La résiliation du mandat de gestion de l’œuvre d’un auteur de livres jeunesse
La Cour d’appel de Paris a rejeté, le 16 décembre 2022, les demandes indemnitaires du gestionnaire de l’œuvre d’un auteur de livres jeunesse malgré la reconnaissance d’une rupture abusive du contrat. Infirmant la décision de première instance, ayant condamné l’auteur à verser 100.000 euros de dommages et intérêts, la Cour considère qu’aucune perte de chance ne peut être indemnisée et que les stipulations du contrat devaient nécessairement s’appliquer.
Scénariste de nombreux albums pour enfants, contenant généralement des personnages de jeunes animaux, et par ailleurs illustrateur, un auteur avait vu une de ses séries de livres adaptée avec succès en animation et diffusée à la télévision. C’était dans ce contexte, favorable à l’œuvre de l’auteur, que ce dernier fut approché par une société dirigée par l’un de ses amis afin de prévoir un « mandat de gestion » de son œuvre, exception faite de certaines exploitations à l’instar de la publication des livres par l’éditeur historique de l’auteur.
Mais l’envoi de factures par la société à l’auteur déclencha tout à la fois un refus pour celui-ci d’honorer les paiements demandés et la délivrance d’une assignation par la société pour obtenir le dédommagement des préjudices qu’elle considérait avoir subis. Ceux-ci consistaient essentiellement, en raison de la rupture du contrat dont la société se prévalait, en une perte de chance d’avoir pu percevoir sa commission sur l’exploitation de l’œuvre. Le Tribunal judiciaire de Paris donna gain de cause à la société et condamna en première instance l’auteur à verser plus de 100.000 euros à titre de dédommagement. Cette condamnation a été pleinement infirmée par la Cour d’appel de Paris le 16 décembre dernier.
Reconnaissance de l’existence du contrat
L’auteur contestait l’existence même du contrat intitulé « mandat de gestion de contrats » notamment en raison de difficultés attachées à la signature de celui-ci et à l’impossibilité pour la société de produire l’exemplaire original qui aurait dû être conservé entre ses mains. Ici, la Cour fait sienne les conclusions du jugement de première instance et considère, au terme de divers échanges de courriers électroniques entre les parties au litige, que la société rapporte bien la preuve de l’existence d’un tel contrat, tout en modulant néanmoins la date à laquelle le contrat doit être réputé avoir été signé. Une fois cette reconnaissance acquise, la Cour s’intéresse alors à deux articles clés : les modalités de rémunération du gestionnaire et les modalités de résiliation du contrat.
Sur le premier volet, la rémunération due au gestionnaire par l’auteur était de 15% des revenus bruts issus de l’exploitation des produits de sa série phare sous ses différentes formes à l’exception des revenus tirés de la vente des albums par l’éditeur de la série. Par ailleurs, une telle commission portait, selon la prévision des parties, uniquement sur les revenus de l’auteur résultant des engagements et des produits des activités réalisés, initiés et/ou supervisés par la société gestionnaire. De la même manière, en cas de révocation non justifiée du mandat du fait exclusif de l’auteur, la société avait vocation à percevoir à titre d'indemnité de révocation une rémunération égale à 15% sur les revenus encaissés par l’auteur en exécution des contrats apportés par la société pendant un délai de vingt-quatre mois suivant la révocation.
Or, et sur le second volet, la résiliation du contrat par l’auteur répondait à une procédure stricte, qui n’avait en l’espèce nullement été suivie par l’auteur. C’est pourquoi, la Cour confirme le jugement qui avait retenu que le contrat de mandat de gestion avait été résilié le 11 octobre 2016 sans motif légitime.
Les conséquences de la résiliation du contrat
La société gestionnaire sollicitait, comme en première instance, que le calcul de l’indemnité envisagé par le contrat soit écarté au profit d’une fixation de son préjudice au regard de la perte de chances de percevoir les revenus qui lui auraient été versés si le contrat avait duré les sept années prévues. La Cour refuse ici de suivre le raisonnement du tribunal, considérant que « les conséquences d'une révocation non justifiée du mandat effectuée par le mandant sont expressément prévues à l'article 6 du contrat ». Ainsi, dès lors que la résiliation unilatérale du contrat sans juste motif par l’auteur a été considérée comme fautive, cette disposition claire du contrat qui prévoit expressément l'indemnisation du préjudice en lien avec cette faute doit recevoir application. Et ce, quand bien même il s'agit d'un mandat d'intérêt commun, d’autant plus que la société gestionnaire n’alléguait pas d'autre faute contractuelle que cette rupture fautive.
Pour autant, aucun contrat n’avait été apporté par la société gestionnaire au bénéfice de l’auteur. Or, seuls les « revenus de l’auteurrésultant des engagements et des produits des activités réalisés, initiés et/ou supervisés » pouvaient donner lieu à une rémunération pour la société ou à une indemnisation en raison de la rupture. Au-delà de cette modalité de calcul de la rémunération et de l’indemnisation, « aucune autre somme n'était fixée comme due à la société gestionnaire en cas de résiliation, même non justifiée, par l'auteur mandant », selon la Cour d’appel. L’encadrement de l’indemnité de révocation du mandat de gestion de droits d'auteur dans des délais précis a pleinement joué au détriment de la société.
Dès lors, et en application des termes clairs du contrat pourtant dénoncés par l’auteur, la société gestionnaire est déboutée de sa demande d’indemnisation, faute pour elle d’avoir su générer durant la période contractuelle des revenus au bénéfice de l’auteur par son investissement et son travail.
Si les contrats d’édition, notamment en matière d’édition littéraire, sont particulièrement encadrés dans leur rédaction par le Code de la propriété intellectuelle et par les divers accords en vigueur, il n’en est pas de même pour les autres contrats qu’un auteur, scénariste, illustrateur ou dessinateur, peut signer au profit de son œuvre. Une particulière vigilance doit être ici de mise. Car, à l’instar de la présente décision, les termes de tout engagement peuvent emporter de malheureuses conséquences si ceux-ci n’ont pas été établis au bénéfice des intérêts de l’auteur.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.