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La "restitution" du sabre d’El Hadj Omar Tall

Le discours politique sait souvent s’émanciper du cadre juridique et la « restitution » proclamée officiellement du sabre d’El Hadj Oumar Tall en offre une nouvelle illustration. Le 17 novembre 2019, le Premier ministre Édouard Philippe a « restitué » au président sénégalais le sabre d’El Hadj Omar Tall, conservé jusqu’alors au musée de l’Armée à Paris et prêté depuis un an au musée des Civilisations noires (MCN) de Dakar à l’occasion de l’inauguration du musée où il était déjà exposé au public.

Ce geste politique constitue « la première étape » du processus de restitution, a indiqué le Premier ministre à l’occasion de la cérémonie officielle. En effet, seule une convention de dépôt du sabre a été signée conjointement par Florence Parly, ministre des Armées, et Abdoulaye Diop, ministre sénégalais de la Culture et de la Communication. Cette convention « prévoit un dépôt d’une durée de cinq ans, en vue d’une restitution une fois le cadre législatif français établi ».

Usant à nouveau du même stratagème que celui employé lors de la « restitution » de manuscrits de la Bibliothèque nationale de France à la Corée du Sud en 2010 – soit un prêt de longue durée renouvelable assurant un dépôt dans les faits définitif -, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un contournement d’un des principes les plus cardinaux attachés aux collections publiques : l’inaliénabilité.

Ce principe fondamental est ici contourné et pourrait être à terme remis en cause, si les conclusions du rapport Savoy-Sarr sont suivies d’effet. Le rapport, remis au Président de la République en novembre 2018, vise à instituer un dispositif juridique dont l’objectif affiché est la restitution d’une très grande partie des objets issus de l’ère géographique de l’Afrique subsaharienne à leurs pays d’origine, quand bien même une telle destination correspondrait aux frontières des empires colonisateurs. Un accord bilatéral serait alors signé entre la France et l’État africain concerné, afin que ce dernier puisse présenter une demande en restitution dont la quasi-automaticité de la réussite semble de mise. C’est ici faire un pari particulièrement périlleux face au risque de contagion de la remise en cause du principe d’inaliénabilité des collections publiques.

Le sabre d’El Hadj Oumar Tall ne peut aujourd’hui, faute d’avoir été déclassé et d’être sorti du domaine public, faire l’objet d’une restitution au sens juridique du terme. À ce jour, seules deux restitutions ont pu être menées à leur terme avec l’adoption corrélative d’une loi ad hoc : la Vénus hottentote en 2002 et les têtes maories en 2010. Le prêt à long terme du sabre d’El Hadj Oumar Tall annonce assurément le recours à un tel subterfuge politique, plutôt que l’adoption nécessaire de lois d’exception pour les prochains objets concernés. Il est surtout bien étonnant, à lire la tribune de l’historien Francis Simonis, de constater que le premier objet “restitué” depuis la remise du rapport Savoy-Sarr est en réalité un sabre forgé en France qui n’aurait sans doute jamais appartenu au conquérant toucouleur.

Un article écrit par Me Alexis Fournol 

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des acteurs du marché confrontés à des demandes de restitution, notamment de la part de l’État français.