux chambres du Parlement ont été saisies de propositions de loi similaires visant à instaurer un droit de rétractation au profit du consommateur qui achète dans les foires et salons. L’exposé des motifs de la proposition déposée à l’Assemblée nationale relève à ce propos que « les techniques commerciales y sont parfois pernicieuses et le consommateur cède souvent à la tentation de l’achat “impulsif”. » Par ailleurs, les députés relèvent que le droit français irait à l’encontre de la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 qui énonce dans ses considérants que « les stands dans les foires devraient être considérés comme des établissements commerciaux s’ils satisfont à cette condition » et, à défaut, comme des contrats conclus hors établissement si le stand n’est pas le siège permanent ou habituel de leur activité.
Même si le parcours législatif de ces deux propositions est encore long, en cas d’adoption de l’une ou de l’autre de ces propositions, les conséquences sur les transactions réalisées lors des foires et salons pourraient être importantes. En effet, la pratique démontre que les achats sont souvent conclus à l’oral. Ainsi, en imposant un formalisme bien plus rigoureux avec la remise d’un formulaire de rétractation, et en permettant aux collectionneurs incertains de revenir sur leur accord quatorze jours après la vente, une petite révolution pourrait avoir lieu et briser la magie des salons. Le coup de foudre artistique ne serait alors plus instantané mais différé.
Un article écrit par Simon Rolin
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste les professionnels du secteur (galeristes, commissaires-priseurs, foires, etc.) dans la mise en place des bonnes pratiques attachées au droit de rétractation ou dans la défense de leurs intérêts en cas de demande irrecevable formulée par un acheteur. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Paris, pôle 2, ch. 2, 1er mars 2018, no 16/1970.
[2] Code de la consommation, article L. 221-1, 2o, a).
[3] Code de la consommation, article L. 221-20.
[4] Code de la consommation, article L. 221-28, 11o.
[5] Proposition de loi no 2000 visant à instaurer un délai de rétractation au bénéfice des consommateurs dans les foires et salons déposée le 5 juin 2019.
[6] Code de la consommation, article L. 224-62.
[7] Code de la consommation, article L. 242-23.
[8] Cass. civ. 1re, 3 juill. 2013, no 12-20.238.