Harmonisation européenne et durcissement des règles à venir en matière de LCB-FT
Article publié le 1er février 2024
Le 18 janvier 2024 la conclusion d’un accord provisoire entre le Conseil et le Parlement européen quant à l’édiction de règles en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) a été annoncée. Le processus visant à imposer de nouvelles règles encore plus contraignantes aux professionnels du secteur avait été initié dès 2021, avec pour objectif de renforcer et d’harmoniser les dispositions dans ce domaine.
À l’heure actuelle, les règles européennes en matière de LCB-FT sont régies par la cinquième directive anti-blanchiment, laquelle a été transposée de manière inégale au sein des États membres de l’Union européenne. La proposition d’un règlement européen de LCB-FT vise à harmoniser les règles lesquelles s’appliqueront de manière uniforme au sein des États membres. En sus d’un tel règlement, une sixième directive devrait également être adoptée avec pour objectif de prévoir un corpus de règles au niveau national relatif à l’organisation des systèmes institutionnels de LCB-FT.
Le contenu du règlement, tel qu’il ressort de l’accord provisoire aujourd’hui connu, mérite un certain éclairage, notamment en ce qui a trait aux acteurs du marché de l’art.
Les entités assujetties
L’accord provisoire énonce que deviendront des entités assujetties « les négociants de produits de luxe […] les négociants de voitures de luxe, d’avions et de yachts, ainsi que de biens culturels (tels que les œuvres d’art) ». La cinquième directive assujettit déjà aux obligations en la matière « les personnes qui négocient des œuvres d’art ou agissent en qualité d’intermédiaires dans le commerce des œuvres d’art » (comprenant notamment les galeries d’art et les maisons de vente aux enchères) et « les personnes qui entreposent ou négocient des œuvres d’art ou agissent en qualité d’intermédiaires dans le commerce des œuvres d’art quand celui-ci est réalisé dans des ports francs », sous réserve de satisfaire un seuil financier de 10.000 euros. Il semblerait que le règlement ait vocation à intégrer « les biens culturels » alors que la directive fait mention d’ « œuvres d’art ». Il est possible qu’un tel changement de terminologie ait un rapport avec l’absence de définition harmonisée de la notion même d’œuvre d’art, celle de « bien culturel » pouvant faire référence aux textes européens et présentant ainsi une plus grande efficacité terminologique.
Le seuil du paiement en espèces
L’accord provisoire prévoit la fixation du seuil maximal du paiement en espèces à hauteur de 10.000 euros à l’échelle européenne. Cela ne sera pas sans conséquence pour les entités assujetties françaises, lesquelles peuvent actuellement accepter le règlement d’une créance en espèces à hauteur de 15.000 euros lorsque le débiteur est un non-commerçant et dont le domicile fiscal n’est pas établi en France. Cette proposition est bien loin du seuil maximum belge de règlement des espèces, à savoir 3.000 euros et ce, quel que soit le lieu d’établissement du débiteur ou la nature de l’activité en cause.
L’obligation d’identification et de vérification du client occasionnel
Les dispositions légales actuelles françaises et belges mettent à la charge de l’entité assujettie une obligation d’identification et de vérification de l’identité du client occasionnel, c’est-à-dire celui qui agit dans le cadre d’une opération ponctuelle sans volonté de fidélisation, sous réserve de satisfaire à certaines conditions. En droit français, le seuil est de 10.000 euros lorsqu’une opération ou une série d’opérations liées est réglée en espèces et de 15.000 euros dans le cadre d’un règlement avec un autre moyen de paiement. Le droit belge ne distingue pas les modalités de paiement et applique de manière indifférencié le seuil de 10.000 euros. L’accord provisoire prévoit un abaissement du seuil à 3.000 euros lorsque le paiement est effectué en espèces. Un tel abaissement pourrait s’avérer particulièrement contraignant pour les acteurs du marché de l’art dès lors que le champ d’application des obligations d’identification et de vérification serait particulièrement élargi.
Les pays tiers à haut risque
L’accord provisoire prévoit de mettre en œuvre des mesures de vigilance renforcée lorsque l’opération a un lien avec un pays tiers à haut risque et ce, quel que soit le client. De telles mesures pourraient nécessiter de solliciter des renseignements ou d’autres documents probants supplémentaires. Pour autant, des mesures de vigilance dite complémentaire doivent d’ores et déjà être mises en œuvre en présence d’une telle opération, que ce soit en France ou en Belgique.
La notion de bénéficiaire effectif
L’accord évoque également une harmonisation de la qualification de « bénéficiaire effectif », entendu comme la personne physique qui contrôle directement ou indirectement une société. Celui-ci s’apprécie ainsi en fonction d’un seuil de détention de 25% de la propriété ou du contrôle de la société. Les lois françaises et belges prévoient d’ores et déjà, en sus d’autres critères, un seuil de 25% des droits de vote, des actions ou du capital afin d’apprécier la présence d’un bénéficiaire effectif.
Cet accord provisoire doit, avant d’entrer en vigueur, être officiellement adopté par le Conseil et le Parlement européen. Son contenu, notamment en ce qui a trait au règlement, s’avère particulièrement contraignant pour les acteurs du marché de l’art et nécessite pour ces derniers de se mettre en conformité avec les obligations qui sont les leurs en la matière.
Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.