Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Condamnation d'une commune pour reprise non-autorisée d'un parcours artistique

 

Un projet de parcours de fresques dans une ville ne constitue pas une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur selon une décision du Tribunal de grande instance Marseille de juin 2019. Néanmoins, le concepteur de ce parcours peut obtenir un dédommagement sur le fondement du parasitisme.

Les villes font souvent appel à des street artistes afin d’habiller les façades vides de leurs immeubles et de proposer aux habitants et aux touristes des parcours artistiques singuliers. Dès la fin des années quatre-vingt, la ville de Lyon a permis la réalisation de différentes fresques sur la presqu’île et dans le vieux Lyon comme en témoigne la désormais célèbre Fresque des Lyonnais représentant trente visages d’hommes et de femmes célèbres ayant un lien avec la cité. Plus récemment, dans le cadre du budget participatif de la ville de Paris, dix murs dans dix arrondissements ont été confiés à dix graffeurs. Un parcours de fresques murales a également été réalisé à Béziers sur différentes façades d’immeubles de la métropole. Or cette ville vient d’être condamnée pour la réalisation de ce parcours puisqu’elle avait repris sans autorisation la proposition de parcours réalisée auparavant par Monsieur Jean Pierson, artiste peintre muraliste.

Le 26 mai 2015, cet artiste proposait à la mairie de Béziers un parcours de fresques à travers le centre historique de la ville. Pour autant, moins d’un mois après, un appel d’offres portant sur « l’animation, la coordination artistique technique et financière, ainsi que la réalisation d’un parcours de fresques murales » était publié par la ville. Sans y voir là une quelconque manœuvre, Monsieur Pierson décidait d’y participer mais son projet ne fut pas retenu. Or, lors de la publication de l’offre retenue attribuée à une association, il découvrit de grandes similarités avec le parcours transmis en mai. Après plusieurs tentatives de médiation, le muraliste assigna la ville de Béziers en référé. Cette action fut rejetée par le juge des référés, ces derniers relevant que les faits ne donnaient pas lieu à référé. Il assigna alors au fond la commune de Béziers pour contrefaçon et parasitisme économique. Dans une décision du 13 juin 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a rejeté sa demande fondée sur la contrefaçon au titre du droit d’auteur mais accueilli celle fondée sur le parasitisme.

L’artiste demandait en effet au tribunal de reconnaître le caractère original de la scénographie du parcours qu’il avait remis à la commune. Selon lui, le parcours se référait à une chronologie de l’histoire de Béziers et aux différentes vagues d’immigration. Ce n’était donc pas les œuvres projetées dont la protection était revendiquée mais bien le seul parcours artistique. Le tribunal ne retient pas cette analyse au terme d’un raisonnement surprenant.

 Tout d’abord, les juges rappellent que pour être protégée par le droit d’auteur, la création doit « répondre à deux conditions de formes : se manifester par une expression apparente et être tangible, ou fixée sur un support, et à deux conditions de fond : être une création, ou une œuvre de l’esprit et être originale, donc singulière en ce qu’elle exprime la personnalité de son auteur. » D’une part, et comme le relève un auteur, l’exigence de fixation est indifférente à la protection accordée[1]. D’autre part, « une création est définie par un caractère original » comme l’énonce les juges, il n’y a donc pas deux conditions de fond mais une seule.

Si les œuvres de l’esprit sont protégeables par le droit d’auteur, il ne s’agit que de la concrétisation formelle de l’œuvre. En effet, il est de jurisprudence constante que les idées sont de libre parcours et ne peuvent bénéficier de la protection prévue par le Code de la propriété intellectuelle. À titre d’illustration, le genre cubiste ne peut pas être protégé par le droit d’auteur[2]. Au regard des éléments à disposition du tribunal, il aurait été logique que celui-ci rejette la protection en relevant que le projet de parcours artistique dans la rue n’était qu’une idée en l’absence de réalisation de celui-ci. D’ailleurs, le tribunal relève que le projet « ne contient aucune esquisse, ébauche, croquis ou dessin ». Or, ce n’est pas là l’argumentation choisie par les juges. Ces derniers rejettent la protection du parcours au titre du droit d’auteur car le projet « ne démontre pas un effort créatif ainsi qu’un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de son auteur » et n’est donc pas original.

Par ailleurs, pour écarter la contrefaçon d’une reprise d’une des fresques réalisée par le demandeur, le tribunal ne caractérise pas l’absence d’originalité de celle-ci mais relève seulement que la fresque était une photographie d’une œuvre célèbre et que le choix d’avoir colorisé l’écharpe en rouge « ne confère pas à cette peinture le caractère de création originale, s’agissant de la reprise d’une photo connue de tous ». Cette analyse ne pourra qu’étonner.

Débouté de ses demandes en contrefaçon, l’artiste muraliste voit sa demande néanmoins accueillie pour parasitisme et concurrence déloyale. Comme le rappelle le tribunal, le parasitisme est entendu « comme un comportement qui consiste essentiellement à tenter de profiter de la notoriété d’une entreprise ou d’un produit, de vivre dans sillage, de créer une filiation fictive ». Fondée sur l’article 1240 du Code civil, le demandeur doit démontrer le triptyque classique : l’existence d’un dommage, la constatation d’une faute et un lien de causalité entre les deux.

En l’espèce, le parcours a été réalisé par l’association qui a repris le portrait de Jean Moulin proposé par l’artiste et a utilisé « plusieurs façades repérées et précisément identifiées » par l’artiste dans son projet remis en mai 2015. En outre, la commune de Béziers ne produit pas le projet remis par l’association dont la candidature a été retenue. Dès lors, le tribunal condamne la commune à la somme de cinquante-mille euros pour avoir « profité des investissements et du travail réalisé par Monsieur Pierson » ainsi que « de sa notoriété et de son expérience ».

Ainsi, à défaut de protection par le droit d’auteur des projets de parcours artistiques dont les contours ne sont pas assez bien définis, les concepteurs pourront toujours espérer un dédommagement sur le fondement du droit commun en cas de reprise non-autorisée de leur travail.

Un article écrit par Simon Rolin

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les artistes confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs oeuvres.

[1] J.-M. Bruguière, Propriétés intellectuelles, no 73, octobre 2019, p. 28.

[2] TGI, Paris, 3 juin 1998, Claude Ruiz Picasso : Gaz. Pal. 1998, 2, som. p. 689.