Contrat d’édition et participation financière de l’auteur
Article publié le 15 avril 2024
L’édition littéraire connaît trois grandes figures contractuelles, impliquant selon l’hypothèse envisagée un investissement plus ou moins important de l’auteur dans l’économie de la production, de la fabrication et de la distribution de l’ouvrage considéré. Ainsi, le Code de la propriété intellectuelle envisage tour à tour le contrat d’édition (article L. 132-1), le contrat dit à compte d’auteur (article L. 132-2) et le contrat dit de compte à demi (article L. 132-3). À seul titre d’illustration, la figure du contrat à compte d’auteur fait de l’éditeur un simple prestataire de service au bénéfice de l’auteur, ce dernier prenant seul le risque de l’opération attachée à la fabrication et à la diffusion du livre. En d’autres termes, seul l’auteur prend en charge les frais de fabrication, de diffusion, ainsi que tous les frais inhérents à la publication et à l’exploitation de l’œuvre considérée. L’éditeur, quant à lui, n’a aucun engagement quant à la promotion de l’ouvrage, à moins qu’il n’en ait été décidé contractuellement autrement, et ne bénéficie donc pas de droits d’exploitation. Mais depuis quelques années, des schémas hybrides apparaissent par le recours à plusieurs contrats successifs entre les sociétés d’édition et les auteurs, afin d’assurer le financement de l’entreprise éditoriale, financement qui peut également reposer en partie sur l’implication du public par le biais d’un financement participatif, également dénommé crowdfunding.
C’est cette hypothèse que le Tribunal judiciaire de Paris a pu envisager, le 1er mars 2024, à l’occasion d’un contentieux initié par un auteur à l’encontre d’une maison d’édition avec laquelle il avait signé deux contrats distincts concernant un seul et même livre. Le premier étant un contrat d’édition et le second, postérieur d’un an, consistant en un contrat garantissant le financement de l’ouvrage en cas d’échec partiel ou total du recours au crowdfunding.
Deux contrats successifs : édition et garantie de financement
Plus précisément, la société d’édition et l’auteur avaient signé un premier contrat, le 21 avril 2014, au terme duquel l’éditeurs’était engagé à éditer au moins 1.500 exemplaires d’un livre intitulé « 2-3-4 roues - le Grand prix de Picardie 1913 » et ce, au plus tard le 30 juin 2014. L’auteur devait au terme du même contrat percevoir 3,5% du prix hors taxes des livres vendus en contrepartie de la cession de ses droits d’auteur. Ce premier contrat présentait ainsi toutes les caractéristiques habituelles d’un contrat d’édition.
Dans un deuxième temps, et par contrat du 21 avril 2015, l’auteur s’était engagé à garantir la société d’édition du succès d’une souscription lancée pour financer l’édition en lui payant la somme de 40.000 euros hors taxes en deux versements égaux, l’un à la signature et le deuxième à la parution du livre. L’éditeur facturait alors le 27 avril 2015 20.019,55 euros à l’auteur, la facture correspondant à 308 exemplaires de l’ouvrage, puis le même montant pour le même objet le 21 décembre 2015. L’auteur payait 20.000 euros le 4 mai 2015, 10.000 euros le 27 décembre 2015 et 10.911,63 euros le 11 mai 2017. Pour autant, si livre était bien tiré à 1.500 exemplaires, sa diffusion ne débuta que le 1er juin 2017.
Un second contrat frappé de nullité ?
L’auteur décida finalement d’assigner la maison d’édition en août 2021 afin de tenter d’obtenir, sur le fondement d’un vice du consentement, ici l’erreur, la nullité du contrat de garantie de financement, daté du 21 avril 2015. L’idée poursuivie visait ici à obtenir la reconnaissance judiciaire de la nullité du contrat, dont la conséquence première est l’anéantissement rétroactif de celui-ci et dont la conséquence seconde est la mise en œuvre d’un jeu de restitutions réciproques. En pareille hypothèse, la maison d’édition devrait alors restituer à l’auteur les sommes versées par ce dernier.
L’auteur semblait ainsi poursuivre la même velléité que l’un de ses confrères qui avait tenté d’obtenir devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence la nullité d’un contrat hybride signé par ses soins et qui mettait à la charge de l’auteur une participation financière aux frais d’édition et comportait des clauses types présentes dans le modèle de contrat d’édition établi par le Syndicat National de l’Édition. Mais dans son arrêt du 3 février 2004, la Cour d’appel avait considéré que la seule rémunération accordée par l’auteur à l’éditeur ne suffisait pas à requalifier un contrat d’édition en contrat dit à compte d’auteur.
