Le caractère inexcusable de l’erreur des vendeurs d’un masque Fang millionnaire
Article publié le 5 février 2024
Un masque africain rétabli comme chef d’œuvre Fang, un achat à 150 euros pour une revente à 4,2 millions d’euros, un couple désorienté face à un brocanteur ayant réussi le « casse du siècle », tous les éléments étaient réunis afin que la presse prenne fait et cause pour des vendeurs souvent décrits comme floués. Mais le Tribunal judiciaire d’Alès a refusé, le 19 décembre 2023, d’annuler la vente en raison de l’erreur inexcusable des vendeurs bien que la description de l’objet litigieux s’avérait inexacte lors de la transaction judiciairement attaquée. Cette décision de première instance peut apparaître comme une sanction à l’encontre des vendeurs. Et tel est bien le cas. Ces derniers auraient dû douter, faire appel à la mémoire familiale et se renseigner davantage sur les conditions dans lesquelles l’objet avait intégré leur résidence secondaire avant d’être délaissé et oublié, puis vendu à un prix dorénavant considéré comme dérisoire.
Décrit au sein de la facture établie par le brocanteur en 2021 comme « un masque africain avec rafia troué à restaurer, boucle d’oreille en tissu rouge, hauteur 54 cm », l’objet n’avait pas été dûment présenté comme un « authentique masque Fang présentant un intérêt majeur pour l’histoire de l’art », puisqu’il n’existerait qu’une petite dizaine d’autres spécimens de référence connus dans le monde. En ce sens, les vendeurs s’étaient bien fait une représentation inexacte des qualités essentielles de l’objet, ce dernier n’étant pas qu’un simple masque d’origine africaine selon le Tribunal judiciaire.
Pour autant, cette distorsion entre la croyance d’une partie au moment de la conclusion d’un contrat et la réalité judiciairement constatée ne suffit pas en elle-même à accueillir judiciairement l’existence d’une erreur sur des qualités essentielles qui auraient été déterminantes du consentement. L’article 1132 du Code civil ajoute à ces deux conditions une condition complémentaire, celle du caractère excusable de l’erreur. Et ce n’est pas tant la qualité professionnelle d’une personne qui commande le caractère inexcusable de l’erreur qu’elle peut commettre, mais biens les circonstances entourant son intervention à un acte juridique. Si les anciens propriétaires n’avaient aucune connaissance en matière d’histoire de l’art, et plus particulièrement sur les masques Fang, ils avaient néanmoins connaissance de la présence d’objets africains au sein de leur résidence secondaire et surtout du fait que ces objets avaient été rapportés par l’ancêtre de l’un des époux, ancien lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo de 1917 à 1919.
L’intégralité de l’article est à retrouver dans l’édition française de février 2024 de The Art Newspaper.
Si la portée de cette décision peut être renversée en cause d’appel, le jugement du Tribunal d’Alès invite néanmoins tout propriétaire d’une œuvre d’art à mettre en œuvre toutes les diligences possibles lorsque l’histoire et la tradition familiales entourent l’objet proposé à la vente d’une aura informationnelle particulière.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires de justice) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Le Cabinet accompagne également des collectionneurs (acheteurs ou vendeurs) dans la défense de leurs droits. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).