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L’utilisation d’œuvres protégées par les intelligences artificielles

Les intelligences artificielles dites génératives se définissent comme des logiciels développés au moyen de l’apprentissage automatique générant des résultats selon les instructions données par un être humain, donnant lieu sous certaines conditions, à une œuvre protégée par le droit d’auteur. Ces intelligences artificielles se sont démocratisées comme le démontre la pluralité d’algorithmes disponibles gratuitement sur Internet, tels que Midjourney, Chat Gpt, Stable Diffusion, etc. Depuis son lancement en juillet 2022, un contenu généré par Midjourney a remporté un concours artistique et a permis la diffusion de fake news. Ces intelligences artificielles dont l’apprentissage et l’entraînement s’effectuent à partir de contenus accessibles sur Internet et souvent protégés par le droit d’auteur sont source de difficultés.

L’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur pour alimenter les bases de données des intelligences artificielles
Les bases de données des intelligences artificielles sont alimentées par les contenus nouveaux générés par les utilisateurs. En effet, les conditions générales de ces intelligences artificielles précisent que l’utilisateur lui accorde une « licence de droit d’auteur perpétuelle, mondiale, non exclusive, sous-licenciable sans frais, libre de redevance et irrévocable pour reproduire, préparer des œuvres dérivées, afficher publiquement, exécuter publiquement, sous-licencier et distribuer le texte et les images que vous entrez dans les services, ou les actifs produits par le service selon vos instructions »[1]. Toutefois, ces intelligences artificielles s’entraînent selon la méthode dite du machine learning, par l’utilisation de contenus d’ores et déjà mis en ligne sur Internet. Or, les contenus protégés par le droit d’auteur et reproduits sans autorisation au sein des bases de données de ces algorithmes sont en principe constitutifs d’actes de contrefaçon[2]pouvant faire l’objet de sanctions civiles ou pénales.

L’exception de text and data mining en droit européen
Pour autant, les concepteurs d’intelligences artificielles peuvent bénéficier de l’exception de text and data mining introduite par la directive européenne du 17 avril 2019, laquelle a été transposée à l’article L. 122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle français et l’article XI.190, 20° du Code de droit économique belge. Celle-ci permet, dès lors que l’œuvre a été licitement divulguée, sa reproduction aux fins de la fouille de textes et de données, valant donc pour tous les usages, y compris commerciaux. Une seule réserve est posée : l’auteur ne doit pas s’y être opposé au moyen d’un procédé lisible par machine[3], une telle opposition n’ayant pas à être motivée et peut être exprimée par tout moyen[4]. Ce système d’opt out s’avère particulièrement contraignant pour les auteurs dès lors que sa mise en œuvre est particulièrement délicate. L’application d’une telle exception au domaine de l’intelligence artificielle a récemment fait l’objet d’une demande d’information soumise à la Commission européenne par un parlementaire européen, faisant part du « vide juridique » bénéficiant à l’intelligence artificielle et portant « un préjudice économique et moral aux artistes » interrogeant sur la régulation envisagée[5]. La Commission estime que l’exception précitée est pertinente dans le contexte de l’intelligence artificielle, assurant « un équilibre entre deux éléments : protéger les titulaires de droits, notamment les artistes, et faciliter l’exploration de textes et de données, notamment par les développeurs d’IA » concluant à ce que « la création d’œuvres d’art par l’IA ne mérite pas une intervention législative spécifique »[6]. Une telle position apparaît en contradiction avec les propositions formulées récemment par l’Adagp, société française de perception et de répartition des droits des auteurs, d’évoluer vers un système d’opt in dans lequel seules les œuvres dont les auteurs ont expressément autorisé la fouille de données puissent servir à entraîner et alimenter les intelligences artificielles sous réserve d’une compensation équitable due à l’auteur[7].

