Nullité d’une vente aux enchères de cornes de rhinocéros
En décembre 2014, un couple s’était porté acquéreur en vente aux enchères publiques de deux cornes présentées comme étant des cornes de rhinocéros et ce, pour un prix de près de 25.000 euros, frais compris. Au regard des doutes sur l’authenticité de l’acquisition réalisée, le couple soumettait le lot litigieux à l’expertise d’un vétérinaire et d’un expert en collections zoologiques, entomologiste diplômé du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Ces deux sachants confortèrent les doutes du couple qui assigna en nullité de la vente, sans solliciter en premier lieu une expertise judiciaire. L’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 31 janvier 2023 a fait droit à leurs demandes[1].
Charge de la preuve et modes de preuve
Demandeurs à l’action, les époux devaient supporter la charge de la preuve afin de prouver que les acquises ne provenaient pas d’un rhinocéros. Au soutien de leurs demandes, ils produisaient ainsi deux attestations qui ont été diversement examinées par la Cour.
En premier lieu, les appelants produisaient un « compte-rendu d’examen » réalisé par un expert en collections zoologiques etentomologiste, daté du 20 février 2016, uniquement sur photographie et non en présence physiques des cornes. Pour la Cour, bien que l’examen ait été réalisé uniquement sur photographie, « la comparaison d’une corne de bovidé et d’une corne de rhinocéros permet de distinguer les différences anatomiques entre ces deux types de cornes ». Néanmoins, la Cour d’appel rappelle que « s’il est acquis que le juge ne peut fonder ses décisions sur une seule expertise non contradictoire, celle-ci peut néanmoins être retenue dans la mesure où elle est corroborée par des éléments extrinsèques ». Pareille solution s’inscrit dans la lignée de celle fondée de manière particulièrement claire par la chambre mixte de la Cour de cassation le 28 septembre 2012[2]. Ainsi, l’expertise réalisée, de manière non contradictoire à la demande d’une seule des parties au litige, présente une valeur probante mais ne peut à elle seule fonder la conviction du juge. Une telle expertise doit alors impérativement être complétée par d’autres éléments de preuve propres à conforter son contenu.
C’est pourquoi, les appelants produisaient également une attestation d’un vétérinaire, se présentant comme collectionneur de trophées, qui indiquait que les deux cornes examinées ne provenaient pas d’un rhinocérotidé mais consistent en des étuis cornés d’un bovidé et ce, tout en décrivant les caractéristiques physiques des cornes de rhinocéros. Dès lors que la description des caractéristiques d’une corne de rhinocéros est identique au terme des deux attestations et que cette description ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de la maison de ventes, la Cour s’en saisit pour observer que ces caractéristiques « ne correspondent pas aux photographies produites par toutes les parties, particulièrement s’agissant de la base et de l'intérieur des cornes litigieuses ». Quant au CITES produit en défense par la maison de ventes, la Cour rappelle opportunément que « ce certificat n’a pas pour objet d’authentifier l’objet mais de le dater, certifiant que celui-ci a été acquis antérieurement à la règlementation aujourd'hui en vigueur ».
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence déduit alors « de l’analyse conjuguée des deux professionnels sollicités par les [appelants] et de l'observation des photographies de cornes soumises à la cour que les cornes vendues ne correspondent pas à des cornes de rhinocéros ». Or, les acquéreurs n’auraient pas acheté ces cornes s’ils avaient eu connaissance de ce fait. La vente du 30 décembre 2014 est alors annulée en raison de l’erreur qui portait ici sur la substance même des objets.
Les conséquences de la nullité
Très classiquement, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, une fois l’erreur sur la substance retenue, prononce donc la nullité de la vente aux enchères publiques, nullité qui emporte un jeu de restitutions réciproques afin de replacer les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant que la vente ne soit conclue. C’est ainsi que le vendeur a été condamné à restituer à l’un seul des deux époux – dont seul le nom figurait sur la facture – le prix de la vente, soit 19.500 euros. En effet, dès lors que le commissaire-priseur – ou plutôt la maison de ventes – n’a perçu in fine le prix, celui-ci ne peut être condamné à restituer à l’adjudicataire le prix de vente. Seul le montant des frais réglés par l’adjudicataire, soit ici 4.972 euros, doit être remboursé par la maison de ventes, la Cour ajoutant de manière bien surabondante et contestable que cette restitution est réalisée « compte tenu de la légèreté avec laquelle elle a procédé à la vente litigieuse ». Et afin de parfaire ce jeu de restitutions réciproques, l’adjudicataire doit quant à lui restituer les cornes litigieuses au vendeur.
Enfin, la Cour retient que le préjudice subi par les acquéreurs, compte tenu des attentes qui étaient les leurs lors de cette acquisition, peut être justement réparé par l’allocation de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts auxquels seront tenus in solidum le veneur et la maison de ventes.
Un article écrit par Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 31 janv. 2023, RG no 19/11512.
[2] « Mais attendu que si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties », Cass. ch. mix., 28 sept. 2012, no 11-18.710, Bull. ch. mix., no 2.