L'esprit de Peggy Guggenheim devant la justice
Les descendants français de Peggy Guggenheim (1898-1979) ont perdu en cassation, le 7 mars dernier, leur procès contre la Fondation Solomon Guggenheim. Les ayants-droit de la célèbre collectionneuse reprochaient notamment à la fondation américaine de ne pas avoir respecté, à de multiples reprises, la volonté de la défunte. Aussi sollicitaient-ils une remise en son état d’origine de la collection et du jardin, ainsi que la suppression de toutes les mentions relatives à d’autres collectionneurs ajoutées après diverses donations d’œuvres[1].
Les faits relatifs à cette saga judiciaire remontent à 1976. Peggy Guggenheim avait alors fait don à la Fondation qui porte désormais son nom de sa collection essentiellement constituée d’œuvres d’art moderne, dont certaines pièces majeures. La Fondation a depuis pour objet principal la promotion de l’art et gère, entre autres, la collection de la défunte mécène américaine.
Mais les héritiers ont estimé que la Fondation ne respectait pas les volontés de leur ascendante. Une assignation fut alors délivrée devant le Tribunal de grande instance de Paris il y a plus de vingt ans afin d’obtenir, au principal, la remise en état des legs et ce, sous astreinte. Ils contestaient également le déplacement d’œuvres de la collection, le prêt de tableaux pour des expositions itinérantes ou encore l’exposition d’œuvres non choisies par la collectionneuse.
Le 7 décembre 1994, le Tribunal de grande instance de Paris concluait au rejet de leurs prétentions, notamment celle visant à reconnaître à une collection d’œuvre d’art la protection au titre du droit d’auteur. Pourtant, les demandeurs avaient rappelé que « le droit italien reconnaît la protection d’œuvre constituée par la réunion d’œuvres ou de parties d’œuvres dans la mesure où elle présente un caractère de création autonome, ce qui est le cas d’une collection », tout en s’appuyant sur une décision de la cour d’appel de Paris du 2 octobre 1997 ayant « reconnu la qualité d’œuvre de l’esprit à la collection » d’Henri Langlois[2].
Au contraire, le Tribunal retient que « le droit italien en matière de droit d’auteur ne reconnaît pas spécialement à une collection de tableaux la qualité d’œuvre d’art protégée ». La Cour de cassation s’était déjà prononcée sur cette question à propos d’une collection d’œuvres littéraires mais n’avait pas retenu la qualification d’œuvres de l’esprit[3].
Un appel fut interjeté mais les parties ont signèrent une transaction, en cours de procédure, le 10 décembre 1996. Les demandeurs se sont alors désistés de leur appel.
Une nouvelle atteinte supposée
En 2013, lors de la Biennale de Venise, face à une nouvelle division de la collection, les héritiers ont, une nouvelle fois, eu recours à la justice. Ces derniers considéraient que le protocole signé en 1996 n’avait pas été respecté et assignaient alors la Fondation devant le Tribunal de grande instance de Paris en 2014[4].
Le Tribunal devait statuer d’une part, sur la demande de remise en état intégrale de la collection de Peggy Guggenheim, sous astreinte du retrait des œuvres émanant d’une autre collection, d’autre part, sur la révocation de la donation de 1976 et enfin, sur l’atteinte au droit moral. Le débat portant sur la qualification de la collection comme œuvre de l’esprit n’a pas eu lieu, la question ayant déjà été tranchée selon le Tribunal de grande instance. Les juges ont, de nouveau, rejeté leurs différentes demandes et un nouvel appel fut formé.
La question posée aux juges du fond le 23 septembre 2015 était celle de la prétendue violation par la Fondation de l’Article 3 du protocole transactionnel signé en 1996. De nouveau, la question de la qualification d’une collection en tant qu’œuvre de l’esprit a été éludée[5].
L’Article 3 du protocole reconnaissait à la Fondation un droit exclusif afin d’exercer un contrôle de la collection et de l’exposition des œuvres dans le palais vénitien, sans limiter ce droit aux seules œuvres de la collection de Peggy Guggenheim. Par ailleurs, ce même article autorisait la Fondation à exposer dans le même lieu, d’autres collections que celle de la mécène.
Les restrictions quant à la durée des expositions, la primauté des œuvres de la collection en cause, l’ampleur des expositions itinérantes n’étant pas envisagée par la transaction, les appelants ne pouvaient les invoquer. Les manquements de la Fondation n’étant pas caractérisés, la cour d’appel débouta les héritiers qui se sont alors pourvus en cassation.
L’arrêt de la première chambre civile du 7 mars dernier vient, ainsi, clore le sort des demandes des héritiers Guggenheim. Ces derniers ont été définitivement déboutés de leur action. La Cour de cassation, juge de la bonne application du droit, a estimé que les griefs des requérants contre la décision d’appel du 23 septembre 2015 n’étaient pas fondés.
Ainsi, la Cour de cassation a retenu en premier que « les consorts C n’ont pas soutenu devant la cour d’appel que la transaction aurait emporté abandon au profit de la fondation de façon préalable et générale, du pouvoir exclusif d’apprécier les utilisations de la collections comme les changements susceptibles d’y être apportés, et, partant, qu’elle aurait été de nature à porter atteinte à l’inaliénabilité du droit moral dont ils se disaient investis en leur qualité d’héritiers de H I ».
Puis, en second lieu, les juges de la Cour de cassation ont retenu que « Attendu d’autre part, que la cour d’appel a estimé, par une interprétation de sa portée, rendue nécessaire par son imprécision, que la transaction n’imposait aucune contrainte à la fondation tenant au nombre ou à la durée d’exposition d’autres collections, ni exigeait d’elle une présentation constante de l’ensemble des œuvres de la collection ; qu’elle a constaté dans l’exercice de son pouvoir souverain, que les ayants droit de H I n’établissaient pas que l’exposition des collections Sculhof, Mattioli et E portait atteinte à la réputation de celle de leur auteur, et retenu qu’ils ne caractérisaient aucun manquement de la fondation à ses obligations »[6].
Enfin, l’autre volet juridique de cette affaire portait sur la question de la sépulture de Peggy Guggenheim située à l’entrée du palais vénitien et de sa ‘’profanation’’ par l’apposition de plaques de collectionneurs dans le jardin et de la transformation de la destination du lieu en un lieu de commerce et d’évènements.
En se référant à la loi italienne et aux dispositions sur l’infraction de profanation de sépultures, les juges de la cour d’appel, suivis par ceux de la haute Cour, ont considéré que la défunte n’avait émis aucune instruction quant à l’aménagement de la sépulture et qu’il n’est argué d’aucune « profanation immatérielle ou matérielle » portée à la sépulture. La demande a ainsi été rejetée.
Par Arthur Frydman
Stagiaire du cabinet entre octobre 2017 et avril 2018
Dans le cadre de son activité dédiée au droit du marché de l'art et au droit de l’art, le Cabinet intervient régulièrement pour défendre le respect dû à l'intégrité d'oeuvres de l'esprit tant pour des artistes que pour leurs ayants-droit.
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[1] Cass. civ., 1re, 7 mars 2018, no 15-26.227.
[2] CA Paris, 2 oct. 1997, D, 1998, p. 312.
[3] Cass. com., 27 févr. 1990, no 88-19.194, Bull. civ. no 58.
[4] TGI Paris, 2 juill. 2014, RG no 14/06216.
[5] CA Paris, pôle 3 ch. 1re, 23 sept. 2015, RG no 14/17631.
[6] Cass. civ., 1re, 7 mars 2018, no 15-26.227.