Le caractère inexcusable ou non de l’erreur du professionnel
La possible mise à l’écart de la nullité d’une vente aux enchères publiques pour les adjudicataires professionnels est subordonnée à la réunion de plusieurs critères cumulatifs. L’absence de l’un d’entre eux permettra alors à l’adjudicataire professionnel lésé d’obtenir la nullité pour erreur sur les qualités essentielles de l’œuvre d’art ou de l’objet acquis. Cette solution vient d’être une nouvelle fois rappelée le 31 janvier 2023 par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
La vente aux enchères publiques n’est aucunement l’apanage du seul amateur. Nombre de professionnels viennent également sourcer les objets qu’ils proposeront ensuite en leur galerie, sur les stands de salons et de foires ou encore auprès d’une clientèle désireuse de bénéficier de l’œil et de la connaissance du professionnel. Pour autant, l’adjudicataire, qu’il soit amateur ou professionnel, s’avère toujours potentiellement confronté à l’incertitude qui caractérise l’authentification d’une œuvre ou d’un objet d’art. Celle-ci, bien qu’elle soit le résultat d’une expertise préalable menée par la maison de ventes conjointement ou non avec un expert, est bien souvent marquée du sceau d’une certaine relativité. L’évolution des connaissances ou de l’appréhension d’un corpus artistique en offre régulièrement des illustrations. Et une telle remise en cause a posteriori de l’attribution certaine d’une œuvre au sein d’un catalogue de vente n’est pas sans conséquence juridique. Elle emporte, en effet, la reconnaissance corrélative d’une erreur sur les qualités essentielles au bénéfice de l’adjudicataire lésé, sous réserve que les trois conditions cumulatives de cette action visée à l’article 1132 du Code civil soient réunies, dont le caractère excusable de l’erreur.
Le caractère éventuellement non excusable de l’erreur du professionnel
C’est ici que la qualité de professionnel de l’adjudicataire lésé a désormais vocation à jouer dans la potentielle mise à l’écart de la reconnaissance judiciaire de l’erreur. Le professionnel, quelles que soient les mentions portées au catalogue, est astreint à un devoir de se renseigner sur les qualités de l’objet convoité. Une telle obligation ne pèse nullement sur l’enchérisseur amateur, dont le caractère excusable de son éventuelle erreur est reconnue de manière quasi-automatique. Néanmoins, cette seule qualité de professionnel ne saurait en elle-même suffire à priver l’adjudicataire lésé de tout recours.
Pareille solution a pu être affirmée par la Cour de cassation le 9 avril 2015[1], dans une affaire dite Korovine, qui marqua pour la première fois une réelle sévérité à l’encontre du professionnel lésé. Afin de rejeter la demande en nullité formulée, la Cour de cassation fit sienne l’analyse développée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans l’appréhension du caractère inexcusable de l’erreur. Ici trois critères étaient mobilisés. L’adjudicataire se fondait sur une expertise fournie postérieurement à la vente du tableau, il était lui-même expert de l’art russe du XXe – notamment des peintres russes de Paris dont Constantin Korovine est l’un des illustres représentants – et il était réputé avoir vu l’œuvre avant d’enchérir. Un faisceau de critères fondait donc l’erreur illégitime de l’adjudicataire. Une nouvelle fois, la seule qualité de professionnel s’avère insuffisante à établir le caractère inexcusable de l’erreur, caractère en réalité bien souvent écarté dans l’appréciation judiciaire de l’erreur.
La réunion cumulative de trois conditions
En effet, encore faut-il, à l’instar de la décision précitée de la Cour de cassation, que cette qualité soit attachée à une réelle connaissance de l’artiste dont l’œuvre qui lui est attribuée s’avère contestée. De la même manière, il ne faut pas que l’erreur du professionnel provienne de recherches complémentaires qu’il n’était pas en mesure de réaliser avant la vente aux enchères publiques. Enfin, il est nécessaire que l’adjudicataire professionnel ait pu préalablement examiner de visu l’objet acquis par ses soins.
Cette trilogie de critères cumulatifs, fruit d’une évolution jurisprudentielle depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 2015, vient d’être parfaitement synthétisée par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, à propos de la demande en nullité formulée par une galerie qui avait acquis, sans se déplacer, un reliquaire présenté comme un objet ancien provenant du Gabon lors d’une vente aux enchères du 4 mai 2012, organisée par un maison de ventes accompagnée d’un expert qui s’était notamment prononcé au vu d’un certificat d’authenticité établi par un ancien diplomate en poste dans le pays d’origine du bien concerné. La galerie ayant réuni un certain nombre d’éléments probatoires (expertises de partie, analyse en laboratoire, etc.) attestant de l’inauthenticté de l’objet, elle assigna alors la maison de ventes et le vendeur en nullité et en responsabilité.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence fit droit à ces demandes au terme d’une décision du 31 janvier 2023[2], bien que l’adjudicataire fut ici un professionnel. En effet, selon la Cour, « il ne peut être considéré qu’il [l’acheteur, à savoir la galerie] a commis une erreur inexcusable, dès lors qu’il n’avait pas examiné l’objet avant de l’acquérir ; qu’il n’est pas démontré qu’il était spécialiste de ce type d’objet très particulier et qu’avait été produit un certificat d’authenticité établi par un diplomate, dont il n’avait pas été précisé à l’époque qu’il était en réalité le vendeur du reliquaire litigieux ». Les trois critères précédemment rappelés sont ici mobilisés. L’acquéreur n’est pas un spécialiste de la catégorie d’objet concernée. Il n’avait pas examiné de visu l’objet. Et il ne pouvait savoir avant la vente que le certificat d’authenticité accompagnant le reliquaire avait été rédigé par le vendeur lui-même.
L’acquéreur ayant été victime d’une erreur sur les qualités essentielles du bien adjugé à son profit, la nullité de la vente est prononcée et le vendeur de l’objet est condamné à lui restituer le montant du prix de vente autrefois perçu par ses soins, soit 55.000 euros. Quant à la responsabilité de la maison de ventes, celle-ci est retenue par la Cour, dès lors que « l’opérateur d’une vente aux enchères publiques qui affirme sans réserve l’authenticité de l’œuvre d’art qu’il est chargé de vendre, engage sa responsabilité civile délictuelle sur cette affirmation, étant tenu de ne donner que des informations exactes dans le catalogue mis à la disposition de la clientèle ».
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] Cass. civ. 1re, 9 avr. 2015, no 13-24.772.
[2] CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 31 janv. 2023, RG no 19/10994.