Les Mémoires d'outre-tombe devant la Cour de cassation
La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, le 31 janvier dernier, que la mise en vente aux enchères, par un notaire, du manuscrit des Mémoires d’outre-tombe de François-René Chateaubriand était illégale.
La Cour a ainsi retenu que le notaire était seulement dépositaire de l’œuvre, et que sa décision de mise en vente constituait ainsi, un abus de confiance au préjudice des héritiers des ayants-droit de la société d’édition. La Haute juridiction, en rejetant pourvoi formé, a donc confirmé la condamnation du notaire à une amende d’un montant de 25.000 euros[1].
L’origine de l’affaire débute en 1836. L’écrivain, en manque de moyens, a cédé la propriété littéraire et artistique de son œuvre, encore inédite, à son éditeur, Henri-Louis Delloye agissant pour le compte d’une société en constitution, Delloye Sala. Le texte ne devait être publié qu’à son décès en 1848. Le corpus du texte a ensuite été placé dans une caisse cadenassée avec trois clefs, l’écrivain en gardant une, l’éditeur aussi et la troisième pour le notaire de l’éditeur, Maître Cahouet.
En 1847, un procès-verbal constatait qu’une nouvelle version du manuscrit des Mémoires d’outre-tombe avait remplacé la précédente. L’éditeur vient par la suite chercher deux cahiers et avait laissé un troisième à l’adresse du notaire avec une note sur laquelle était inscrite « Je lui laisse les autres ». Le coffre fut ensuite définitivement scellé.
Le manuscrit, c’est-à-dire le troisième cahier laissé par l’éditeur restera à l’étude notariale de Maître Jean Dufour, successeur de Maître Cahouet jusqu’en 2012. Cette année là, le descendant de Maître Jean Dufour, Pascal Dufour, craignant que le manuscrit ne soit volé ou se dégrade, décidait de le remettre à un commissaire-priseur afin d’être vendu aux enchères.
En effet, pour Maître Pascal Dufour, seul titulaire de l’office notarial, la propriété du manuscrit lui revenait de droit, en raison de son abandon par l’éditeur depuis 160 ans.
La vente aux enchères publiques était programmée pour le 26 novembre 2013 et l’estimation du manuscrit était comprise entre 400.000 et 500.000 euros. Cependant, peu avant la vacation, la maison de ventes aux enchères a fit savoir qu’elle vendrait le manuscrit de gré à gré à la Bibliothèque nationale de France (BNF).
La vente fut néanmoins interrompue, le Parquet de Paris estimant que celle-ci était illégale. En effet, pour le Parquet, le manuscrit ne constituait pas la propriété de Maître Pascal Dufour, ce dernier n’en était que dépositaire et non le propriétaire.
Le prévenu a donc été renvoyé devant la 30ème chambre du tribunal correctionnel de Paris pour avoir commis le délit d’abus de confiance, aggravé du fait de sa qualité d’officier ministériel, au détriment de la succession de l’auteur.
L’abus de confiance est défini par l’article 314-1 du Code pénal comme étant « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
Le notaire en tant que dépositaire avait deux obligations principales. Conformément à l’article 1915 du Code civil, le dépositaire d’une chose doit, d’une part, la garder, et, d’autre part, la restituer.
En l’espèce, Maître Pascal Dufour avait ainsi l’obligation de garder la copie du manuscrit et du contrat d’édition daté de 1836 qui avaient été remis à ses prédécesseurs et devait, par ailleurs, les restituer. Ainsi, les Dufour n’ont jamais été que les dépositaires du manuscrit; la propriété du bien ne leur a jamais été transférée. L’interdiction de la vente était donc ici, pleinement justifiée. Un appel fut formé par le prévenu.
La cour d’appel de Paris saisie du litige a confirmé, en 2016, la décision du tribunal correctionnel. La cour d’appel a notamment estimé que l’expression « laisser les autres » (feuillets), figurant dans le procès-verbal précité, ne suffisait pas à caractériser une donation[2] et a donc confirmé la condamnation du notaire à une amende de 25.000 euros. Par ailleurs, faute de pouvoir identifier le réel propriétaire du manuscrit parmi les héritiers de l’auteur, la cour d’appel n’a pas pu ordonner la restitution du manuscrit, toujours sous scellé à la BNF.
L’appelant s’est ensuite pourvu en cassation et son pourvoi a été rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 30 janvier 2018. La Cour de cassation n’est pas entrée dans le subtil débat sémantique autour de l’expression « laisser les autres », sur laquelle reposait l’argumentation du notaire.
Comme l’explique la haute Cour, elle s’en tient à la seule appréciation du raisonnement opéré par la cour d’appel. Comme en atteste l’attendu de principe de la Cour « en l’état de ces énonciations, et dès lors que, d’une part, la détermination par les juges du fond de la nature du contrat en vertu duquel la chose a été remise, échappe au contrôle de la Cour de cassation, lorsque celle-ci résulte, non d’une dénaturation du contrat invoqué mais, comme en l’espèce, d’une interprétation de ses clauses, appuyée par d’autres pièces venant en éclairer ou préciser la portée et fondée sur une appréciation souveraine de la volonté des parties ».
Autrement dit, la Cour de cassation ne pouvait restituer l’exacte qualification du contrat que si celle proposée par les juges résultait d’une dénaturation et non d’un travail d’interprétation. Un tel travail relevait, en effet, du pouvoir souverain d’appréciation des juridictions du fond[3]. En l’espèce, la cour d’appel avait donc toute la liberté pour estimer que le notaire devait bien être qualifié de simple dépositaire du manuscrit.
Par Arthur Frydman
Stagiaire du cabinet entre octobre 2017 et avril 2018
[1] Cass. crim., 31 janv. 2018, no 17-80.049, JurisData no 2018-000974.
[2] CA Paris, pôle 5, ch., 12, 13 déc. 2016.
[3] Cass. crim., 12 déc. 1972, no 72-92.318, Bull. crim. no 385.