L’exception de fair use outre-Atlantique
Les actions judiciaires à l’encontre des intelligences artificielles se multiplient outre-Atlantique. En effet, la banque d’images Getty Image a intenté une action à l’encontre de Stable Diffusion, laquelle aurait procédé à l’entraînement de son intelligence artificielle sur sa banque d’images sans bénéficier de son autorisation[8]. Il ne fait guère de doute que les avocats de la défenderesse invoqueront l’application de l’exception du fair use[9], permettant l’utilisation d’œuvres protégées sans autorisation en fonction du cas d’espèce. En tout état de cause, les juges devront prendre en considération (i) le but et la nature de l’utilisation, (ii) la nature de l’œuvre protégée par le droit d’auteur, (iii) la quantité et le caractère substantiel de l’utilisation de l’œuvre protégée et (iv) l’effet de l’utilisation sur la valeur de l’œuvre protégée. Et la récente décision de la Cour Suprême des États-Unis pourrait limiter un tel bénéfice au regard de l’appréhension renouvelée du premier critère de l’exception[10].

Des conditions générales peu respectueuses des droits des auteurs
OpenAi, Stability.ai et Midjourney mettent en place des procédures de signalements des contenus contrefaisants à la disposition des auteurs mais également des utilisateurs[11]. Pour autant, et au-delà de tels dispositifs d’alerte, les intelligences artificielles n’hésitent pas à introduire des clauses d’exclusion de leur responsabilité au sein de leurs conditions générales. Midjourney et Stability.AI tentent de décliner toute responsabilité en cas de contrefaçon et vont jusqu’à limiter leur responsabilité à hauteur de cent dollars. Celles de Crayion mentionnent « vous reconnaissez en outre que les images sont générées à l’aide d’un modèle qui a été formé algorithmiquement en utilisant des ensembles de données publiques ou exclusives. Nous n’acceptons aucune responsabilité ni ne garantissons l’exactitude, l’intégrité, la qualité ou le contenu des images » [12]. La portée de telles clauses est sujette à interrogation au regard du droit français ou belge. 

L’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur disponibles sur Internet afin d’alimenter les intelligences artificielles est source de difficultés pratiques pour les auteurs et semble impliquer une nécessaire révision des dispositions applicables. À cet égard, il est regrettable que l’Ai Act européen tout en instaurant un cadre européen en matière d’intelligence artificielle, reste silencieux sur les droits d’auteur, bien qu’un point notable soit à relever : la consécration d’une obligation de transparence des propriétaires des bases de données des intelligences artificielles, de laquelle s’infère une disposition relative à l’obligation d’information lorsqu’un contenu généré par une intelligence artificielle présente « une ressemblance avec des personnes, des objets, des lieux ou d’autres entités ou événements existants et pouvant être perçus à tort comme authentiques ou véridiques (« hepertrucage ») »[13], afin de mettre un terme à la diffusion de fake news.  

Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, ainsi qu’au droit de l’édition, le Cabinet accompagne ses clients dans l’appréhension juridique des nouvelles technologies à l’instar des nombreuses solutions d’intelligence artificielle disponibles afin de sécuriser leurs droits, notamment en matière de droit d’auteur. Note Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique.

[1] Stability.ai, Website Terms of service, Ownership of Content ; Stability Use of Content ; Midjourney, Terms of Service, 4. Rights You give to Midjourney.
[2] Conformément à l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle et XI.293 du Code de droit économique belge.
[3] Le Code de droit économique belge fait mention de la notion de « réservation ».
[4] Code de la propriété intellectuelle, article R. 122-28.
[5] Question parlementaire – E-000479/2023, Création d’œuvres d’art par l’intelligence artificielle (IA) et droits des artistes, 15 février 2023.
[6] Commission européenne, E-000479/2023, Réponse donnée par M. Breton au nom de la Commission européenne, 31 mars 2023.
[7] Adagp, IA et droit d’auteur : l’Adagp en appelle à une régulation sur trois points, 23 mai 2023.
[8] Getty Images (États-Unis), Inc. v. Stability AI, Inc., 3 févr.  No. 1:23-cv-00135-UNA,  (D. Del. déposé le 3 février 2023).
[9] Copyright Lax of the United States, Title 17, article 107.
[10] Supreme Court of the United States, Andy Warhol Foundation for the visual arts, inc. v. Goldsmith et al., may 18th 2023, no. 21-869.
[11] OpenAI, Terms of use, Art. 9 (d) Copyright Complaints ; Stability.ai, Website Terms of service ; Midjourney, Terms of Service.
[12] Craiyon, Terms of Use, “Indemnity”.
[13] Commission européenne, Règlement du parlement européen et du conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle et modifiant certains actes législatifs de l’union dit Ai Act, article 52.3.