Un contrat sans effet sur le contrat d’édition
En premier lieu, le Tribunal judiciaire de Paris rappelle une partie des termes du contrat attaqué. À cet égard, le contrat garantissant le financement de l’ouvrage prévoyait que « cet ouvrage doit faire l’objet d’une parution en octobre-novembre 2015 partiellement financée par une souscription de 40.000 euros. Compte-tenu de l’aléa lié au régime de la souscription, les parties sont convenues [...] ce qui suit : Les souscripteurs verseront les fonds entre les mains des éditions [C] [O] avant la parution en octobre-novembre 2015. Au regard de l’engagement éditorial, et du caractère aléatoire de la souscription, Monsieur [Z] [L] [S] s’engage à garantir les éditions TUM/[C] [O] quel que soit le résultat de la souscription à concurrence de la somme de 40.000 (vingt mille [sic]) euros HT qui seront versés de la façon suivante : - 20.000 euros HT à la signature de la présente convention -20.000 HT euros à la parution de l’ouvrage. Les souscriptions reçues viendront en déduction de cette garantie ».
Une fois le cadre contractuel rappelé, le Tribunal retient, en second lieu, que « ce contrat stipule de façon claire et explicite que l’éditeur a eu recours à une souscription pour financer l’édition de l’ouvrage et que l’auteur a garanti le résultat de cette souscription à concurrence de la somme de 40.000 euros ». Et surtout, le second contrat, celui du 21 avril 2015, « n’a aucunement pour effet de transformer le contrat d’édition du 21 avril 2014 en contrat d’édition à compte d’auteur, quand bien même il met potentiellement à la charge de l’auteur tout ou partie des coûts de l’édition du livre, dont le montant n’est pas indiqué par la société » d’édition. En d’autres termes, le financement total ou partiel des coûts de l’édition par un auteur, qu’il soit garanti au moment de la conclusion du contrat ou a posteriori de celle-ci, n’emporte pas une requalification de la relation contractuelle en contrat dit à compte d’auteur et corrélativement, les conséquences qui s’infèrent d’une telle qualification.
À cet égard, l’article L. 132-1 du Code de la propriété intellectuelle relatif au contrat d’édition n’envisage pas comme condition essentielle de qualification la prise en charge exclusive par l’éditeur des frais inhérents à l’édition de l’ouvrage considéré. Les parties semblent donc bien pouvoir potentiellement moduler à leur gré la répartition de tels frais, sans que la qualification de leur relation contractuelle n’en soit modifiée. C’est ainsi que doit être lue la décision rendue par le Tribunal judiciaire de Paris qui relève qu’aucune erreur sur la substance du contrat ne peut être revendiquée par l’auteur, celui-ci étant parfaitement informé des conditions de l’édition de son livre. Et si le libellé des factures attachées au contrat du 21 avril 2015 pouvait « éventuellement générer une confusion pour leur destinataire », dès lors qu’elles visaient la vente de 308 exemplaires du livre, non encore imprimés, cette mauvaise rédaction ne saurait en elle-même avoir pu laisser l’auteur se méprendre sur la portée des engagements respectifs des parties.
Un contrat de garantie de financement non respecté
Le contrat du 21 avril 2015 n’étant pas annulé par le Tribunal judiciaire de Paris, ce dernier restitue néanmoins au contrat de participation financière l’intégralité de ses effets. Ainsi, et dans le cadre des débats judiciaires, la maison d’édition avait pu reconnaitre avoir perçu à l’occasion de la souscription publique (par le biais d’une opération de crowdfunding) la somme de 1.347,28 euros. Conformément au contrat de garantie de financement, cette somme aurait dû être déduite de la garantie consentie par l’auteur et, puisque ce dernier avait avancé le financement sollicité, la somme issue de la campagne de financement participative doit lui être dûment restituée.
Réflexions sur le contrat avec participation financière de l’auteur
Le contrat avec participation financière de l’auteur peut prendre plusieurs formes. Il peut être inclus au sein du contrat d’édition lui-même ou consister en un contrat annexe, signé de manière concomitante ou postérieurement à la conclusion du contrat principal. À cette multiplicité de formes répond une certaine hybridation, puisqu’il s’agit de manière générale d’un contrat d’édition littéraire habituel, au terme duquel l’éditeur s’engage à fabriquer et à commercialiser le livre considéré, mais qui comporte une clause ou une annexe faisant référence à une prise en charge financière de la part de l’auteur d’un ou de plusieurs postes de dépenses ou imposant un complément de financement sans fléchage particulier.
Cette participation financière peut elle-même consister, ainsi que s’en fait l’écho la présente décision, en une garantie du succès escompté d’une campagne de financement participative. Elle peut, plus classiquement, également consister en l’obligation d’acquisition par l’auteur d’un nombre important d’exemplaires de l’ouvrage, pratique dont se faisaient ici l’écho les factures de l’éditeur. Elle peut encore consister en une obligation de prendre financièrement en charge des frais habituellement supportés par toute maison d’édition, tels que les frais de correction du manuscrit, d’illustration de l’ouvrage ou encore de promotion du livre. Une attention particulière doit être portée par les auteurs aux contours de leur engagement au titre de la participation financière à la fabrication et à la diffusion de leur livre, afin que la promesse d’une aventure littéraire ne s’abime pas en une aventure judiciaire.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition littéraire, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains, des auteurs de bande dessinée et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs. Notre Cabinet d’Avocats intervient dans la défense des droits des auteurs aussi bien en France qu’en Belgique (Bruxelles).