Décisions de la CNS (3/4) : Recueillir des informations relatives à l’objet et à la nature de la relation d’affaires et d’actualiser ces informations
Article publié le 21 février 2024
Les deux premières décisions de la CNS rendues à l’encontre de galeries d’art et de leurs dirigeants font état de divers manquements aux obligations en matière de LCB-FT, auxquelles sont assujettis certains acteurs du marché de l’art. Le manquement à l’obligation de recueil des informations relatives à l’objet et à la nature de la relation d’affaires, ainsi qu’à l’actualisation desdites informations s’avérait ici caractérisé pour ces deux galeries renvoyées devant la Commission nationale des sanctions.
Une obligation applicable à la seule relation d’affaires
La CNS se fonde sur les dispositions du Code monétaire et financier et notamment sur l’article L. 561-5-1, lequel dispose que les entités assujetties doivent recueillir « les informations relatives à l’objet et à la nature de cette relation et tout autre élément d'information pertinent » et ce, « avant d’entrer en relation d’affaires ». Par ailleurs, l’entité assujettie doit veiller à actualiser de telles données « toute la durée de la relation d’affaires ». L’entité assujettie du marché de l’art, qu’elle consiste en une galerie d’art, un antiquaire ou encore une maison de ventes, doit appliquer uniquement une telle obligation à la seule relation d’affaires. Celle-ci s’entend d’une relation ayant vocation à s’inscrire dans une certaine durée ou prévoyant plusieurs opérations successives ou, encore, créant des obligations continues. À l’inverse, une telle obligation ne s’applique pas pour le client occasionnel, dont la relation avec le professionnel est ponctuelle.
Une obligation fonction du risque identifié
La CNS rappelle que, conformément aux dispositions de l’article R. 561-12 du Code monétaire et financier, cette obligation et la vigilance qui s’en infère s’apprécie en fonction du niveau de risque identifié et ce, conformément à la cartographie des risques établie en interne.
L’objet et la nature de la relation d’affaires
Les notions d’ « objet » et de « nature » de la relation d’affaires ne semblent faire l’objet d’aucune définition légale ou jurisprudentielle. Dès lors, de telles notions doivent être expressément identifiées par les acteurs du marché de l’art assujettis au sein de leur protocole interne. Un arrêté précise les éléments d’information « susceptibles d’être recueillis », qui ne présentent pas, en principe, un caractère obligatoire. Il s’agit notamment du montant et de la nature des opérations, de la provenance et de la destination des fonds, de l’activité professionnelle, etc. Au terme des deux premières décisions concernant des acteurs du marché de l’art, la Commission nationale des sanctions n’a pas procédé à la définition de ces notions mais il apparaît, à la lecture de ces décisions, qu’elle exige des entités du marché de l’art assujetties qu’elles recueillent les informations susvisées.
Les manquements constatés
Il était fait grief à la première galerie de ne pas avoir détecté des « informations négatives » en lien avec des paradis fiscaux, informations relatives à un client, alors que, selon la CNS, de telles informations étaient facilement accessibles et disponibles au jour du contrôle. En effet, le client considéré avait été mis en cause dans le cadre d’une enquête internationale qui avait été relatée publiquement par voie de presse. Par ailleurs, il lui était également reproché de ne pas avoir été en capacité de présenter des documents relatifs à l’origine ou à la destination des œuvres ou en lien avec leur entrée ou leur sortie du territoire national. Enfin, l’absence de vérifications nécessaires impliquant un pays tiers à haut risque était constatée.
Le manquement à cette obligation légale est caractérisé, pour la seconde galerie, dans le cadre d’un achat-vente croisé, dès lors qu’elle n’a pas procédé aux vérifications relatives à l’objet de l’opération, aux modalités de règlement, au lien existant entre la personne physique ayant acquis l’œuvre mentionnée sur la facture et la société panaméenne ayant versé les fonds, à la provenance des fonds et, enfin, à l’identité de l’acquéreur réel. En outre, il lui était également reproché de ne pas avoir procédé à la vérification de l’activité professionnelle et de la situation financière d’un acquéreur hongkongais de 29 ans ayant fait l’acquisition d’une œuvre pour un montant de 175.000 euros par l’intermédiaire d’une plateforme numérique.
Des moyens de défense inopérants
La première galerie invoquait procéder à une vérification de la notoriété du client sur Internet, à moins qu’il ne s’agisse d’un client connu dans le cadre de « relations d’affaires, recommandation d’un confrère ». Pareille tentative de défense est écartée par la CNS, laquelle considère que cette manière de procéder ne permet pas d’actualiser la connaissance de la relation d’affaires. La seconde galerie faisait valoir l’intermédiation d’un établissement bancaire dans les transactions litigieuses, dès lors qu’un tel établissement est également assujetti auxdites obligations en matière de LCB-FT. Cet argument n’est pas non plus accueilli par la CNS, laquelle considère que chaque entité doit mettre en œuvre des mesures propres et adaptées au risque identifié. Par ailleurs, la présence d’un courtier dans la transaction ne peut pas exonérer l’entité assujettie du respect de ses obligations, laquelle aurait dû procéder à des recherches, « mêmes infructueuses », sur la connaissance de l’objet et de la nature de la relation d’affaires. Une telle justification n’est pas sans rappeler la faculté octroyée par le Code monétaire et financier de recourir à un tiers introducteur, à savoir un tiers à qui peut être confié le recueil des informations quant à l’objet et à la nature de la relation d’affaires. Pour autant, une telle faculté est accordée à seulement certaines entités, dont ne font pas partie les acteurs du marché de l’art. En tout état de cause, l’entité ayant recours à un tiers introducteur demeure responsable en cas de manquements aux obligations en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
Une application aux clients occasionnels ?
La lecture de ces deux décisions laisse poindre une certaine interrogation, si ce n’est une crainte, dès lors que n’était pas ici clairement identifiée l’existence de relation d’affaires. La CNS fait état de « transactions » afin de caractériser les manquements et use d’une terminologie imprécise, à savoir « clientèle » ou « client », ne permettant pas de s’assurer expressément que seules les relations d’affaires étaient bien concernées en l’espèce. À titre illustratif, la transaction réalisée avec l’acquéreur hongkongais par l’intermédiaire d’une plateforme numérique n’apparaît pas, sous réserve d’autres éléments non précisés au sein de la décision, comme correspondant à la définition de la relation d’affaires. Une telle distinction n’est pas sans conséquence, dès lors que le client occasionnel n’est pas concerné par cette obligation légale. Appliquer une telle obligation à cette clientèle ponctuelle soulèverait donc un certain nombre de difficultés pour les entités assujetties du marché de l’art. Pour autant, il est vrai que la mise en œuvre d’un examen renforcé ou de mesures complémentaires doit être effective en présence de certains critères tels qu’un lien avec un pays tiers à haut risque ou le montant anormal de la transaction. En pareille situation, le recueil de certaines informations et leur vérification s’avère obligatoire et s’applique quelle que soit la nature de la relation avec le client.
Une clarification semble ainsi s’imposer, afin qu’une telle obligation ne soit pas étendue à l’ensemble de la clientèle des antiquaires, marchands, galeristes et maisons de ventes.
Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.