Décisions de la CNS (4/4) : Divers manquements caractérisés à l’encontre des galeries d’art
Article publié le 12 mars 2024
Les deux premières décisions de la Commission Nationale des Sanctions (CNS) rendues à l’encontre d’acteurs du marché de l’art assujettis aux obligations en matière de LCB-FT permettent de dresser les premières attentes de cette autorité de sanction en la matière. Ces décisions mettent en exergue les catégories de manquements susceptibles d’être sanctionnés par cette autorité. Outre l’obligation de disposer d’un protocole interne cartographiant les risques propres à l’activité de l’acteur du marché de l’art, d’identifier et de vérifier l’identité de certaines catégories de clients et de recueillir des informations relatives à l’objet et à la nature de la relation d’affaires, d’autres obligations sont également soulevées par la CNS, lesquelles méritent un éclairage particulier.
Renforcer l’intensité des mesures légalement prévues ou procéder à un examen renforcé
Une seule des deux décisions mentionne la caractérisation d’un tel manquement. Celui-ci est fondé sur les dispositions du Code monétaire et financier relatives à la nécessité (i) de mettre en œuvre des mesures de vigilance renforcées ou (ii) de procéder à un examen renforcé.
Une première remarque s’impose dès lors que ces deux notions doivent être distinguées. En effet, la nécessité de mettre en œuvre des mesures de vigilance renforcées est applicable à la seule relation d’affaires et tout au long de celle-ci. A contrario, l’examen renforcé s’applique tant au client occasionnel qu’à celui lié par une relation d’affaires et vaut lorsqu’est rencontrée une situation légalement définie et pouvant correspondre à quatre situations différentes. Celles-ci consistent en une « opération particulièrement complexe ou d’un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite ».
Pourtant, bien que la CNS fasse état de ces deux mesures de manière indifférenciée, seule celle relative à l’examen renforcé semble être appliquée par l’autorité. En effet, une unique transaction est ciblée au sein de la décision. Cette transaction correspondait ici à la vente d’une œuvre d’art à un montant de 150.000 euros à un acquéreur identifié, de manière négative, comme ayant des liens avec des paradis fiscaux. Il semble que la CNS fasse application des mesures relatives à l’examen renforcé, impliquant corrélativement l’obligation pour la galerie d’art de se renseigner auprès du client sur l’origine des fonds devant servir au paiement de l’œuvre.
La CNS ne fait pourtant aucunement mention de la nécessité, en pareille situation, de se renseigner sur l’objet de l’opération, nécessité également prévue par les textes. Il est également surprenant que la CNS passe sous silence l’obligation légale de mettre en œuvre des mesures de vigilance complémentaires en cas de lien avec un pays tiers présentant des risques en matière de LCB-FT. Une clarification semble alors s’imposer entre ces différentes mesures et examens, dès lors que les conséquences qui s’en infèrent ne sont pas identiques.
L’obligation de conservation des documents pendant une durée de cinq ans
Là encore, seule une des deux galeries était poursuivie en raison d’un manquement relatif à l’obligation de conservation des documents et informations relatifs aux clients liés par une relation d’affaires ou les clients occasionnels et ce, pendant une durée de cinq ans à compter de la clôture des comptes ou de la cessation des relations.
Il en va de même pour la conservation des mesures de vigilance mises en œuvre dans le cadre des obligations en matière de blanchiment et de financement du terrorisme.
Pour sa défense, la galerie d’art avait invoqué, face à l’absence de détention de documents tenant à l’identité des clients, une « négligence dans la conservation des documents ». Dès lors, le manquement à une telle obligation ne pouvait qu’être caractérisé selon l’autorité de sanction.
Le manquement à l’obligation de formation régulière du personnel et de mise en place de toutes action de formation utile sur les obligations en matière de LCB-FT
L’absence de formation régulière du personnel et de la mise en place d’actions de formation constitue un manquement soulevé et caractérisé à l’encontre des deux galeries d’art. En effet, les acteurs du marché de l’art assujettis, qu’ils soient opérateurs de ventes aux enchères, galeries d’art, etc., sont tenus à une obligation légale de mettre en œuvre de telles actions, afin de sensibiliser et de former leur personnel aux obligations en la matière.
S’agissant de la première galerie d’art, il était notamment fait état de l’absence de réelle formation au jour du contrôle. Une simple sensibilisation orale et informelle des salariés, celle-ci n’étant pas documentée, et des connaissances imparfaites en la matière de la part du président de la société ne pouvaient satisfaire l’autorité de sanction.
Quant à la seconde galerie, ses dirigeants avaient admis ne pas avoir effectué de formations spécifiques mais avaient précisé, postérieurement au contrôle, qu’une formation obligatoire Tracfin serait mise en œuvre, sans apporter la moindre documentation quant à celle-ci.
Il convient de relever que, dans ces deux décisions, la CNS observe des lacunes en matière de formation tant pour le personnel que pour les dirigeants alors que seule la première catégorie est expressément visée au sein des dispositions légales.
L’application des sanctions à l’égard des deux galeries d’art
Les deux galeries et leurs dirigeants écopent d’une sanction administrative, à savoir une interdiction temporaire d’exercice avec sursis d’une durée de six mois et d’une sanction financière. Alors que le nombre de manquements caractérisés est plus important en ce qui concernait la première galerie d’art, la sanction financière prononcée à son encontre est moindre que celle retenue à l’encontre de la seconde galerie d’art. Soit respectivement 30.000 euros contre 10.000 euros.
Cette différence apparente de traitement pourrait trouver une justification par la lecture du considérant de la seconde décision. Ici, la CNS a considéré que « certains manquements reprochés sont, au regard de leur nature, constitutifs de graves défaillances » pouvant tenir, semble-t-il, au recueil d’informations relatives à l’objet et à la nature de la relation d’affaires, bien que l’analyse et l’appréciation de la CNS puissent être soumises à certaines réserves sur ce point. En tout état de cause, ces amendes forfaitaires ne précisent pas l’incidence des différents manquements caractérisés par la CNS. Les dirigeants des galeries d’art sont également sanctionnés à titre personnel, dès lors qu’ils étaient responsables de la mise en œuvre du dispositif de LCB-FT.
La caractérisation des manquements étant appréciée au jour du contrôle opéré par les douanes, il s’avère plus qu’opportun de se faire assister en pareille situation, afin d’être apte à démontrer les mesures mises en œuvre dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En tout état de cause, les informations et éléments fournis a posteriori peuvent avoir une incidence sur le quantum de la sanction.
Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.