Le dépôt d’une œuvre d’art et la preuve de son état
Le contrat de dépôt est un contrat nommé parmi les plus utilisé dans le marché de l’art avec le contrat de mandat. Les deux contrats vont souvent de pair, à l’instar de la remise de la chose en vue de la vendre par le biais d’un opérateur de ventes volontaires ou d’un marchand ou encore d’une galerie d’art. La réforme de droit des contrats et une récente décision de jurisprudence invitent à revenir sur la question de la preuve de l’état de la chose lors de son dépôt et la nécessité de rédiger un bon de dépôt particulièrement exhaustif.
Codifié aux articles 1917 et suivants du Code civil, le contrat de dépôt est un contrat réel qui se forme avec la remise de la chose par le dépositaire au déposant. Une fois la chose remise, le dépositaire à la charge de la garder et de la conserver jusqu’à sa restitution au déposant ou à toute personne désignée par ses soins. C’est souvent à l’occasion de la restitution de l’œuvre par le dépositaire, soit l’opérateur de ventes volontaires ou le galeriste, au déposant, souvent un artiste ou un collectionneur, qu’un litige émerge sur l’état de l’œuvre ou de l’objet d’art. Naît alors un débat sur l’état de l’œuvre lors de sa remise afin de déterminer si le dépositaire est responsable de la dégradation reprochée durant le dépôt ou si les manques de peinture sur une toile ou une éraflure sur un meuble existaient préalablement à la remise.
Document clé de la relation avec un marchand ou une maison de ventes aux enchères, le bon de dépôt ou constat d’état permet de rapporter la preuve de l’état de l’œuvre lors de sa remise. Il indique souvent le nom de l’artiste, la date de l’œuvre, le descriptif de celle-ci avec une photographie et les éventuels dommages existants au moment de la remise. Ce document peut être actualisé lorsque l’œuvre ou le meuble fait l’objet d’un prêt à une institution muséale ou d’un autre lieu d’exposition. En principe contradictoire, c’est-à-dire rédigé conjointement par les deux parties, ce document permet alors de rapporter la preuve de l’état de l’œuvre lors de sa remise et, le cas échéant, d’imputer au dépositaire l’inexécution de son obligation de garde et d’obtenir corrélativement la réparation des dommages résultants de cette inexécution.
Un constat d’état non obligatoire mais fortement recommandé
Pour autant, et à ce jour, aucune obligation légale n’impose aux parties de procéder à la rédaction d’un constat d’état, document dont dépend souvent l’issue du litige. Les usages adoptés par les différentes organisations professionnelles sont pour la plupart taiseux sur la question. Le recueil déontologique des opérateurs de ventes volontaires reste silencieux sur ce point, malgré sa récente réécriture par le Conseil des ventes volontaires[1]. Le Code de déontologie adopté par le Comité professionnel des galeries d’art opère une curieuse distinction, indiquant qu’il est « préférable qu’un document soit établi »[2] lorsqu’un artiste remet une œuvre à une galerie, mais imposant la rédaction d’un tel document lorsqu’il s’agit d’une autre catégorie de vendeur[3].
Toutefois, la pratique des acteurs du marché de l’art risque d’évoluer rapidement avec la réforme des contrats spéciaux à venir. En effet, dans l’avant-projet de réforme publié le 22 avril 2022 l’article concerné dispose que « s’il n’a pas été établi un état contradictoire de la chose lors de sa remise, le dépositaire est présumé l’avoir reçue en bon état ». Cet article reprend la solution retenue en matière de bail et présume la faute de conservation du dépositaire lorsque la chose a subi des dégradations. Cette solution a également été affirmée par un récent arrêt de la Cour d’appel Saint-Denis de La Réunion à propos de l’état d’une voiture dont la vente avait été confiée à un vendeur professionnel. La Cour rappelle que « le professionnel n’a pas réalisé d’état de lieux de l’intérieur alors même que le contrat conclu entre les parties consistait à confier le véhicule à ce professionnel pour qu’il vende au nom et pour le compte de son propriétaire. (...) En tout état de cause, et faute de démontrer le contraire, l’intérieur du véhicule est considéré comme en bon état au jour du dépôt »[4]. La présomption énoncée par les magistrats semble trouver sa source dans la qualité de professionnel du dépositaire. Or, la distinction entre le dépositaire professionnel, bien souvent rémunéré soit par les frais ou par une commission sur le prix de vente, n’est pas opérée dans l’avant-projet de réforme, tout type de dépôt bénéficiant de cette présomption.
Ainsi, si le projet de réforme est adopté sur ce point par le législateur, les marchands du monde de l’art seront bien inspirés de réaliser, à la remise de chaque œuvre ou de chaque objet d’art, un document susceptible de rapporter la preuve de leur état.
Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.
[1] Arrêté du 30 mars 2022 portant approbation du recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques
[2] Code de déontologie adopté par le Comité professionnel des galeries d’art, article 1.3.1.
[3] Code de déontologie adopté par le Comité professionnel des galeries d’art, article 3.2 : « Le dépôt d’une œuvre d’art en galerie peut être effectué pour expertise, pour exposition ou en vue d’une vente. Le galeriste qui l’accepte établit un bon de dépôt indiquant la nature du dépôt, l’œuvre déposée, sa durée et la valeur d’assurance ».
[4] CA, Saint-Denis de La Réunion, 15 avr. 2022, RG no 20/02126.