Absence de responsabilité personnelle du directeur d’une galerie d’art
Article publié le 8 février 2024
Un acheteur avait acquis, en novembre 1996, pour près de 200.000 dollars un bronze présenté comme un exemplaire du Penseur d’Auguste Rodin par une galerie d’art. La vente de l’œuvre était accompagnée à l’époque d’un certificat d’authenticité d’un expert tiers, confortant l’authenticité de l’œuvre et indiquant qu’il s’agissait d’une épreuve ancienne, réalisée autour de 1900. Mais le collectionneur soumit en 2012, soit seize ans après son acquisition, l’œuvre au Comité Rodin qui déclara que l’exemplaire qui lui était soumis pour expertise constituait en réalité une contrefaçon.
Le collectionneur tenta alors d’engager la responsabilité délictuelle personnelle du directeur de la galerie d’art – et non de la société venderesse – et celle de l’expert ayant délivré le certificat d’authenticité, sollicitant à l’encontre de ces deux professionnels le prix d’achat de l’œuvre à titre de préjudice matériel subi et la perte de chance d’avoir une œuvre dont la valeur aurait été « considérablement appréciée » aujourd’hui (soit plus de cinq millions d’euros). Ainsi, et de manière étonnante, le collectionneur n’avait pas attrait à la cause la galerie d’art, que ce soit sur le fondement de l’action en nullité ou sur celle de l’action en responsabilité contractuelle. Aucune demande indemnitaire n’était ainsi formée à l’encontre de l’ancien cocontractant du collectionneur, celui-ci ayant décidé de poursuivre judiciairement le dirigeant de la galerie et l’expert ayant délivré le certificat d’authenticité ayant accompagné la vente du bronze.
En première instance, le Tribunal avait retenu que l’acquéreur lésé ne rapportait pas la preuve d’une manœuvre ou encore d’une faute du directeur de la galerie qui aurait été détachable de ses fonctions au sein de la société et qui aurait alors été de nature à engager sa responsabilité personnelle. Au terme de sa décision du 23 janvier 2024[1], la Cour d’appel de Paris conforte cette analyse et rejette toute indemnisation qui aurait pu être due à titre personnel par le dirigeant de la galerie, après avoir reconnu que l’action n’était pas prescrite.
Intérêt à agir vs faute détachable des fonctions
Si l’acquéreur a bien intérêt à agir à l’encontre du directeur de la galerie, dès lors que celui-ci fut l’un de ses interlocuteurs à l’époque de la vente litigieuse, le bien-fondé de son action est en revanche contesté par la Cour d’appel. En effet, l’article L. 225-251 du Code de commerce précise que « les administrateurs et le directeur général sont responsables, individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou règlementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ». Afin de pouvoir justifier du bien-fondé de son action engagée à l’égard du directeur de la galerie à titre personnel, l’acquéreur doit ainsi rapporter la preuve d'une faute de ce dernier, faute qui doit être personnelle et détachable de ses fonctions de directeur délégué.
Or, selon la Cour, aucune faute personnelle n’est établie à l’encontre du dirigeant. En effet, la vente du bronze a été réalisée au regard d’un certificat d’authenticité établi par un expert tiers pour l’occasion, ledit expert étant reconnu, et qu’à la date de la vente aucun élément ne permettait de remettre en cause l’attribution de l’œuvre, d’autant que le directeur d’un musée étranger avait signalé l’œuvre au collectionneur comme étant d’une « qualité exceptionnelle ». Quant au fait que la fiche descriptive de l’œuvre avait été établie par le directeur, sur papier à entête de la galerie, un tel fait « est tout aussi inopérante à établir une telle faute ».
Face à l’impossibilité de caractériser la responsabilité délictuelle personnelle du dirigeant social de l’époque, le collectionneur devait corrélativement être débouté de ses demandes indemnitaires formulées à l’encontre du mauvais défendeur.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et avocats en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Paris, pôle 4, ch. 13, 23 janv. 2024, RG no 20/18439.