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Une liberté d’expression enfin consacrée pour le Frac Lorraine

Article publié le 5 décembre 2023

Prenant le contrepied de la décision de 2018, la Cour de cassation vient d’affirmer que la liberté d’expression, dont relève la liberté de diffusion, ne saurait être limitée par le seul principe de la dignité de la personne humaine mettant ainsi fin au contentieux entre le Frac Lorraine et l’Agrif.

Quinze ans après l’exposition « You are my mirror 1 : L’infamille » par le Frac Lorraine, comprenant notamment une série d’œuvres d’Éric Pougeau, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de mettre un terme définitif à un trop long combat judiciaire mené par l’Agrif (l’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne). Au terme de sa décision du 17 novembre 2023, la Cour de cassation, qui s’est prononcée dans la même affaire pour la deuxième fois après un premier arrêt du 26 septembre 2018, consacre l’impossibilité de pouvoir accueillir l’idée d’une potentielle restriction de la liberté d’expression sur le seul fondement de la dignité humaine.

Cette saga judiciaire est née de la diffusion au sein du Frac Lorraine de dix-neuf fausses lettres manuscrites qui étaient construites autour de deux séquences verbales « Les enfants, nous allons […], vous êtes notre chère et notre sang, à plus tard, Papa et Maman », l’artiste déclinant alors son œuvre avec des termes bruts tels que « faire de vous nos esclaves », « faire de vous nos putes » ou encore « vous défoncer le crâne à coups de marteau ». Pour autant, les foudres de l’Agrif, véritable « association procureur », ne se portèrent pas contre l’œuvre radicale de l’artiste dénonçant la part d’ombre de la cellule familiale mais furent dirigées contre le seul Frac. Après une plainte classée sans suite, l’association invoqua, trois ans après l’exposition, à la fois l’existence d’une atteinte à la dignité de la personne humaine et la commission de l’infraction prévue par l’article 227-24 du Code pénal, sanctionnant le fait de diffuser des messages accessibles aux mineurs présentant notamment un caractère violent ou de nature à porter atteinte à la dignité. De manière habile, l’Agrif ne se posait pas en censeur de la création artistique – l’artiste n’ayant jamais été concerné par les procédures menées – mais en tant que protectrice des enfants susceptibles d’être potentiellement destinataires des messages véhiculés par les œuvres exposées. La tentative de censure était bien réelle : souhaiter l’interdiction de l’exposition et de la diffusion d’une œuvre, sous-tend nécessairement la volonté de limiter la création artistique au regard de la destinée publique d’une œuvre. Et dès lors que la censure préalable n’existe plus en France, hormis pour les œuvres cinématographiques et les œuvres littéraires destinées à la jeunesse, seul le terrain judiciaire permet à de telles associations de tenter de limiter la diffusion d’œuvres d’art contemporain.

L’assemblée plénière retient, en l’espèce, qu’« ayant relevé que l’Agrif poursuit l’exposition des œuvres en cause sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du code civil, la cour d’appel a exactement retenu que le principe du respect de la dignité humaine ne constitue pas à lui seul un fondement autonome de restriction à la liberté d’expression ». La solution mérite d’être citée en son intégralité dès lors qu’elle revêt une portée générale et évince surtout toute appréhension relative aux conditions d’exposition d’œuvres particulièrement sensibles et dont la perception peut susciter un débat d’opinion ou de valeur.

L’intégralité de l’article est à retrouver dans l’édition française de décembre 2023 de The Art Newspaper.      

 Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

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